«J'écris ceci pour clarifier l'emplacement des réserves internationales de la DAB [Banque centrale d'Afghanistan] […] parce qu'on m'a rapporté que les Taliban avaient demandé au personnel de la DAB l'emplacement des actifs», écrivait sur son compte twitter dès le 16 août Ajmal Ahmady, le gouverneur de la Banque centrale du pays.
Selon ses informations, ces réserves ne se trouvent pas physiquement dans les coffres mais placées dans des «actifs sûrs et liquides [facilement négociables]» et s'élèvent à environ 9,3 milliards de dollars [8 milliards d'euros] répartis entre bons du Trésor des Etats-Unis (3,4 milliards), placements gérés par la Banque mondiale (2,4 milliards ), ou le FMI (1,2 milliard) et 2,3 milliards de dollars sur différents comptes de trésorerie auprès d'institutions, dont la Banque des règlements internationaux.
Le 18 août le gouverneur ajoutait que l'Afghanistan devait recevoir quelques jours plus tard une première tranche d'aide du Fonds monétaire international (FMI) d'un montant de 340 millions de dollars, dont le virement lui semblait désormais incertain. Dès le lendemain, l'institution confirmait ses doutes dans un communiqué de presse : «Comme toujours, le FMI est guidé par les vues de la communauté internationale. Il y a actuellement un manque de clarté au sein de la communauté internationale concernant la reconnaissance d'un gouvernement en Afghanistan, en conséquence de quoi le pays ne peut pas accéder aux DTS [droits de tirages spéciaux-prêts du FMI] ou à d'autres ressources du FMI.»
Mais où est donc le trésor de Bactriane ?
Enfin, les coffres de la Banque centrale afghane qui se trouvent physiquement au palais présidentiel désormais contrôlé par les Taliban sont réputés contenir un trésor de bijoux en or, d'ornements et de pièces de monnaie vieux de 2 000 ans, connu sous le nom de trésor de Bactriane. Les députés afghans ont lancé en janvier l'idée d'expédier ce trésor à l'étranger en lieu sûr, selon Tolo News, la principale télévision afghane.
Mais on ignore sa valeur et même s'il se trouve toujours en Afghanistan. Dès le lendemain de la chute de Kaboul, le porte-parole de l'ambassade de Russie en Afghanistan, Nikita Ichtchenko, cité par Reuters avait affirmé que le président Ashraf Ghani s'était enfui avec quatre voitures et un hélicoptère bourrés d'espèces.
Dans ses tweets Ajmal Ahmady, explique aussi que, compte tenu de l'important déficit du compte courant de l'Afghanistan, la Banque centrale afghane, pour soutenir le secteur bancaire dépendait de livraisons physiques d'espèces – essentiellement des dollars - toutes les semaines. Et, le samedi qui a précédé la chute du gouvernement, les banques afghanes ont déposé de très grosses demandes de dollars pour faire face à la demande de retraits de leurs clients. Mais cette livraison n'est jamais arrivée, et les réserves physiques de la banque sont aujourd'hui proches de zéro, toujours selon les déclarations du gouverneur.
Dépendance à l'aide étrangère
L'Afghanistan dépend très largement de l'aide étrangère, qui, en plus de programmes d'aides directes, a représenté en 2020 une contribution de 18,1 milliards de dollars, soit 66% des revenus de l'Etat. Ils étaient administrés à travers une série de programmes coordonnés par l'Organisation des nations unies, dont il semble certain que les Taliban ne bénéficieront pas, si leur gouvernement n'est pas reconnu par la communauté internationale.
Les Taliban, réputés riches, ne pourraient en réalité compter que sur 300 millions à 1,5 milliard de dollars par an, selon un rapport du Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, publié en mai 2020 et cité par Reuters. Selon ce même rapport, les Taliban tirent principalement leurs revenus d'activités criminelles, comme la culture du pavot dont on tire l'opium puis l'héroïne, et donc du trafic de drogue ; mais aussi de l'extorsion d'entreprises locales et des rançons obtenues après des enlèvements, et d'un système d'impôts et de taxes dans les zones qu'ils contrôlent.
Ces sommes resteraient malgré tout insuffisantes pour assurer le fonctionnement de l’Etat, même si les Taliban peuvent en théorie compter récupérer le produit des différentes taxes et impôts de l’Etat Afghan qui représentaient en 2020 environ 12 milliards de dollars.
La fin de la culture du pavot ?
Dans ces conditions on a le droit de considérer avec scepticisme les déclarations de Zabihullah Mujahid porte-parole des Taliban qui affirmait le 17 août en conférence de presse à Kaboul que «l'Afghanistan ne sera[it] plus un pays de culture de l'opium» et que sa production allait être réduite «à nouveau à zéro», en référence à son interdiction lorsqu'ils gouvernaient le pays, de 1996 à 2001.
Pour l'heure, l'Afghanistan produit plus de 80% de l'opium mondial et sa part dans l’économie est telle que dans les documents statistiques remis au FMI par les autorités afghanes, lorsqu’elles mentionnaient le PIB du pays, elles se sentaient alors obligées de préciser en note de bas de page : «hors trafic de stupéfiants».
Alors que la situation économique s'est encore dégradée avec la pandémie de Covid-19, les Taliban ont eux-mêmes reconnu que l'amélioration de l'économie ne pourrait se faire sans l'aide de l'étranger. «Nous avons eu des échanges avec de nombreux pays. Nous souhaitons qu'ils nous aident», a notamment déclaré leur porte-parole en conférence de presse à Kaboul le 17 août.
Qui est prêt à financer ?
Mais d’où viendra l’aide ? Pas du Canada semble-t-il, où le Premier ministre Justin Trudeau a déjà déclaré que le pays n'avait «pas l'intention de reconnaître un gouvernement taliban». Dès le lendemain de la prise de Kaboul par les Taliban, Berlin l'un des dix plus gros donateurs de l'Afghanistan, a annoncé la fin de son aide.
La position américaine, même si l’administration a annoncé le gel des avoirs de la Banque centrale d’Afghanistan reste en revanche ambigüe. Ainsi, le 17 août, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, a déclaré qu'il était trop tôt pour déterminer si les Etats-Unis reconnaîtraient les Taliban comme le pouvoir légitime en Afghanistan, ce qui semble donc laisser une porte-ouverte.
L’Afghanistan est aujourd’hui peuplé de 33 millions d’habitants, selon les chiffres des autorités, ce qui signifie qu’il a en perdu cinq millions, soit environ 15% de sa population, au cours des cinq dernières années, principalement du fait d’une émigration massive. C’est un des pays les plus pauvres du monde avec un produit intérieur brut (PIB) de 20 milliards de dollars, selon les données les plus récentes de la banque mondiale, soit un niveau d’activité économique légèrement inférieur à celui du Mali, deux fois moins peuplé.
Selon le site du bureau du conseil économique de la présidence afghane (désormais inaccessible), le taux de chômage était en 2020 d'environ 40% contre à peine 8% lors de l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement en 2014. Au cours de la même période, le pays a presqu'entièrement effacé sa dette extérieure, seul point positif dans sa situation actuelle.
Ivan Lapchine