Interviewé au journal de 20h de TF1, le soir du 21 juillet, le président de la République française savourait sa victoire. L'accord conclu sur le plan de relance européen est le fruit d'un «travail de trois ans entre la France et l'Allemagne», a affirmé Emmanuel Macron. L'accord, d'un montant de 750 milliards d'euros, est pour l'Union européenne «le moment le plus important depuis la création de l'euro», affirmait-il également, quelques heures après la fin d'un laborieux sommet européen à Bruxelles. «Nous allons changer la vie de nos concitoyens [...] C'est pour moi le plus important», a encore estimé le chef d'Etat. Angela Merkel a, de son côté, salué une «réponse à la plus grande crise de l'UE depuis sa création».
Emmanuel Macron et la chancelière allemande s'étaient montrés d'ardents défenseurs de ce projet, militant contre les réticences des pays dits «frugaux» (Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède). Ceux-ci étaient peu emballés par ce projet massif de soutien à l'économie, dont les principaux bénéficiaires sont les pays du Sud, comme l'Italie et l'Espagne.
Concrètement, indique l'AFP, il est prévu un fonds de 750 milliards d'euros affectés à la relance post-Covid, qui pourront être empruntés par la Commission sur les marchés. Il se compose de 390 milliards de subventions, allouées aux Etats les plus frappés par la pandémie, une dette commune à rembourser par les 27. La France pourra disposer de 40 milliards d’euros de subventions. 360 milliards d'euros, sur les 750, seront disponibles pour des prêts, remboursables par le pays demandeur.
Ce plan est adossé au budget à long terme de l'UE (2021-2027), qui prévoit une dotation de 1 074 milliards d'euros.
Lors de son interview à TF1, Emmanuel Macron a assuré que «ce n’est pas le contribuable français qui [...] paiera» mais de «grandes entreprises internationales, parfois européennes, qui aujourd'hui ne sont pas assez sollicitées et qui vont payer progressivement cette dette par la fiscalité européenne que nous allons bâtir». Le chef d'Etat a fait référence à «des taxes sur lesquelles nous nous battons depuis plusieurs années», comme celle sur les géants du numérique. «Lisser la dette dans le temps» permettra également de financer le plan, par la création de «ressources propres», a-t-il fait valoir.
Un plan plus modeste qu'espéré par la France - et soumis à des conditions
L'enthousiasme du président, en France, n'est toutefois pas partagé par tout le monde. Des journalistes, économistes et politiques relativisent la portée de cette victoire décrochée par Paris et Berlin, au vu des ambitions qu'ils s'étaient fixées.
Malgré une «indéniable victoire [...] pour Paris et Berlin», écrivent Les Echos, «l'Europe du Nord [a poussé la France et l'Allemagne] à sérieusement revoir à la baisse leurs ambitions initiales, au terme de négociations parfois particulièrement musclées». Le quotidien économique relève qu'«au final, la part des subventions dans le plan est ainsi ramenée de 500 milliards à 390 milliards d'euros, le reste étant constitué de prêts plus classiques aux Etats, à rembourser par chacun». L'Europe du Sud, ayant fait de 400 milliards un minimum pour le montant des subventions, a dû revoir cette limite légèrement à la baisse.
Autre élément de victoire pour les «frugaux», qui jugent leurs contributions nettes au budget de l'UE disproportionnées : le renforcement des «rabais» dont ils bénéficient en tant que contributeurs nets au budget européen. Conséquence, indiquent Les Echos : «Les Pays Bas notamment vont ainsi baisser leur facture européenne annuelle de deux milliards d'euros». Un coup dur, entres autres, pour la France, qui contribue au paiement de ces rabais.
L'économiste Jacques Sapir, dans une analyse publiée sur le média Sputnik, décrit lui aussi les concessions accordées par Paris et Berlin : «Issu d’une proposition franco-allemande portant sur 1 500 milliards d’euros, dont 750 de subventions, un montant qui pouvait déjà être considéré comme insuffisant, le plan fut réécrit par la Commission avec une réduction à 750 milliards, dont 500 pour les subventions. Ce qui vient d’être décidé le 21 juillet au petit matin est un plan de 750 milliards d’euros dont 390 de subventions.» Et d'en conclure : «Par rapport au projet initial, il y a donc une réduction de 48% du montant des subventions.» Et ce n'est pas tout : Jacques Sapir souligne que les pays dits «frugaux» ne bataillaient pas seulement pour réduire le montant de l'aide européenne, mais également pour conditionner sa délivrance : «Sans obtenir tout à fait le droit de veto qu’ils demandaient, les pays "frugaux" ont remporté une incontestable victoire, que ce soit dans la réduction du montant des subventions ou dans la création d’un mécanisme de contrôle à la majorité qualifiée. Qu’ils arrivent à convaincre un ou deux pays et ils détiendront de facto ce droit de veto», analyse-t-il.
Comment, exactement, va s’opérer le contrôle sur la façon dont les bénéficiaires des fonds dépenseront leur argent ? L'AFP l'explique en ces termes : «Pour faire tomber les réticences des frugaux, qui considèrent les pays du Sud trop laxistes, un dispositif a été imaginé : il permet à un ou plusieurs Etats membres, qui considèrent que les objectifs fixés dans les programmes de réformes ne sont pas atteints, de demander d'étudier le dossier lors d'un sommet européen». Conséquence : des dirigeants de pays austéritaires, comme le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, pourraient profiter de ce mécanisme pour se montrer exigeants avec les pays bénéficiaires, sur la manière dont ils dépensent l'aide européenne.
Du côté de l'opposition politique, les concessions obtenues par les «frugaux» ont été soulignées. Interviewé par RT France, le secrétaire national du PCF Fabien Roussel a jugé «qu'en fin de compte, [le plan de relance européen] est encore un plan [...] conditionné à des réformes structurelles que des pays devront mettre en œuvre en échange de cette aide». «C'est ce qui a été fait jusqu'à maintenant», à l'exception de la mutualisation de la dette qui sera empruntée auprès des marchés, analyse le député du Nord. Et le leader communiste de faire référence aux rabais : «Les pays du Nord notamment [...] pourront donner moins au budget de l'Union européenne ; ça veut dire que dans les années qui viennent nous aurons un budget de l'UE qui va rester à 1 000 milliards alors qu'il était attendu qu'il monte à 1 300 milliards ; donc nous aurons moins d'aide au final, de l'UE, de part son budget.»