Le conflit se poursuit dans les raffineries, occasionnant des pénuries pour des millions de Français et donnant des sueurs froides au gouvernement. En dépit d'appels répétés de sa part à négocier sur les salaires et à cesser les blocages, la CGT et la direction de TotalEnergies ne sont pas parvenues à s'entendre. Les grévistes de TotalEnergies ont ainsi reconduit ce 11 octobre au matin le mouvement de grève pour les salaires à l'appel de la CGT, a indiqué à l'AFP Eric Sellini, coordinateur CGT pour le groupe. «Ce matin, les salariés ont revoté à une large majorité pour la poursuite de la grève, on est toujours en attente de précisions en matière de négociations par la direction», a-t-il précisé.
Parallèlement, la CGT et FO ont annoncé ce 11 octobre poursuivre le mouvement dans les deux raffineries françaises d'Esso-ExxonMobil, malgré la signature d'un accord sur les salaires par la CFDT et la CFE-CGC. «Le mouvement a été reconduit ce matin [...] parce que ça ne correspond pas aux revendications des salariés grévistes qui demandent du pouvoir d'achat», a expliqué à l'AFP le délégué syndical central CGT Christophe Aubert, selon qui l'amélioration de la proposition de la direction consiste essentiellement en une prime, alors que les grévistes souhaitent des augmentations pérennes.
La CGT de TotalEnergies demande pour sa part 10% d'augmentation sur les salaires pour 2022 contre les 3,5% négociés en début d'année, le géant de l'énergie ayant engrangé 10,6 milliards de dollars de bénéfice au premier semestre 2022. La direction a proposé le 9 octobre d'avancer des négociations salariales prévues en novembre au mois d'octobre (sans date précise), mais seulement à condition que les raffineries et dépôts actuellement bloqués reprennent le travail. La demande a été perçue comme un «chantage» par la CGT, qui a appelé à poursuivre le mouvement dans les différents sites du groupe.
30 litres de carburant maximum dans certains départements
La poursuite du conflit s'est traduit par la persistance de difficultés d'approvisionnement dans 29,4% des stations-service le 10 octobre en fin de journée (contre 29,7% la veille), a indiqué la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. «Si une légère amélioration est constatée dans les Hauts-de-France, [...] d'autres difficultés apparaissent sur le territoire, y compris dans des zones qui ne sont pas concernées par le mouvement social en cours comme la façade Atlantique», indique le ministère dans un communiqué. «Je le redis aux Français : ne faites pas de stocks de précaution car cela aggrave la situation», a déclaré Agnès Pannier-Runacher, déplorant une «surconsommation» dans les stations-service.
Dès le 10 octobre au soir, des arrêtés préfectoraux pris dans le Var, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence ont limité la vente de carburant aux particuliers à 30 litres. Face aux pénuries, des syndicats d'infirmiers libéraux ont réclamé le même jour «un accès prioritaire» dans toutes les stations, pour pouvoir maintenir les soins à domicile.
Le gouvernement entend mettre un terme à un blocage «excessif» et «anormal»
Signe que la situation inquiète les autorités au plus haut point, Emmanuel Macron a lui-même appelé les directions des groupes pétroliers et les syndicats à «la responsabilité» et assuré que le gouvernement «prenait sa part» dans les discussions, après s'être déjà exprimé sur le sujet la semaine précédente depuis Prague. A peine rentrée d'un déplacement à Alger, la Premier ministre Elisabeth Borne a quant à elle réuni plusieurs ministres en urgence dans la soirée du 10 octobre à Matignon. «Le gouvernement ne peut laisser le pays être bloqué», a commenté son entourage auprès de l'AFP à l'issue de la discussion. Outre l'adoption de «mesures facilitant l'approvisionnement des stations comme il le fait depuis plusieurs jours», le gouvernement avance qu'«un désaccord salarial ne justifie pas de bloquer le pays» et que «refuser de discuter, c'est faire des Français les victimes d'une absence de dialogue».
Interrogé sur les solutions de sortie de crise sur RTL le 11 octobre, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a été plus explicite. «Le gouvernement appelle à ce que la totalité des blocages soient levés sans délai, sans quoi nous [...] pourrions être amenés à les lever», a-t-il menacé, considérant que le blocage des sites est «excessif» et «anormal» compte tenu des avancées des discussions salariales, en particulier dans le cas d'ExxonMobil. «Nous voulons que ça aille vite [...] et nous réservons la possibilité d'intervenir», a-t-il insisté.
Interrogé sur les modalités concrètes de cette intervention, Olivier Véran a cité la libération des stocks stratégiques, ainsi que la multiplication des approvisionnements en provenance de pays voisins tels que la Belgique. Et, si les grèves venaient à se prolonger, le porte-parole du gouvernement a indiqué qu'il faudrait envisager de «débloquer, rouvrir l'accès aux centres de dépôt et aux raffineries, et ensuite réquisitionner le personnel adéquat pour pouvoir permettre à la situation de se normaliser», sans citer explicitement l'envoi des forces de l'ordre sur les sites pétroliers.
Il a estimé que retrouver «un fonctionnement normal» dans les régions les plus touchées allait «prendre quelques jours», assurant que ce retour à la normale aurait lieu avant les vacances de la Toussaint. Olivier Véran a par ailleurs jugé anormal que «quelques profiteurs de grève» aient fait bondir «les prix de l'essence à la pompe» dans certaines stations, et annoncé que le gouvernement discutait avec TotalEnergies d'une prolongation de la ristourne de 20 centimes par litre mise en place par le groupe, prévue jusqu'à fin octobre.
La réquisition serait une déclaration de «guerre» pour la CGT
Interviewé sur France Info ce 11 octobre également, le ministre de l'Economie Bruno le Maire a appuyé les propos du porte-parole du gouvernement, jugeant qu'il n'y aurait d’autre moyen, en cas de poursuite des blocages, «que de réquisitionner les moyens nécessaires pour libérer les dépôts et faire fonctionner les raffineries», précisant que «le timing se chiffre en heures, à la limite en jours». «Si Emmanuel Macron veut également faire condamner l'Etat et surtout veut une extension rapide sur les autres secteurs économiques, parce que là je peux vous garantir que ce serait la guerre, qu'il le fasse [...] Ce serait la guerre», a réagi Emmanuel Lépine, le responsable de la branche pétrole de la CGT, s'exprimant sur le même média.
Lors de précédents conflits dans les raffineries, à l'occasion de la réforme des retraites de 2010 ou encore de la contestation de la loi Travail en 2016, les forces de l'ordre ont été envoyées pour débloquer les sites en grève. La réquisition de salariés grévistes peut être décidée par les préfets lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public. La CGT avait dénoncé en 2010 un «acte illégal» portant atteinte au droit de grève lorsque le président d'alors, Nicolas Sarkozy, avait décidé d'employer ce moyen.