Les cassandres en sont pour leur frais. Pour le moment, le clash entre l’Italie dirigée par la coalition LegaStelle (la Ligue et le Mouvement Cinq étoiles) et la Commission européenne n’a pas eu lieu et cette perspective semble s’éloigner. Rome n’a pas non plus annoncé de défaut sur sa dette entraînant la faillite de ses banques et une crise de la zone euro.
Le 22 juillet, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis – exemple d’établissement qu’on appelle un «institutionnel» dans le jargon de la finance – encourageait même à acheter de la dette publique italienne sur la web TV du site Boursorama.
Pour Patrick Artus ne subsistent en effet dans la péninsule aucun des trois principaux risques à évaluer avant d’acheter de la dette souveraine d’un Etat membre de la zone euro : pas de risque de change lié à une perspective de sortie de l’Euro ; pas de risque de restructuration passant par l’effacement de tout ou partie de la dette ; et pas de risque de dérapage des finances publiques. Ainsi, pour les gros fonds, les bons du trésor italien rejoindraient la catégorie des placements de père de famille.
Le 3 juillet, après avoir menacé, au lendemain des élections européennes, de placer l’Italie en procédure pour déficit excessif, Bruxelles y renonçait et surtout reconnaissait les effets bénéfiques de la mesure phare du programme du Mouvement 5 étoiles (M5S) : le reddito di cittadinanza (revenu de citoyenneté).
Ainsi, dans un communiqué, la Commission européenne expliquait : «La croissance du PIB réel sera principalement basée sur la consommation privée, soutenue par la baisse des prix de l'énergie et le nouveau régime de citoyenneté fondé sur les revenus.»
Enfin, une baisse du chômage
La veille l’Institut national des statistiques italien (Istat) avait annoncé que le chômage était passé pour la première fois sous la barre des 10% depuis sept ans, l’amélioration étant particulièrement sensible chez les jeunes. Quant à l’indicateur principal de la perception par les marchés de la fiabilité des finances italiennes : le spread (écart) entre le rendement des emprunts italiens et celui des bons allemands, il a été réduit de plus de moitié depuis la crise budgétaire bruxello-romaine de l’automne 2018.
Pourtant la relation entre le nouveau gouvernement italien et Bruxelles avait mal commencé. En octobre 2018, cinq mois après les élections générales de mars qui avaient porté au pouvoir une coalition réunissant la Lega assimilée à l’extrême-droite et le M5S dit «populiste», la commission européenne refusait le budget présenté par Rome, une première. Et surtout, alors que l’Italie prévoyait pour 2019 un déficit budgétaire représentant «seulement» 2,4% de son PIB, Bruxelles acceptait au même moment un budget présenté par Paris prévoyant, lui, un déficit au-delà des 3% fixés par le traité de Maastricht.
Il n’en fallait pas plus pour nourrir le soupçon que la Commission voulait punir un gouvernement réputé eurosceptique et tuer dans l’œuf tout risque de faire la preuve qu’une politique de soutien de la croissance par la dépense publique pourrait être plus efficace qu’une stricte politique de rigueur.
Pourtant la ligue M5S n’avait pas d’agenda euro-sceptique, d’autant que le chef du M5S, en particulier dans la dernière ligne droite de la campagne, avait tenu à se déclarer pro-UE. Quant à la Commission, elle n’a jamais visé dans ses remarques telle ou telle mesure, comme le revenu de citoyenneté cher au M5S, mais seulement le déficit structurel et la trajectoire de désendettement italien, jugée insuffisamment hardie, compte tenu du poids d’une dette publique équivalent à 131% de son PIB.
Sortie du tunnel en vue... mais lointaine
Pour autant, l’Italie est loin d’être sortie d’un marasme économique caractérisé par un croissance atone et un taux chômage élevé, qu’elle subit avec des hauts et des bas, depuis plusieurs décennies. En 2019, elle demeurera à la traîne de la zone euro pour le chômage (9,9% contre 7,6%) et pour la croissance à +0,3% contre 1,2%.
En revanche, en Europe elle a indiscutablement ranimé le débat ancien entre les économistes néo-libéraux et les keynésiens sur le rôle de l’Etat dans le soutien à l’activité économique via la dépense publique. Déjà en 2015 les socialistes portugais ont mis en place un programme de hausse des bas salaires et de ceux des fonctionnaires, ainsi que de revalorisation des retraites qui, accompagné d'une hausse record des revenus du tourisme, a indiscutablement porté ses fruits. Loin d’être devenu l’épouvantail économique de l’Union européenne, le ministre qui a mis en place ce programme, le socialiste Mario Centeno, toujours aux commandes à Lisbonne, est depuis devenu président de l’Eurogroupe.
Enfin, si chétif soit-il, un petit symbole semble valider le pari italien : au moment où Bruxelles abaissait d’un dixième de point de pourcentage les perspectives de croissance de la zone euro (de +1,3% à +1,2%), l’Istat relevait dans la même proportion celles de la péninsule +0,2% à +0,3%). Tout est dans la tendance.
Jean-François Guélain
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