La Russie est la bienvenue au salon du Bourget à en croire le commissaire général du salon parisien, Emeric D’Arcimoles. Après la mauvaise expérience des salons à Farnborough et à Eurosatory, le chef du service russe de la coopération militaro-technique, directeur de la délégation russe au Bourget Dmitri Chougaïev confie avoir apprécié «une telle approche» qui, selon lui, «reflète le sentiment général actuel en Europe» : «Franchement, dans les coulisses, nous partenaires se plaignent d’être fatigués des sanctions», explique le haut fonctionnaire russe. «Pourtant, cette tendance persiste malheureusement, la rhétorique antirusse est présente malgré tout. Mais cela ne nous fait pas peur», assure-t-il.
Malgré les sanctions imposées par les pays de l'OTAN à de nombreuses entreprises de défense russes depuis 2014, le partenariat militaro-technique se maintient, comme cela a toujours été le cas, même dans des temps aussi difficiles : «On garde le contact», assure Dmitri Chougaïev. «La politique est ce qu’elle est, mais les gens restent pragmatiques et pensent à l'avenir. Ils ne claquent pas les portes et ne brûlent pas les ponts», poursuit le haut fonctionnaire. Cependant, la pleine coopération avec l’Europe et avec les pays qui ont soutenu ces sanctions, semble à peine possible. La raison en est simple : les sanctions existent toujours, et il est trop tôt pour parler d’une éventuelle coopération. «Il est impossible de parler avec la Russie en utilisant la force ou le diktat, nous ne l’acceptons pas – toute notre action et notre politique étrangère le prouvent», insiste Dmitri Chougaïev.
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RT : La participation de la Russie au salon aérien de Farnborough en 2016 avait été mise à mal. Et, cette année, la Russie participe pleinement au salon du Bourget. Les organisateurs du salon disent même que la Russie est très attendue. Selon vous, pourquoi assistons-nous à un tel élan de sympathie envers Moscou alors que les sanctions occidentales sont toujours en place ?
Dmitry Chougaïev (D. C.) : Vous avez tout à fait raison : le commissaire général du salon parisien, Emeric D’Arcimoles, a insisté pour que la Russie puisse participer sans craindre d’avoir à faire face aux problèmes que nous avons rencontrés à Farnborough et Eurosatory. Il a même ajouté que «la Russie [était] la bienvenue». Nous apprécions une telle approche, et ce d’autant qu’elle reflète le sentiment général qui domine en Europe. Dans les coulisses, nous partenaires se plaignent d’être fatigués des sanctions – et pour être tout à fait honnête, personne n’en a besoin. Et pourtant, cette tendance [politique] persiste malheureusement, la rhétorique antirusse reste présente malgré tout. Mais cela ne nous fait pas peur. Le plus important, pour nous, c’est la pleine participation à une exposition d’une importance mondiale. Le Paris Airshow est un salon international, et c’est notre participation à ce club des producteurs mondiaux de l’industrie aéronautique qui importe. Nous ne pouvons nous permettre, même si nous le voulions, de ne pas participer à cet événement. Dans un mois, nous aurons aussi l’opportunité de montrer tous nos appareils, et ce dans toute leur splendeur, au MAKS 2017 (Salon international aérospatial de Moscou), à Joukovski. Selon les experts, le MAKS est le meilleur salon aéronautique.
Un tel état d’esprit, qu’on pourrait qualifier d’«amical», de la part de l’organisateur du salon parisien n’est pas fortuit. Il a été inspiré, entre autres, par la récente visite du président Vladimir Poutine en France et par sa rencontre avec son homologue français fraîchement élu, Emmanuel Macron. On le sait, l’atmosphère de la rencontre a été amicale et positive. Je pense que cela a été pris en compte.
RT : Au regard des sanctions imposées par les pays de l'OTAN à de nombreux manufacturiers d'armement russes depuis 2014, quel est le sens de la participation de la Russie au salon du Bourget ? Il est peu probable que les Etats membres de l’Union européenne deviennent les principaux acheteurs de matériel militaire russe...
D. C. : Ils n'en ont jamais été les principaux acheteurs. Les membres de l’OTAN n’ont toujours compté que pour quelques pourcents, voire moins, de nos commandes. Mais pour être tout à fait honnête, un partenariat militaro-technique a toujours existé, même en des temps aussi difficiles que ceux que nous vivons aujourd’hui. On garde le contact. Nous respectons toujours nos engagements vis à vis de nos clients de Bulgarie, de Grèce... Vous savez, aujourd'hui, nous menons des négociations assez sérieuses avec la Turquie sur des systèmes de défense antiaérienne. La politique est ce qu’elle est, mais les gens restent pragmatiques et pensent à l'avenir. Ils ne claquent pas les portes et ne brûlent pas les ponts.
RT : Peut-on s’attendre à ce que des accords et des contrats soient signés dans le cadre du Bourget ?
D. C. : Comme je l’ai déjà évoqué, notre participation à cette exposition est en quelque sorte limitée concernant les modèles grandeur nature en raison des circonstances et des sanctions. Notre collaboration avec l’Europe et les pays membres de l’OTAN est donc assez restreinte. Donc nous n’allons pas signer de contrats aujourd’hui. En outre, nous avons d’autres sites pour cela, et nous garderons nos potentiels contrats pour de futurs événements.
Nous utilisons la plate-forme du Bourget avant tout pour rencontrer nos partenaires, pour s’assurer que nous sommes «sur la même longueur d’ondes», pour voir quelles nouveautés les membres de ce club vont présenter. C’est très important pour nous du point de vue de l’image de marque et du marketing, mais aussi en termes industriels, afin d’évaluer la situation générale. Les organisateurs de l’exposition ont en outre déclaré qu’il y aurait à peu près 300 délégations officielles de 90 pays. Et beaucoup, parmi elles sont d’anciens partenaires. Il est extrêmement important pour nous d’observer le climat général, afin de négocier et de discuter des perspectives. Le salon parisien est aussi célèbre pour cela.
RT : On sait bien que, avec la mise en place des sanctions antirusses en 2014, le domaine aéronautique a souffert d’un grand déficit en composants fournis principalement par des producteurs occidentaux. Peut-on affirmer que, aujourd’hui, il a été possible de remplacer les composants importés, ou certains modèles manquent toujours à l’industrie aéronautique russe ?
D. C. : C’est tout à fait vrai. Depuis l'introduction des sanctions, notre industrie fait face à certaines difficultés. Vous avez mentionné, à raison, que cela était lié à la livraison de composants. L’interruption des liens avec l’Ukraine, qui n’était pas de notre initiative, a aussi eu un impact. Mais une politique opportune et avisée de production palliant ces importations nous a permis de donner un élan au développement de notre propre industrie – c’est le revers de ces sanctions. Nous observons des progrès dans plusieurs domaines. Dans l’aviation, cela concerne le domaine de construction de moteurs, de radioélectronique, etc. En d’autres termes, nous avons réussi, pour le moment, à réorienter l’industrie pour pouvoir produire nombre de composants nous-mêmes. Comme on dit, «on est jamais mieux servi que par soi-même». Mais quoi qu'il en soit, il est pour nous hors de question de faire défaut à nos clients. Toutes les livraison qui avaient été programmées préalablement ont été effectuées, et nous restons en contact avec chacun de nos clients pour résoudre d'éventuels problème, au cas par cas.
RT : Si les sanction sont levées dans un proche avenir, la Russie sera-t-elle prête à renouveler sa coopération avec l’Europe ?
D. C. : Nous sommes des gens pacifiques, prêts à collaborer à tout moment. Seulement, il ne faut pas nous mettre des bâtons dans les roues sans raison. Hélas, la pleine coopération avec l’Europe et les pays qui ont soutenu ces sanctions semble aujourd'hui difficilement possible. La raison en est simple : tout d’abord, les sanctions existent toujours, et il est trop tôt pour discuter d’une reprise de la coopération. En outre, toutes les places sont occupées. Et entre autres, elles sont occupées pas des gens et des pays qui sont plus pragmatiques. Il est impossible de parler avec la Russie en utilisant la force ou le diktat, nous ne l’acceptons pas. Toute notre action et notre politique étrangère le prouvent.
RT : Il existe différentes estimations quant à la place de la Russie dans les exportations mondiales d’armement. Certains centres affirment que Moscou a cédé sa deuxième place à la France, selon des statistiques de la fin 2016. Qu’en pensez-vous ? Quel é été le volume réel d’exportations d’équipements militaires l’année passée ?
D. C. : Nous n’avons rien cédé. Nous nous sommes assuré la deuxième place. L’année passé, notre volume d’exportations a atteint 15 milliards de dollars, et nous avons même dépassé ce niveau : notre carnet de commandes est de 48 milliards de dollars. Nous collaborons avec presque 100 pays et avons 98 accords de coopération militaire et technique. Et nous ne nous arrêtons pas là. Nous avons des grands et sérieux projets pour étendre notre marché. Nous sommes devenus aujourd’hui beaucoup plus souples – au-delà de Rosoboronexport, nous avons d’autres organisations de coopération militaire et technique qui travaillent dans le domaine de la maintenance technique et de la livraison des pièces de rechange. Nous sommes à l’écoute des tendances.