Le Sénat s'est opposé le 6 février, au projet de privatisation du groupe ADP (Aéroports de Paris), droite et gauche invoquant des arguments économiques, tout autant que des questions de souveraineté ou de sécurité. «C'est une entreprise qui fonctionne, gardez-la», a lancé Roger Karoutchi (LR), tandis que Fabien Gay (CRCE à majorité communiste) estimait que si la droite et la gauche faisaient «le choix ensemble de refuser cette privatisation [...] il faudra[it] entendre la voix du Sénat».
Lors de l'examen en première lecture du projet de loi Pacte sur la croissance des entreprises, la chambre haute a adopté, par 246 voix contre 78, des amendements de suppression de l'article 44 qui modifiait le régime juridique d'ADP et ouvrait la voie à sa privatisation. La très grande majorité des Républicains a voté pour ces amendements de suppression, de même que la totalité des groupes PS et CRCE et une partie des Indépendants. Ont voté contre la grande majorité des centristes, le groupe LREM et la quasi-totalité du groupe RDSE (à majorité radicale).
Mais en cas de désaccord sur le texte définitif, c’est l’Assemblée nationale, dominée par le groupe LREM qui aura le dernier mot sur cet article qu’elle a déjà adopté en première lecture. Au terme des débats qui se sont prolongés dans la nuit du 6 au 7 janvier, le Sénat s'est également opposé au projet de privatisation de la Française des Jeux (FDJ).
L'Etat est jusqu'ici tenu de conserver la majorité des parts du groupe ADP. Le projet de loi Pacte lui permettra, une fois adopté, de procéder à la vente au privé de tout ou partie des actifs qu'il détient dans le groupe aéroportuaire, soit 50,63% des parts représentant quelque 9,5 milliards d'euros au moment de l'élaboration du projet. La future privatisation d'ADP doit prendre la forme d'une concession pour 70 ans. Les analystes boursiers pensent d'abord au groupe Vinci parmi les possibles candidats à l'achat de cette concession.
«Porte de la France»
Malgré les explications du ministre de l'Economie Bruno le Maire qui a voulu distinguer la privatisation d'ADP de celle des autoroutes qui date de 15 ans, ce précédent a été évoqué par les députés.
«Après le désastre financier de la privatisation des autoroutes, vous nous proposez de privatiser des actifs hautement sensibles», s'est par exemple emporté le socialiste Martial Bourquin qui a ajouté : «Si Vinci n'a pas eu Notre-Dame-des-Landes, ce n'est pas une raison pour lui faire un cadeau.»
«Nous parlons de notre principale frontière», a renchéri David Assouline (PS). Le député LR Michel Vaspart a, lui, jugé «étonnant de vendre au privé ce qui rapporte à l'Etat», se disant «opposé à la privatisation d'un monopole».
Le produit des cessions d'actifs d'ADP, ainsi qu'une partie de ceux détenus par l'Etat dans la Française des jeux et Engie, devrait être investi en obligations d'Etat et rapporter 250 millions d'euros par an qui serviront à financer des projets innovants.
En revanche le Sénat, où la droite est majoritaire, a autorisé le lendemain l'Etat à descendre en-dessous du seuil des 33,3% des parts dans le capital d'Engie (ex-GDF Suez), ouvrant la voie à un désengagement total ou partiel de l'Etat.
La droite a fait une distinction entre ADP et l'entreprise héritière de Gaz de France qu'il lui a semblé moins stratégique et même vouée à être privatisée comme l'a résumé le sénateur LR Roger Karoutchi : «Nous ne sommes pas du tout dans la même situation qu'ADP. [Engie] est par définition une entreprise tournée vers la concurrence internationale». Et d'ajouter : «Si on veut avoir une entreprise réellement ouverte à la compétition [...] nous avons besoin d'une entreprise très libre.»
Seule la gauche s’est opposée au désengagement de l’Etat d’Engie. Le groupe CRCE (à majorité communiste) a dénoncé «un article de démantèlement de l'outil industriel que constitue l'ex-société publique Gaz de France» et «une erreur stratégique fondamentale du gouvernement». Pour Franck Montaugé (PS), il marque «la dernière étape du démantèlement complet de feu Gaz de France».
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