Tandis qu'en métropole, le mouvement de la Nuit Debout est sur toutes les lèvres et dans tous les esprits, peu d'informations ont circulé sur un phénomène qui pourtant est en traind e s'ancrer dans la durée et qui touche le 101e département français, Mayotte.
Paris a en effet annoncé mercredi l'envoi de forces de l'ordre supplémentaires à Mayotte, pour faire face aux violences urbaines qui secouent le département français depuis plusieurs nuits, combinées à un mouvement social qui perturbe l'économie.
Après plusieurs nuits de violences urbaines orchestrées par des groupes de jeunes cagoulés qui ont caillassé voitures et habitations, en marge du mouvement social, la nuit de mercredi à jeudi a été calme, selon les autorités.
«Que les gens aient le droit de grève, oui, qu'ils expriment leur mécontentement, oui, mais qu'ils gênent l’activité et la circulation du département, non», a martelé Seymour Morsy, désireux de faire lever tous les points de blocage de l'île dès ce jeudi.
Un peloton de 16 gendarmes de La Réunion est arrivé en renfort mercredi sur le territoire de Mayotte même si «les policiers et les gendarmes ont autre chose à faire que de lever des barrages», a regretté le haut représentant de l’État.
Joint par l'AFP, le syndicaliste CGT Roger Combarel a rappelé que «les consignes de l'intersyndicale sont claires : tant que les négociations à Paris ne donnent rien, on maintient les barrages partout où c'est possible, partout où il y a des militants. Si les barrages sont levés par les forces de l'ordre, ils seront rétablis cinq minutes après», a-t-il ajouté, sans appeler à l'affrontement.
Selon Frédéric Muller, syndicaliste du SNEP, le mouvement sera reconduit demain selon les mêmes modalités que ces derniers jours, à savoir blocages des routes du nord, du sud et du centre de l'île.
L'intersyndicale se réunira samedi après-midi pour décider de la suite du mouvement, en fonction des échanges que les syndicalistes mahorais auront eus avec les directeurs de cabinet des ministères concernés lors d'une réunion à Paris vendredi.
Impatiences réelles et besoins évidents
Pour le préfet, «le travail doit reprendre, les jeunes ne doivent plus être pris en otage (...) ils doivent retourner à l'école, au collège, au lycée, à l'université, au travail ou à la recherche d'un emploi».
Il a assuré que «seulement 1% du privé» était «en grève mais, en fin de semaine dernière, le secteur du privé avait enregistré 1 million de pertes de chiffre d'affaires», depuis le début du mouvement, en particulier à cause des barrages routiers.
Une grève générale a été lancée par plusieurs syndicats, FO et la CGT en tête le 30 mars dernier pour réclamer «l'égalité réelle», c'est-à-dire l'alignement de Mayotte sur la métropole, en matière de Code du travail, de prestations sociales, de salaires ou de services publics. Un rapport de la Cour des comptes a pointé en janvier les retards de l'île dans la mise en place du droit commun.
«Les impatiences sont réelles, les besoins évidents», a souligné le préfet. «Ce n'est pas une grève générale, c'est une impatience générale».
Il a rappelé que le Code du travail devrait être aligné sur celui de la métropole en 2018. «Ce que le gouvernement fait aujourd'hui, c'est clarifier les feuilles de route» sur les étapes de cet alignement.
Pourquoi ces violences ?
«Plusieurs éléments se superposent», à Mayotte, a expliqué mercredi à l'AFP la ministre des Outre-mer George Pau-Langevin: «un mouvement social de revendications lancé par les organisations syndicales», et «à côté, les comportements de certains jeunes à la dérive, qui ne sont pas encadrés et n'ont pas de perspectives».
En effet, des groupes de jeunes cagoulés, s'étant greffés sur ce mouvement social, ont commencé le week-end dernier à caillasser chaque nuit voitures et habitations, la préfecture évoquant des affrontements entre «bandes rivales».
Mercredi, trois personnes interpellées la veille lors des affrontements ont été jugées en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Mayotte et condamnée à des peines allant de 1 à 8 mois d'emprisonnement. Elles ont toutes été placées sous mandat de dépôt, a annoncé le parquet dans un communiqué.
Après une nouvelle explosion de violences dans la nuit de lundi à mardi, la préfecture avait renforcé mardi soir le dispositif de sécurité dans certains quartiers de Mamoudzou, ce qui a permis selon elle de contenir les violences, même si des véhicules ont encore été dégradés.
La veille, des habitants excédés s'étaient rassemblés sur la place centrale de Mamoudzou pour dénoncer les violences. Et dans le quartier de Doujani, d'autres ont «exposé» leurs voitures caillassées.
Mercredi après-midi, les écoles étaient vides, les rues quasi désertes, et l'activité tournait au ralenti, a affirmé un journaliste de l'AFP.
Pour la ministre des Outre-mer, il faut traiter «parallèlement» les revendications syndicales et les violences urbaines.
Selon Rivomalala Rakotondravelo, syndicaliste SNUIPP, ces violences sont liées au manque d'encadrement. «Un élève en école élémentaire en métropole représente 7 400 euros (d'investissement par l'Etat, ndlr). A Mayotte, on est à 4 300 euros. Voilà l'injustice».
La ministre a rappelé que 217 classes ont été construites en 2015 à Mayotte, «mais les besoins sont incommensurables. Beaucoup d'enfants n'ont pas une situation satisfaisante», a-t-elle reconnu.
Elle a aussi souligné la forte immigration - en partie illégale - de populations comoriennes vers Mayotte, ce qui «accroît le sentiment des Mahorais d'être évincés des infrastructures créées pour eux» et nécessite «une politique de coopération» avec Anjouan.
Quant aux revendications de rattrapage social, «on a besoin d'inventer des règles». Par exemple, «il faut voir comment faire pour que des personnes aient une retraite satisfaisante alors qu'elles n'ont pas cotisé», ou comment augmenter les salaires dans l'administration et les collectivités territoriales «alors que les collectivités sont exsangues».
De plus, alors que l'objectif était d'adapter le Code du travail à Mayotte d'ici 2018, «aujourd'hui, cette démarche est percutée par la loi El Khomri», dit-elle.
Vendredi, les syndicats mahorais rencontreront à Paris les directeurs de cabinet des ministères concernés.
Mme Pau-Langevin dit comprendre l'impatience des Mahorais, «mais c'est souvent un défi de trouver des réponses adaptées et conformes au droit», car «on ne peut pas mettre que des réponses d'exception».
Ancienne colonie française, Mayotte est rattachée à la France depuis un référendum d’autodétermination en 1976, avant d'en devenir le 101è département en 2011. Mais malgré cette assimilation, le, décalage entre l’île et la métropolitaine est criant.
En novembre 2015, Entre 2 000 et 3 000 manifestants, selon les chiffres de la préfecture et des organisateurs, avaient déjà manifesté pour revendiquer «l'égalité des droits» par rapport au reste du territoire français.
A Mayotte, le taux de chômage dépasse les 23%, ce qui représente le double des chiffres de l'hexagone. Le département manque également cruellement d'infrastructures, en particulier d'établissements scolaires et d’aides sociales à l’enfance.
Pourtant, la moitié de sa population, soit environ 210 000 habitants, a moins de 18 ans. En 2014, les trois quarts des plus de 15 ans n'avaient pas de diplôme qualifiant, selon une étude de l'Insee, écrit le JDD.
De plus, en tant que département français, Mayotte est et reste un territoire en proie aux flux migratoires venant de pays voisins, comme Madagascar, la Mozambique ou encore les Comores, dont les côtes se situent à moins de 100 km. De nombreux migrants arrivent à Mayotte dans l'espoir d'une vie meilleure et s'y retrouvent finalement livrés à eux mêmes et sans ressources.