Le calendrier semble idéalement organisé. En effet, alors que bruissent dans la presse française des rumeurs de remaniement ministériel, un nouveau job prestigieux est à prendre… au niveau européen. C’est celui du président sortant de l’Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem dont le successeur devrait être élu le 4 décembre prochain. Et le ministre de l'Economie Bruno Le Maire pourrait bien briguer le poste.
Selon l’AFP, le Portugais Mario Centeno, le Luxembourgeois Pierre Gramegna, la Lettone Dana Reizniece-Ozola font partie des noms évoqués. Quant au ministre des Finances slovaque, Peter Kazimir, il a été le premier a se déclarer officiellement «intéressé», lors de la réunion de l'Eurogroupe à Bruxelles du 6 novembre. Bruno Le Maire, resté ce jour-là à Paris pour défendre son budget et empêtré dans le couac réglementaire de la taxe sur les dividendes invalidée par le Conseil constitutionnel, fait figure d’outsider.
Mais il a déjà une qualité indispensable pour briguer le poste : il est ministre des Finances en exercice. En effet, c'est parce que sa formation politique, le Parti travailliste néerlandais (PvdA), a perdu les dernières élections législatives, le privant de son poste de ministre des Finances des Pays-Bas depuis le 26 octobre, que Jeroen Dijsselbloem doit renoncer à un briguer un nouveau mandat à la tête de l'Eurogroupe. Quant à Bruno Le Maire, un article publié par le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung le place parmi les concurrents les plus sérieux.
Absent à l'Eurogroupe mais présent à Berlin
Mais surtout, il devrait rencontrer à Berlin, le 8 novembre, son homologue Peter Altmaier, un allié proche d’Angela Merkel au sein de l'Union chrétienne démocrate d'Allemagne (CDU). Il devrait en profiter pour s'entretenir également avec Christian Lindner, chef du Parti libéral démocrate (FDP), ainsi que Cem Oezdemir, des Verts. Ces deux partis sont actuellement en discussions serrées avec la chancelière allemande Angela Merkel pour former un gouvernement de coalition.
Officiellement, Bruno Le Maire se rend à Berlin pour défendre le projet de réforme de la zone euro présenté par le président de la République Emmanuel Macron lors de son discours à la Sorbonne, le 26 septembre. Il doit par la même occasion faire avancer le nouveau traité de l’Elysée qui doit être signé le 22 janvier prochain. La nouvelle mouture de cet accord historique, paraphé par Charles de Gaulle et le chancelier Allemand Konrad Adenauer en janvier 1963 dans les salons de l’Elysée, prône une intégration renforcée des économies des deux pays en appliquant les mêmes règles à leurs entreprises.
Mais, selon Reuters, «les discussions à Berlin de mercredi [8 novembre] pourraient être décisives pour déterminer s’il [Bruno Le Maire] monte sur le ring». La fonction de président de l’Eurogroupe prévoit la direction de réunions mensuelles et l’orientation de la politique de l’Union monétaire (mais pas la politique monétaire elle-même, qui relève exclusivement de la Banque centrale européenne).
Ainsi, le «Monsieur Euro», tel qu’on le nomme dans les couloirs de l’exécutif européen, doit veiller au respect par les Etats membres des objectifs de déficit et de dette publics. Malgré ses airs de sinécure luxueuse, la présidence de l’Eurogroupe a servi à Jean-Claude Juncker, qui l’a exercée de janvier 2005 à janvier 2013, de marche-pied pour le présidence de la Commission européenne.
Un poste européen aux responsabilités élargies plutôt qu'une disgrâce auprès de l'Elysée ?
Mais surtout, le poste pourrait voir ses prérogatives s'élargir très sérieusement, si les vœux de l'actuel et très influent président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker étaient exaucés. Ainsi, lors de son discours-programme annuel sur l'état de l'UE à Strasbourg, le 13 septembre, il avait déclaré : «Je ne voudrais pas que l'on crée un nouveau poste, je demande pour des raisons d'efficacité que le commissaire [européen] chargé de l'Economie et des Finances devienne ce ministre – idéalement vice-président de la Commission européenne – et soit également le président de l'Eurogroupe.»
C’est un être sournois qui a peur d’assumer une décision dont il sait qu’elle peut nuire à son image. Il a un côté serpent qui s’apprête à mordre
Mais pourquoi Bruno Le Maire devrait-il s’inquiéter pour son maroquin à Bercy ? Il n’était finalement même pas cité dans l’article du Parisien, publié le 4 novembre et titré «Remaniement : spéculations et manipulations vont bon train». Toutefois, un indiscret publié dans l’édition du Canard enchaîné datée du 1er novembre révélait l’état exécrable des relations entre le président de la République et l’un de ses principaux ministres. Emmanuel Macron n’aurait pas pardonné à Bruno Le Maire d’avoir commandé à l’inspection générale des finances un rapport sur la désormais célèbre taxe sur les dividendes qui doit être rendu public le 10 novembre. Or, cette taxe a été décidée à l’été 2012, quand Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l’Elysée, chargé des dossiers fiscaux. C’est ce qui aurait inspiré, selon le palmipède, citant un conseiller de l’Elysée, ce jugement sans appel du chef de l’Etat à l’égard du ministre des Finances : «C’est un être sournois qui a peur d’assumer une décision dont il sait qu’elle peut nuire à son image. Il a un côté serpent qui s’apprête à mordre.»