C’est l’anxiété chez les agriculteurs américains qui craignent de voir leurs exportations chuter. Leurs trois premiers marchés, la Chine, le Mexique et le Canada, sont en effet la cible des mesures annoncées par la Maison Blanche dans sa guerre commerciale pour imposer un «commerce juste et équitable», selon l’expression employée par la Maison Blanche.
Cette inquiétude a pris forme avec la renégociation de l’Alena, accord de libre-échange conclu il y a 25 ans avec le Mexique et le Canada, débouchés historiques de leur production. L’échange de menaces avec la Chine a aggravé leurs craintes. Beaucoup de filières sont actuellement en surproduction. Une chute de leurs exportations vers ces trois marchés pourrait entraîner de nombreuses faillites.
En effet, Chine, Mexique et Canada sont, de loin, les trois premiers partenaires agricoles des Etats-Unis, vers lesquels se font 43% des exportations. En 2017, les Etats-Unis ont exporté pour près de 61 milliards de dollars de produits agricoles vers ces trois pays, dont 22 milliards vers la Chine, devenu le premier marché pour l'agriculture américaine dès 2011.
Certaines filières sont même complètement dépendantes du commerce avec la Chine ou avec les partenaires de l'Alena. Ainsi, un quart du soja américain est exporté vers la Chine, son premier débouché mondial au même titre que le coton. Or, la concurrence de ce qu'on surnomme la «Republica unida de la soja» (République unie du soja, expression inventée par le groupe agro-chimique suisse Syngenta pour désigner le Brésil, l’Argentine, la Bolivie et le Paraguay) pourrait facilement remplacer la production américaine. Quant au porc, le Mexique représente à lui seul le quart des exportations américaines.
Enfin, l’Alena a beaucoup profité aux producteurs de maïs américains qui ont vu, grâce à des subventions d'Etat, leurs exportations vers le Mexique multipliées par cinq depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange américain. En revanche, ce flux important avait réduit d’un quart environ le nombre de petits agriculteurs chez le partenaire méridional des Etats-Unis. Mais les menaces de mesures de rétorsion chinoises, ciblant notamment les exportations de soja, ont entraîné une baisse du cours des oléagineux déjà touchés par une crise de surproduction.
Des Etats agricoles qui ont massivement voté pour Trump en 2016
Or, ce sont en grande partie les Etats agricoles qui ont porté Donald Trump à la Maison-Blanche. Ainsi, sur les neuf Etats de la Corn belt de la région des grands lacs, sept ont donné la majorité à Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2016. Le président américain aurait donc gros à perdre lors des élections de mi-mandat en novembre prochain, si les agriculteurs se sentaient lésés dans les négociations en cours.
Les producteurs viticoles américains sont aussi menacés par les conséquences possibles d’un bras de fer avec la Chine. Le 4 avril, en réponse à la publication de nouvelles taxes douanières américaines, la Chine avait immédiatement réagi en incluant les vins américains sur la liste des produits qui pourraient faire l’objet de taxes élevées. Mais leur situation est un peu différente car ils sont principalement concentrés en Californie, un Etat qui avait choisi la candidate démocrate.
Pour Darci Vetter, ancien chef négociateur américain pour l’agriculture dans le cadre de l’Alena, interrogé par Reuters fin janvier, les négociations très dures imposées par l’administration Trump pourraient durer encore deux ans. Selon lui cette période d’incertitude rendrait plus difficiles les exportations agricoles vers le Canada et le Mexique, les deux partenaires commerciaux des Etats-Unis et principaux débouchés commerciaux des agriculteurs américains.
Pire, les incertitudes et la rhétorique parfois brutale de Donald Trump pourraient aller jusqu’à favoriser d’autres pays, malgré des écarts de prix. L’agence américaine cite ainsi un haut responsable de la société américaine de financement l’agricole MaxYield qui explique : «Vous construisez une relation avec des partenaires avec qui cela devient très confortable de travailler. Et nous commençons à voir que cette relation peut devenir plus importante que le prix pour les pays importateurs.»
L’agence rapporte ainsi l’arrivée récente de cargos brésiliens de céréales dans le port mexicain de Veracruz, à des prix plus élevés de 2 dollars par tonne à un moment où, en raison de stocks élevés, les prix américains sont au plus bas.
L'agriculture est l'un des seuls secteurs à la balance commerciale positive aux Etats-Unis. C'est le cas depuis 50 ans. L'an dernier, le bénéfice était légèrement supérieur à 21 milliards de dollars, pour 140 milliards d'exportations.
Lire aussi : Au nom du libre-échange, l’Union européenne pourrait sacrifier les producteurs de colza