L'Union européenne veut bien appuyer les sanctions politiques des Etats-Unis contre la Russie, mais semble en avoir assez de payer l'addition. L'alourdissement des sanctions voté par la Chambre des représentants américains le 25 juillet contre la Russie (entre autres) suscite l'inquiétude de Bruxelles, notamment en raison de son caractère unilatéral et de ses potentielles conséquences économiques. En effet, jusqu'ici, les sanctions contre Moscou étaient coordonnées des deux côtés de l'Atlantique et ne touchaient pas au secteur énergétique — tel n'a pas été le cas cette fois.
Dans un communiqué, la Commission européenne a évoqué ce 26 juillet son «inquiétude». Elle dit redouter un «possible impact sur l'indépendance énergétique de l'Union européenne (UE)», car les infrastructures transportant des ressources énergétiques en Europe ainsi que des «projets cruciaux» pour les objectifs européens de «diversification énergétique» seraient plus particulièrement susceptibles de pâtir des nouvelles sanctions décidées par Washington. Or, la ligne rouge fixée communément par les Etats-Unis et l'UE prévoyait précisément que les sanctions n'affectent pas l'approvisionnement en gaz de l'Europe.
Problème : la loi déjà à moitié adoptée aux Etats-Unis (elle doit encore être votée par le Sénat) donne au président la possibilité de mettre en place des sanctions contre toute entreprise européenne travaillant sur des pipelines venant de Russie. Il s'agirait par exemple de limiter l'accès aux banques américaines des entreprises concernées, ou de les exclure des marchés publics aux Etats-Unis. Les partenaires européens du projet de gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'Allemagne via la Baltique, parmi lesquels le français Engie, les allemands Uniper (ex-EON) et Wintershall (BASF), l'autrichien OMV et l'anglo-néerlandais Shell, en feraient lourdement les frais.
Juncker : «L'Amérique d'abord ne veut pas dire l'Europe en dernier»
Face aux «possibles conséquences politiques négatives» de ces sanctions, Bruxelles rappelle qu'elle a toujours privilégié la coordination entre les pays du G7... mais que si la concertation venait à n'être plus de mise, elle n'hésiterait pas à réagir. «L'Amérique d'abord ne veut pas dire l'Europe en dernier», a ainsi tonné ce 26 juillet 2017 le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, cité par Reuters. Ce dernier a rappelé qu'il était d'ores et déjà «prêt à agir pour protéger les intérêts européens» dans l'hypothèse où ses craintes ne seraient «pas prises en compte» par les Etats-Unis.
Il s'agirait autrement dit de modifier les lois européennes existantes en conséquence, afin de pallier les retombées économiques négatives — une option déjà évoquée il y a quelques semaines par Jean-Claude Juncker. Celui-ci avait estimé que, en cas de sanctions contre Moscou, «Bruxelles [devrait] se tenir prête à réagir en quelques jours».
Ces inquiétudes européennes sont bien évidemment exacerbées dans les Etats membres de l'UE où les intérêts économiques liés à la Russie sont les plus développés. Outre la France, qui a déjà fait savoir qu'elle considérait les nouvelles sanctions américaines comme «contraires au droit international» en raison de leur extraterritorialité, l'Allemagne redoute également que ses entreprises ne soient pénalisées. D’après le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères «le gouvernement américain conduit, sous couvert de sanctions, une politique industrielle en faveur des entreprises américaines du secteur de l’énergie».
Volker Treier, économiste en chef de la Chambre de commerce et d'industrie allemande, a ainsi exprimé son inquiétude : «On a le sentiment que les Etats-Unis défendent leurs propres intérêts économiques», a-t-il déclaré selon l'agence russe TASS. Selon lui, il appartient désormais à l'UE de «faire la lumière sur cette affaire», avant, éventuellement, de réagir.