Encore confidentielles il y a quelques années, les cryptomonnaies connaissent un succès fulgurant. Devant l’ethereum, le dogecoin ou encore le ripple, le bitcoin est le porte-étendard des nouvelles monnaies numériques. Alors que la valeur totale des bitcoins a franchi la barre des 1 000 milliards de dollars le 21 février dernier – un bitcoin s’échangeait alors contre plus de 57 000 dollars – cette cryptomonnaie créée en 2008 serait-elle en train devenir la monnaie de demain ?
La genèse
Au commencement était le bloc : une cryptomonnaie est «une monnaie virtuelle qui repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées, appelé blockchain ou chaîne de blocs», selon l'Institut national de la consommation. Il s’agit donc d’un nouveau type de monnaie, entièrement créée par informatique, qui n’est ni garantie ni régulée par une banque centrale (comme l’euro l’est par la BCE, ou le dollar par la Fed).
8 500 cryptomonnaies ont été créées, et une soixantaine d’entre elles «pèsent»au moins un milliard de dollars, comme le rappelle L'Express. Les experts en la matière connaissent l’ethereum, le dogecoin, le ripple ou le litecoin, mais le plus connu – et le plus utilisé – est sans conteste le bitcoin, qui fait désormais régulièrement la une de l’actualité économique.
Le 31 octobre 2008, un certain Satoshi Nakamoto publiait un message destiné aux «cypherpunks» (des passionnés d’informatique utilisant la cryptographie pour protéger la vie privée) dans lequel il annonçait travailler «sur un nouveau système de monnaie électronique entièrement de pair-à-pair, sans tiers de confiance», accompagné d’un lien vers le white paper, un document résumantle fonctionnement de ce qui serait désormais le bitcoin, comme le rappelle Capital.
Le premier bloc de la blockchain Bitcoin est créé le 3 janvier 2009 et, neuf mois plus tard, une valeur est donnée pour la première fois au bitcoin : 0,001 dollar, ce qui correspondait au coût de l'électricité nécessaire à la création d’un bitcoin par un ordinateur, toujours selon Capital. En février 2011, le bitcoin a atteint 1 dollar, puis a progressé régulièrement jusqu’à atteindre 19 891 dollars le 17 décembre 2017. S’est alors ensuivie la grande dégringolade de janvier 2018, lors de laquelle le cours du bitcoin a été divisé par trois – tout en restant cependant 2,5 fois supérieur à ce qu’il était un an auparavant.
Le bitcoin continuera ensuite à fluctuer – sans toutefois dépasser la cote des 12 000 dollars – jusqu'à un autre effondrement, à 4 939 dollars, le 16 mars 2020. C’est alors que commence la folle envolée du bitcoin, qui lui a apporté sa notoriété auprès du grand public.
L’envolée
Alors que le monde entier est encore aux prises avec la pandémie de Covid-19, le bitcoin, lui, ne connaît pas la crise. La cryptomonnaie a commencé sa folle ascension au moment où le monde se confinait, avant de voler de record en record : le bitcoin a atteint 20 000 dollars le 16 décembre 2020, 30 000 dollars le 2 janvier 2021, et 50 000 dollars le 16 février. Un succès grandissant galvanisé par l’intérêt de grandes banques et de certaines entreprises comme Tesla. Les investisseurs ne voient en effet plus seulement le bitcoin comme un objet de spéculation, mais aussi comme une véritable monnaie et comme un investissement de long terme.
De nombreuses personnes ont découvert l’existence du bitcoin le 15 juin 2011, lorsque l’ONG WikiLeaks a annoncé sur Twitter qu’elle accepterait dorénavant les dons en bitcoins, après que Visa, MasterCard et PayPal, ont suspendu les autorisations de paiement vers le site internet de l'organisation fondée par Julian Assange. Neuf ans plus tard, le bitcoin n’est plus seulement virtuel, et profite désormais d’un ancrage dans le «monde réel» : outre l'apparition de distributeurs automatiques de bitcoins (les «ATM bitcoins»), la cryptomonnaie devient un moyen de paiement utilisable au quotidien – auprès d'un nombre certes réduit d'entreprises : selon Coinmap, plus de 20 000 établissements à travers le monde acceptent les paiements en bitcoins (via une application mobile et un QR code pour les commerces «physiques»). En France par exemple, le livreur de repas à domicile Just Eat propose le paiement par bitcoin depuis septembre 2020.
Le 8 février dernier, l’annonce du constructeur de véhicules électriques Tesla selon laquelle il envisage d'accepter le bitcoin comme «moyen de payement pour [ses] produits dans un futur proche», cumulé à l’achat par l'entreprise automobile de 1,5 milliards de dollars de bitcoins, a fait prendre 13% à la cryptomonnaie, qui atteint alors un pic de 43 725 dollars. Ce n’est pas la première fois que le bitcoin bénéficie d’un «coup de pouce» d’Elon Musk, le patron de Tesla et de SpaceX commentant régulièrement l’univers des cryptomonnaies. Ainsi, le 29 janvier dernier, le cours du bitcoin a connu une explosion de 18% en une heure après que celui qui était alors l’homme le plus riche du monde a ajouté une référence à la cryptomonnaie dans la biographie de son compte Twitter, suivi par près de 44 millions d’abonnés. Elon Musk (qui est également un fervent soutien du dogecoin) avait cependant affirmé dans un tweet quelques semaines plus tôt – c’est-à-dire au moment même où Tesla était en train d'acheter 1,5 milliard de dollars de bitcoins, comme le rappelle Le Figaro– que la cryptomonnaie était «quasiment aussi pourrie» que la monnaie fiduciaire.
Le bitcoin doit également son ascension à l’attention que lui portent désormais de grandes entreprises et de grands fonds spéculatifs de Wall Street – tels que Fidelity, Stone Ridge, JP Morgan ou BlackRock – qui stockent cette cryptomonnaie pour plusieurs millions de dollars. Le milliardaire et gestionnaire de fonds spéculatifs Paul Tudor a annoncé détenir 2% de sa fortune en bitcoins, une valeur-refuge qui permettra selon lui de lutter contre la dévaluation imminente des monnaies «traditionnelles», à l'instar de l'or. La confiance dans la cryptomonnaie est donc grandissante, comme en témoigne l’annonce le 12 février 2021 par le fondateur Twitter Jack Dorsey de la création avec le rappeur Jay-Z d'une fondation pour financer le développement du bitcoin comme «devise d’internet».
Instabilité, risques et limites
Cette phase de crédibilisation du bitcoin amène un certain nombre d'experts à considérer que sa flambée actuelle est bien différente de celle de 2017 – essentiellement due à l’action de spéculateurs particuliers – et qu’elle pourrait bien s’inscrire dans la durée. La plateforme d’échange de cryptomonnaies californienne Kraken a par exemple obtenu une licence bancaire dans l'Etat américain du Wyoming ; une grande première qui pourrait ouvrir la porte à une adoption de masse. En Argentine et au Venezuela, où l'inflation des monnaies nationales fait rage, une partie de la population s'est tournée vers le bitcoin afin de préserver ses économies, selon Le Figaro. Si le bitcoin gagne peu à peu la confiance des institutions et des individus, quels obstacles pourraient l’empêcher de s'imposer comme l’or du XXIe siècle ?
Les 14% de Français qui souhaiteraient investir dans les cryptomonnaies (selon un sondage réalisé par l'Ifop pour le site Cointribune) ne doivent pas oublier que «la conservation des crypto‑actifs n’offre aucune protection en matière de sécurité des avoirs» car elle peut faire l’objet de piratages informatiques, selon le ministère français de l'Economie. Sans même parler des bitcoins «perdus» par leurs détenteurs en raison d’un mot de passe oublié ou d’un périphérique de stockage égaré...
L'Autorité des marchés financiers (AMF) indique, en outre, que «l’investissement en crypto-actifs est risqué et [que] de nombreux escrocs opèrent sur internet».
Compte tenu du fait qu'elles peuvent être anonymes (lorsqu'elles ne sont pas achetées via une plateforme régulée) ou anonymisées, les cryptomonnaies peuvent par ailleurs servir au blanchiment d'argent ou à financer le terrorisme et d'autres activités criminelles. Un avis partagé par l'ancienne présidente de la Banque centrale américaine Janet Yellen, qui a déclaré dans une interview donnée le 23 février au New York Times ne pas penser que le bitcoin puisse être «largement utilisé comme mécanisme de transaction dans la mesure où il est souvent utilisé [...] pour le financement illicite».
Les importantes fluctuations du bitcoin rappellent également qu’il s’agit d’une monnaie très volatile – ce qui permet des gains rapides en cas de hausse, mais des pertes tout aussi fulgurantes en cas de baisse. Des experts affirment également que l’euphorie qui a entouré les cryptomonnaies connaîtra inévitablement une correction relativement importante. Reste à savoir quand celle-ci aura lieu : cet été, après que le bitcoin aura terminé sa folle ascension ? Ou a-t-elle déjà commencé, avec les chutes constatées les 22 et 23 février ?
En deux jours, le bitcoin est en effet passé de 57 489 à 47 899 dollars, soit une baisse de 16,7%. L’ethereum – la deuxième cryptomonnaie la plus importante – a suivi une évolution comparable. Une correction venue d’importantes ventes réalisées par des investisseurs en Asie, et qui a coïncidé avec une autre déclaration de Janet Yellen, devenue secrétaire au Trésor de l'administration Biden, selon laquelle le bitcoin «est un actif hautement spéculatif». «Je m'inquiète des pertes potentielles que les investisseurs pourraient subir», a-t-elle ajouté.
Cette fluctuation du cours du bitcoin a une fois de plus été commentée par Elon Musk, qui a sous-entendu en ces termes que les cours du bitcoin et de l’ethereum étaient trop hauts : «Ceci dit, le bitcoin et l'ethereum ont l'air haut, lol.» Cette baisse du bitcoin a fait perdre à l'entrepreneur 15 milliards de dollars selon Business Insider, permettant à Jeff Bezos de redevenir l’homme le plus riche du monde.
Cependant, le 24 février, le bitcoin avait déjà repris 7% pour atteindre 50 610 dollars tandis que l’ethereum était en hausse de 15%. Comme l’affirme une étude de Sha Wang et Jean-Philippe Vergne, le cours des cryptomonnaies pourrait donc bien être, sur le long terme, plus sensible aux évolutions technologiques qui concernent la blockchain qu'au buzz médiatique.
P.F.