Obnubilée par la controverse avec la magistrature, l'opinion publique n'a pas prêté la moindre attention à une information contenue dans Un président ne devrait pas dire ça. A moins qu'elle ne se soit habituée à l'inégalité devant la loi.
Sur le plateau de BFMTV, les deux journalistes auteurs de l'ouvrage sont revenus sur un passage du livre où François Hollande indique avoir procédé à «au moins quatre assassinats ciblés. L'affaire, déjà évoquée en 2014, n'est pas tout à fait nouvelle, mais c'est le nombre de ces assassinats par drone qui constitue une vraie information que le livre ne fait que confirmer. On savait déjà qu'en 2014, François Hollande avait donné l'ordre à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de supprimer Ahmed Abdi al-Muhammad, aussi connu sous le nom de Ahmed Godane, le chef des Shebbaab, un groupe terroriste islamiste qui sévit notamment en Somalie.
Et tandis que les services de renseignement français s'étaient occupés de la localisation du leader terroriste, c'est l'armée américaine qui s'était chargée de l'opérationnel, une frappe au moyen d'un drone militaire. L'armée américaine avait d'ailleurs confirmé l'opération.
Seulement voilà, Ahmed Godane a beau ne pas être un ange, les assassinats ciblés et décidés par le seul pouvoir exécutif, de façon arbitraire et sans aucun cadre légal, sont contraires au droit de la guerre et au droit international. Ils relèvent d'un droit de vie et de mort incompatible avec l'esprit du droit moderne.
La CPI, seulement pour les chefs d'Etat africains ?
Comme l'explique le maître de conférence à Lyon Gilles Devers dans son blog Actualités du droit, cela revient à infliger la peine de mort sans aucun jugement. Et là où le bât blesse, c'est que la Cour pénale internationale (CPI) prévoit que «l'assassinat ciblé décidé par le pouvoir politique et commis dans le contexte d'un conflit armé, est un crime de guerre».
Et en l'espèce, l'ordre de supprimer le terroriste somalien n'a même pas été donné dans le cadre d'un conflit officiel. Et le juriste de poursuivre sa démonstration : si l'article 67 de la Constitution de la Ve République prévoit que le président de la République «n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité» hormis la destitution décidée par le Parlement constitué en Haute cour, l'article 53-2 de la Constitution française, dont François Hollande s'est porté garant récemment, indique que «la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998», relève le professeur de droit de l'université de Lyon III.
En clair : le chef de l'Etat français est en revanche, devant la Cour pénale internationale, un justiciable comme un autre, au même titre que les dirigeants africains, dont la cour internationale – toujours pas reconnue par les Etats-Unis – est très friande. Les moyens juridiques qui permettraient de faire comparaître le chef d'Etat français devant la CPI semblent donc bien exister, noir sur blanc.
Alexandre Keller
Lire aussi : «La guerre des drones américaine viole le droit international»