«Non, il n’y a pas de signe de cela», a répondu le 21 août Olaf Scholz à la télévision publique allemande alors qu’on lui demandait si la crise politique italienne actuelle pourrait provoquer une crise financière de la zone euro.
Le ministre social-démocrate (SPD) allemand des Finances a rappelé que des critères de convergence existaient avec l’Italie, y compris avec l’actuel gouvernement, engagé, après de longues tractations avec la Commission européenne, à respecter les règles de stabilité observées par les pays ayant adopté la monnaie unique. «Il semble qu’un nouveau gouvernement, peut-être d’une composition différente, va apparaître», a-t-il ajouté.
En Italie pourtant, l’annonce, début août, par le vice-président du Conseil des ministres italien Matteo Salvini, de la fin de l’union entre son parti La Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles (M5S) a provoqué des remous économiques. Le spread, écart entre le rendement des BTP (bons du trésor à long terme italiens) et celui des Bund allemands a joué au yo-yo, passant d’un plus bas depuis 14 mois à 186 points, à 238, le jour de l’annonce d’élections anticipées.
Mais depuis, le spread italien vs Bund est redescendu au niveau psychologique de 200 points, 25 de moins que pour les T-Notes, bons à dix ans du Trésor américain. Les analystes attribuent cet effet baissier sur le coût de la dette italienne à la perspective d’un retour de l’ex-Premier ministre Matteo Renzi.
La Bundesbank annonce de mauvaises nouvelles
Et en Allemagne, on s’inquiète surtout d’une entrée probable du pays en récession (deux trimestres consécutifs d’évolution négative du produit intérieur brut-PIB). La Bundesbank a en effet annoncé le 19 août, dans son rapport mensuel, que «l'économie pourrait à nouveau se contracter» après un recul de 0,1% du PIB allemand au deuxième trimestre.
Ce n’est pas une surprise, car depuis des mois les indices de production industrielle allemands ne cessent de dégringoler, victimes des tensions sur le commerce mondial. L'Allemagne, dont l'économie repose en grande partie sur les exportations de son secteur manufacturier, est fortement pénalisée par la guerre commerciale entre deux de ses principaux clients, les Etats-Unis et la Chine.
Cette dégradation économique ravive – voire fait naître – à Berlin un débat politique sur la nécessité d'abandonner le principe du schwarze Null, un mot allemand qui signifie littéralement «zéro noir» c’est-à-dire «zéro pile», et fait référence à un solde budgétaire structurel de 0%, c’est-à-dire ni excédentaire ni déficitaire.
Il a été fixé, par le chrétien démocrate (CDU) Wolfgang Schaüble, alors ministre des Finances, au début de l’été 2015 comme principe pour le plan financier 2016-2019 – étendu depuis jusqu’à 2021 – négocié dans le cadre du gouvernement de grande coalition, entre les chrétiens-démocrates (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD).
Le solde budgétaire structurel diffère de l’équilibre budgétaire nominal, car il tient compte de la conjoncture économique et reflète l’équilibre des finances publiques hors impact de la croissance. Ainsi, le principe de rigueur budgétaire allemand va au-delà des exigences du pacte de stabilité qui autorise un déficit structurel jusqu’à 0,5% depuis l’entrée en vigueur, en 2013, du pacte de stabilité révisé. Par exemple, en 2018 la France affichait un déficit budgétaire équivalent à 2,5% de son produit intérieur brut (PIB), mais son déficit structurel n’était que de 0,3%, donc dans les clous de Bruxelles.
L'Allemagne et sa rigueur fustigées en Europe
D’ailleurs, le principe selon lequel «les recettes et les dépenses doivent s'équilibrer» (cela concerne l’équilibre budgétaire nominal) est inscrit dans la loi fondamentale de la République fédérale. Mais ce principe a encore été renforcé en 2009, par la loi Schuldenbremse (frein à l’endettement), votée par la CDU/CSU et le SPD.
Plusieurs pays en Europe, notamment la France ont, à plusieurs reprises, reproché à l’Allemagne de financer son solde budgétaire avec le déficit de ses partenaires. Cette accusation repose sur l’argument selon lequel l’Allemagne réalise une partie importante de ses recettes grâce à ses excédents commerciaux vis-à-vis de ses partenaires européens, et au sein de la zone euro.
Ainsi selon les chiffres de Bercy, en 2017 la France accusait un déficit commercial avec l’Allemagne de 17,2 milliards d’euros. Et en 2018 près de 60% des 1 318 milliards d’euros d’exportations allemandes étaient destinés à des pays européens. Mais la machine est grippée et pour la première fois depuis des années l’excédent commercial allemand s’est réduit, tombant en 2018 à moins de 230 milliards d’euros, contre son record de 250 milliards en 2016.
Lors d’une journée portes ouvertes dans son ministère, le 18 août, veille de l’annonce par la Bundesbank d’une entrée probable en récession, Olaf Scholz a semblé préparer les esprits à des mesures de relances budgétaires en déclarant : «Il est parfois important, lorsque par exemple les choses changent du tout au tout, qu'on ait suffisamment de force pour réagir.»
Spiegel prédit la fin du zéro noir
Il a ensuite précisé : «Si nous avons en Allemagne un endettement qui est inférieur à 60% de notre PIB, il s'agit alors de la force dont nous avons besoin en cas de crise», avant de souligner que l'Allemagne avait été en mesure de dégager 50 milliards d'euros pour répondre à la crise financière de 2008-2009.
Mais l’influent Spiegel Online, citant des sources à la Chancellerie et au ministère des Finances, est convaincu que la cause est entendue et écrivait déjà le 16 août «Face à la récession le gouvernement veut sacrifier le zéro noir», avec pour surtitre «nouvelle dette».
Les problèmes de l'Allemagne [...] reposent sur l'obsolescence de son modèle économique dans un monde qui a changé
Plusieurs responsables sociaux-démocrates souhaitent que l'Allemagne puise dans ses réserves pour financer un plan de lutte contre le réchauffement climatique ou des travaux d'infrastructure. Mais cela suffira-t-il ? Le 14 août, Patrick Artus, chef économiste de la banque publique Natixis tirait la sonnette d'alarme dans le quotidien Les Echos en soutenant que «les problèmes de l'Allemagne [étaient] bien plus profonds et repos[ai]ent sur l'obsolescence de son modèle économique dans un monde qui a changé».
Une allusion à une économie basée sur l'industrie automobile et la chimie, alors que l'avenir semble appartenir à des véhicules électriques qui seront peut-être conçus en Europe, mais sans doute fabriqués en Chine, et à un géant de la chimie, Bayer se retrouvant avec des pieds d'argile depuis le rachat de Monsanto.
Patrick Artus a aussi avancé que le plein emploi en Allemagne était factice, essentiellement dû à une démographie négative et que l'économie allemande n'était «pas face à un choc cyclique mais face à un immense défi structurel» et qu'elle allait se retrouver «en croissance quasi-nulle pendant un certain temps».
Jean-François Guélain