Le Parlement italien a voté le 28 mai une motion selon laquelle le «mini-Bot» devrait être considéré comme un moyen de réduire les dettes d'Etat non acquittées. Trois jours plus tard, un communiqué du Trésor public réagissait en affirmant à l'inverse qu'«aucune mesure n'était envisagée – certainement pas la mise en place d'obligations d'Etat de faible valeur nominale – pour s'attaquer aux éventuels retards de paiement des administrations publiques»...
Mais en quoi consiste le «mini-Bot», ce système de «monnaie parallèle» déjà mis en avant par Matteo Salvini en amont de la formation du gouvernement de coalition qui a vu le jour le 1er juin 2018 ? Quels enjeux recouvre-t-il ?
Interrogé par RT France, Vincent Brousseau, économiste et ancien spécialiste des questions monétaires à la Banque centrale européenne (BCE) pour laquelle il a travaillé de 1998 à fin 2013, a accepté de livrer son analyse sur ce sujet actuellement porté par Claudio Borghi, conseiller économique de Matteo Salvini.
Habituer les Italiens à utiliser une autre monnaie que l'euro
Aujourd'hui en charge de l’euro et des questions monétaires à l'Union populaire républicaine (UPR), Vincent Brousseau rappelle qu'il y a plus d'un an, l'homme fort du gouvernement italien «avait déjà proposé de lancer des "mini-Bots"» dont la caractéristique principale est que l'administration italienne des impôts est tenue de les accepter lors du paiement de ceux-ci, instaurant de fait en Italie «une monnaie parallèle ayant un pouvoir quasi libératoire». Pour rappel, le pouvoir libératoire d'une monnaie signifie que celle-ci peut libérer son utilisateur de ses dettes car nul ne peut la refuser, tandis que dans le cas des «mini-Bots» seul le fisc italien est tenu de les accepter en règlement de ce qu'on lui doit.
Tout en restant dans la zone euro, les Italiens pourraient-ils donc être amenés à utiliser une autre devise de façon régulière ? Selon l'économiste, la mise en circulation des «mini-Bots» permettrait au gouvernement d'«habituer les Italiens à utiliser une autre monnaie que l'euro» sans avoir à «violer les traités européens» dont découle, entre autres, l'impossibilité pour les pays membres de la zone euro de mettre en circulation une autre devise à pouvoir libératoire.
Niveau logistique, c'est tout prêt
Bien que le Trésor public italien se soit pour l'heure montré hostile à la mise en circulation de la devise «mini-Bot», le sort de celle-ci reste difficile à prévoir quelques jours après le vote d'une motion en sa faveur au Parlement italien. Pour sa part, l'ancien salarié de la BCE estime qu'il n'est pas anodin que le projet soit relancé dans la foulée des élections européennes : «Niveau logistique, c'est tout prêt, sinon Salvini n'en aurait pas parlé. Il a simplement attendu d'être en position de force au lendemain du scrutin, ça fait plus d'un an qu'il y réfléchit.» Sur l'aspect pratique, Vincent Brousseau explique que les «mini-Bots» devraient se concrétiser sous «un format papier pour une facilité d'usage».
Quelles pourraient être les conséquences ?
La simple relance du débat sur la potentielle émission des «mini-Bots» n'a pas tardé à faire réagir les marchés. Comme le rapporte Les Echos, le taux d'emprunt italien à cinq ans a en effet bondi jusqu'à 1,75% le 31 mai, soit plus que celui de la Grèce, dont le taux à cinq ans a atteint 1,69%. Un phénomène dénoncé par Claudio Borghi qui a accusé les banques centrales de laisser les emprunts d'Etat «évoluer au gré des spéculations, au jour le jour», toujours selon Les Echos.
De son côté, Vincent Brousseau explique que la mise en circulation des «mini-Bots» entraînerait une nouvelle reconnaissance de dette de la part du Trésor public, provoquant de facto une augmentation de la dette nationale. Auquel cas «l'Etat italien pourrait être attaqué devant la Cour de justice de l'Union européenne pour dépassement de la dette», prévoit l'économiste de l'UPR.
Une première phase du processus d'une sortie italienne de l'euro
Par ailleurs, l'ancien de la BCE considère que le «mini-Bot» pourrait constituer «une première phase du processus d'une sortie italienne de l'euro», au grand dam des défenseurs de la devise européenne. «Les européistes ne veulent pas qu'un pays quitte l'UE», estime-t-il, avant d'ajouter qu'au sein des institutions européennes, «des juristes auraient depuis longtemps commencé à travailler sur la clause flexibilité de l'Union européenne et sur d'autres moyens juridiques afin qu'une potentielle sortie italienne de l'euro ne débouche pas sur un Italexit.»
En tout état de cause, à l'approche des recommandations annuelles que la Commission européenne s'apprête à envoyer aux pays membres de l'UE, la question du «mini-Bot» intervient dans un contexte tendu entre Bruxelles et Rome concernant le budget italien. Au lendemain des élections européennes, on apprenait en effet que l'exécutif européen était sur le point de relancer les hostilités en ouvrant la voie à une procédure disciplinaire contre le gouvernement de coalition...
Fabien Rives