Si devant le tribunal, il invoquait son droit au silence, l’individu ayant tué quatre personnes au Musée juif de Belgique, à Bruxelles le 24 mai 2014, a l'habitude de se montrer nettement plus loquace derrière les barreaux.
Nemmouche et Abdeslam, membres de la même cellule ?
Au lendemain des attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016, Mehdi Nemmouche, incarcéré à Bruges dans une cellule sous haute surveillance, n'hésite pas à communiquer avec son nouveau codétenu Salah Abdeslam, membre du commando qui a frappé Paris le 13 novembre 2015. «Brahim et Sofiane sont morts», crie-t-il à ce dernier, arrêté quelques jours plus tôt à Molenbeek.
L'information est troublante, puisque l’identité des membres du commando djihadiste de la capitale belge, Ibrahim el-Bakraoui et Sofiane Kayal (nom d’emprunt utilisé par Najim Laachraoui), n’a alors pas encore été révélée dans les médias.
Un terroriste fort bavard
Quelques années plus tôt, alors qu'il se trouve derrière les barreaux de la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), où il séjourne alors après son arrestation à Marseille six jours après avoir commis l'attentat contre le Musée juif de Belgique, l'individu a déjà la langue déliée.
Loin de se douter que les murs de sa cellule ont des oreilles, le terroriste va en effet engager une conversation édifiante avec son codétenu, Abou Ismaël, incarcéré pour un passage en Syrie.
Parti en promenade, ce dernier se poste près du quartier d’isolement, où est cloîtré Nemmouche et y entame une discussion franche avec lui… sans savoir que leurs mots sont minutieusement retranscris par un gardien à l’oreille affûtée, qui transmettra le rapport à sa hiérarchie le 30 septembre 2014.
Suivi par les services secrets plusieurs mois avant l’attentat du Musée juif ?
Février 2014. Après un séjour d’un an en Syrie puis un passage par la Turquie, le djihadiste français quitte Istanbul pour rejoindre la Malaisie.
Là-bas, Mehdi Nemmouche confie se faire «piéger par un policier» en civil, un Japonais qu’il suspecte d'être un membre des services de renseignement. Se présentant comme un touriste, ce dernier demande à voir le passeport du djihadiste, par curiosité, avant de se montrer plus intrusif, l'interrogeant sur les tampons algériens, libanais et turcs apposés dessus.
Les deux hommes se dirigent ensuite vers le casino, où Nemmouche est pris d’une sueur froide. Devra-t-il laisser à l'entrée ses papiers d'identité et son appareil photo, où les images de la guerre en Syrie sont plus nombreuses que les photos de vacances ?
Au moment de son odyssée asiatique, Mehdi Nemmouche est déjà fiché S en France
Inquiet, le djihadiste explique semer le curieux «touriste» dès la fin de leur soirée en lui laissant de fausses coordonnées. Mais, visitant quelques jours plus tard une mosquée de Singapour, il le recroise. Le Japonais l’assure : c’est une simple coïncidence, il n’a fait que suivre les conseils du guide du Routard ! Une information qui, vérifiée par Nemmouche, se révèlera fausse.
Celui qui s’apprête, quelques mois plus tard, à frapper le Musée juif de Bruxelles, est-il poursuivi par les services secrets de Singapour ou par ceux de la France ?
«Une chose est sûre : au moment de son odyssée asiatique, Mehdi Nemmouche est déjà dans le viseur des services de renseignement français. La DGSI a créé à son nom une fiche S et l’a inscrit au système d'information Schengen (SIS), ce qui déclenchera une alerte lors de son retour en Europe, le 18 mars 2014, lorsqu'il passe le contrôle des passeports à l'aéroport de Francfort, en Allemagne», écrit le site d’information Mediapart.
Plus fort que Youssouf Fofana qui «lui n’a fumé qu’un seul juif»
Auprès de son codétenu, Nemmouche confesse son crime «en rigolant», se disant «heureux» qu’il y ait «quatre juifs de moins sur terre qui étaient repartis dans un cercueil en Israël».
Il n'hésite pas à se comparer à Youssouf Fofana, tristement célèbre chef du «Gang des barbares» connu pour avoir torturé et assassiné le jeune Ilan Halimi en 2006. Mais «lui n’a fumé qu’un seul juif», se réjouit le djihadiste.
Une filière (très) inquiétante
Le Français évoque alors, tour à tour, plusieurs djihadistes, laissant présager de son réseau. Ainsi, il demande à Abou Ismaël si on lui a montré des photos des «frères de Cannes», du nom de la cellule de Cannes-Torcy, interpellée quelques jours plus tôt par la DGSI, qui la soupçonne d'avoir attaqué à la grenade une épicerie juive à Sarcelles en septembre 2012.
Tant qu’ils ne démantèlent pas la filière, tout ira bien
Les deux détenus en viennent alors à parler d’«un frère attrapé à Tanger», qui s’avère être Ahmed Laidouni, un Français d’origine algérienne interpellé deux jours auparavant par la police marocaine après être passé, lui aussi, par la case Syrie.
Nemmouche semble bien informé, puisque l’information n’est pas parue, à l’heure de la conversation, dans les médias français.
Sa conclusion, elle, en dit long quant aux nombreux liens entretenus par celui qui a pourtant souvent été présenté comme un loup solitaire : «Tant qu’ils ne démantèlent pas la filière, tout ira bien.»
C’est la Gestapo !
Interrogé au sujet de sa conversation avec le terroriste lors de son procès, Abou Ismaël reconnaît qu’elle a eu lieu et ne met en doute que quelques détails. Une seule chose semble le révolter : que le personnel pénitentiaire ait pu prendre des notes et rédiger un rapport. «C’est comme au temps de l’Allemagne nazie, c’est la Gestapo», s’insurge-t-il.
Une faillite des services de renseignement ?
Deux ans avant l'attaque du Musée juif, alors que Mehdi Nemmouche arrive au terme de sa peine de prison pour vol aggravé, le bureau du renseignement pénitentiaire alerte la DCRI (ex-DGSI) quant au détenu, vraisemblablement radicalisé. «Nous pensons que ce détenu peut passer à l’acte sur des actions terroristes, de plus [il] est un peu perturbé psychologiquement, [il] est une proie idéale», décrivent les surveillants pénitentiaires dans une note du 29 novembre 2012.
Un gardien ajoute l’avoir entendu «demander aux détenus présents sur les autres cours s’ils connaissaient quelqu’un pour poser des bombes dans le métro, puisque c’est ce qu’il va faire en sortant.»
Le 4 décembre 2012, le détenu sort de prison comme prévu. Il s’envole pour la Syrie moins de 30 jours plus tard.