On sait que le président français, élu en mai 2017, aimait s’imaginer en Jupiter, maître des dieux et de l’univers. Plus prosaïquement, il entendait ainsi installer ce que d’aucuns nomment sous d’autres cieux la «verticale du pouvoir».
Avec un double message : je garde le cap, mais je veux essayer, par une nouvelle méthode, plus compréhensive et plus douce, de reconquérir la confiance du peuple, et pourquoi pas son amour… Voilà donc Jupiter s’essayant désormais en Cupidon. La tâche risque cependant d’être rude, d’autant que l’horizon de son mandat n’est plus si éloigné – 600 jours environ.
L’opération de charme tentée devant des millions de téléspectateurs a évoqué un nombre impressionnant de thèmes, de l’épidémie au chômage, de l’industrie à l’environnement, du remaniement ministériel au féminisme.
Pourtant, le point le plus remarquable est qu’il n’a presque pas parlé d’Europe – lui qui avait pris ses fonctions au son de l’hymne de l’Union européenne, et qui se promettait de «refonder» cette dernière, notamment lors de son plaidoyer solennel prononcé le 7 septembre 2017 du haut de l’Acropole d’Athènes.
Du reste, le discours de politique générale prononcé le lendemain 15 juillet par Jean Castex, le nouveau Premier ministre, intervention qui fait office de programme pour les vingt mois qui viennent, n’a pas été plus bavard sur ce sujet pourtant central.
Ce 14 juillet, Emmanuel Macron n’a fait qu’une seule allusion à l’UE : questionné sur la manière dont seront financés les 100 milliards d’euros supplémentaires que le président veut consacrer à la relance, celui-ci a en substance répondu : «L’Europe paiera». On aurait dit du Viktor Orban (le chef de gouvernement hongrois).
Mot à mot, cela donne : «Et ces investissements je vais les financer comment ? D’abord parce que nous sommes en train de nous battre à l’Europe pour avoir justement des financements européens, parce que nous avons obtenu durant cette crise l’une des plus grandes avancées européennes des dernières décennies : l’accord franco-allemand du 18 mai dernier».
Le président fait en réalité allusion au plan de relance, à hauteur de 750 milliards d’euros, présenté le 27 mai par la Commission européenne. Les deux tiers de cette somme seraient distribués sous forme de dons prioritairement aux pays membres les plus touchés par le coronavirus et le tsunami économique, le tiers restant via des prêts.
Bruxelles prévoit que la France percevrait ainsi 39 milliards d’euros. Ledit plan s’est inspiré d’une proposition franco-allemande rendue publique le 18 mai, celle-là même dont parle le chef de l’Etat français : cette proposition suggérait notamment un emprunt commun que la Commission réaliserait sur les marchés financiers au nom des Etats membres.
Il y a cependant deux tout petits détails que l’hôte de l’Elysée a omis de citer. Le premier est que le plan de la Commission doit encore être modifié et adopté unanimement par les 27 Etats membres, ce qui est, à ce jour, loin d’être le cas. Le Conseil européen du 19 juin a, une nouvelle fois, échoué, mettant en lumière les contradictions et les disputes entre ceux-ci.
Certes, il est probable qu’un compromis verra finalement le jour, mais rien n’indique que celui-ci sera trouvé lors du Conseil européen de ces 17 et 18 juillet, présenté comme «capital» pour l’Union européenne (ce qui rend le silence présidentiel sur l’Europe encore plus étonnant...). Un accord lors de ce sommet est possible, mais pas certain. Un échec cette fois-ci serait d’ailleurs une gifle tant pour Angela Merkel que pour Emmanuel Macron.
L’autre «détail» oublié par le chef de l’Etat est plus important encore. A supposer que le compromis que trouveraient les 27 s’approche du schéma présenté par la Commission, Paris recevrait 39 milliards. Mais, en tant qu’Etat membre co-emprunteur sur les marchés financiers, la France devra ensuite rembourser une part des 750 milliards. Or le principe est que chaque pays rembourse non à hauteur des sommes qui lui seront versées, mais en fonction de sa richesse.
Autrement dit, le remboursement devrait se faire en fonction d’une clé proche des contributions au budget communautaire. Après l’Allemagne, la France est le deuxième «contributeur net» de l’UE, c’est-à-dire qu’elle verse plus au pot commun qu’elle n’en reçoit. Elle contribue à hauteur de 11% au budget communautaire. Elle pourrait donc avoir à rembourser plus de 82 milliards – sans compter les intérêts qui seraient dus dès 2021 (Berlin, de son côté pourrait rembourser 106 milliards, pour 29 milliards reçus via Bruxelles).
La seule chose qu’Emmanuel Macron ait donc dite à propos de l’UE est que cette dernière paierait. En omettant de préciser que la France devra rembourser le double des sommes perçues.
Cupidon n’a pas brillé par son honnêteté.
Pierre Lévy