Le dialogue est tout sauf rompu s'il l'on considère la rapidité des échanges. A peine le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov avait-il indiqué que Vladimir Poutine, prenant acte des «doutes» du chef d'Etat français, renonçait à sa visite en France le 19 octobre et examinerait «la possibilité d'une visite quand le président Hollande se sentirait prêt», le chef d'Etat français rétorquait presque dans la foulée qu'il y était finalement prêt, au risque de brouiller son message.
«Je considère que le dialogue est nécessaire avec la Turquie», a ainsi réaffirmé François Hollande, avant d'y inclure la Russie, à condition qu'il soit «ferme et franc». Le président français a ensuite développé : «Je suis donc prêt – à tout moment – à rencontrer le président Poutine» conditionnant toutefois une telle entrevue à la possibilité de «faire cesser les bombardements et proclamer la trêve».
Une volte-face ou bien un manque de clarté ?
Le 8 octobre dernier, François Hollande devant les caméras de la nouvelle émission de Yann Barthès fustigeait pourtant la Russie et son chef d'Etat, admettant s'être «posé la question» et se la «poser encore» de savoir s'il accepterait de recevoir le dirigeant russe. «Est-ce que c'est utile ? Est-ce que c'est nécessaire ?», s'interrogeait-il alors. Et de se demander devant les caméras si Vladimir Poutine pourrait «lui aussi arrêter ce qu'il commet avec le régime syrien».
Ce n'est pas la première fois que le chef de l'Etat français adopte un langage ferme voire guerrier à l'endroit de la Russie. En février 2015, François Hollande, au sujet de la guerre civile en Ukraine, mettait en garde la Russie contre un «scénario» dont le nom est parfaitement connu : «la guerre».
Comment s'explique donc la perception de François Hollande d'une Russie qui serait un pays fauteur de guerre et pourquoi de telles mises en gardes ?
Retour sur images
Tout avait bien commencé en ce samedi 8 octobre pour François Hollande en visite sur ses terres de Corrèze. L'occasion aussi de tâter le terrain, de se montrer et de s'essayer au rôle de candidat, mais sans trop s'exposer.
Le chef de l'Etat se rend ensuite à la Chambre de commerce et d'industrie de Brive vers 11h, afin d'inaugurer un centre de gestion et de compétences. Mais c'est à la préfecture de Tulle, où il arrive vers 16h30 pour présider une cérémonie de décorations que le drame se noue.
Et le malheur arrive par les équipes de transfuges de Yann Barthès, partis cet été de Canal+ pour rejoindre le groupe TF1. «Les populations sont victimes de crimes de guerre», s'indigne alors François Hollande, «et ceux qui commettent ces actes auront à...», s'interrompt-il, butant sur l'expression «en répondre» et préférant poursuivre : « ...à en payer la responsabilité, y compris devant la Cour pénale internationale». Emboîtant ainsi le pas au secrétaire d'Etat américain John Kerry qui appelait le 7 octobre – la veille de l'interview de François Hollande – à ouvrir une enquête contre la Russie et la Syrie pour crimes de guerre.
Pluie de critiques
Aussi la déclaration explosive a-t-elle déclenché une vague de commentaires parmi les politiciens français. Certains voient dans les «rodomontades» de François Hollande, selon le terme employé par le quotidien suisse Le Temps, un aveu de faiblesse plus qu'une preuve de fermeté.
D'autres y voient tout simplement une erreur, tel le sénateur Yves Pozzo di Borgo :
A gauche, les soutiens à François Hollande se font rares, le candidat à la primaire des écologistes Yannick Jadot soutient quant à lui la posture du chef d'Etat français.
Plus à gauche encore, Jean-Luc Mélenchon, a fustigé pour sa part le bras de fer imposé par François Hollande à la Russie, qualifiant les propos du président de «bavardages». «Je désapprouve absolument ce que [François Hollande] est en train de faire, qui est totalement contraire aux intérêts de la France», a dénoncé le fondateur du Parti de gauche.
Une position pas si éloignée de celle de Florian Philippot qui dénonce une politique étrangère française calquée sur celle des Etats-Unis.
Quai d'Orsay et Kremlin : deux réalités différentes
Pourtant, avant même l'interview fatidique, ça n'allait pas très fort entre le Quai d'Orsay et la diplomatie russe. Le 6 octobre, Jean-Marc Ayrault se rendait à Moscou rencontrer son homologue, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov afin de défendre le projet de résolution français devant le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU).
L'enjeu : l'«arrêt des bombardements» sur les djihadistes des organisations terroristes retranchées dans certains quartiers de la partie Est d'Alep, dont al-Nosra, émanation d'Al-Qaida en Syrie, d'inspiration salafiste, aujourd'hui rebaptisée «Fatah al-Cham», et qui avait approuvé les attentats de Paris en novembre 2015. Des terroristes que les médias occidentaux comme les politiciens atlantistes qualifient de «rebelles».
«La Russie ne peut laisser faire cela», avait ainsi plaidé le chef de la diplomatie française, alors que la partie ouest de la ville syrienne avait été libérée par l'armée régulière syrienne et avec l'appui de l'aviation russe. En vain. Après l'échec du cessez-le-feu mis à profit par les «rebelles» pour se réorganiser et après les propositions d'évacuation sous sauf-conduit par le gouvernement de Damas, la Russie a opposé son veto à la résolution française. Ce texte prévoyait l'interdiction de survol de la ville d'Alep dans son ensemble, ce qui aurait à nouveau donné l'avantage aux terroristes salafistes, lesquels pourraient bombarder à nouveau la partie Ouest libérée de l'agglomération. L'échec de la résolution française pourrait-il donc expliquer l'amertume de François Hollande ?