Un «record historique depuis 15 ans» : tel est le constat dressé par le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest dans son rapport annuel, publié ce 22 novembre, au sujet des rémunérations des grands patrons.
100 fois la rémunération moyenne des salariés
Selon l'étude, les rémunérations des dirigeants du CAC 40 ont augmenté de 52% par rapport à 2019, avec une moyenne qui s'élève à 7,9 millions d’euros. Le cabinet a pris en compte, au-delà du salaire fixe, les bonus, jetons, avantages en nature, stock-options et actions gratuites dont bénéficient les grands patrons, et relève «des records historiques pour chaque composante» : les bonus annuels ont ainsi fait un bond de 33%.
Ces résultats paraissent logiques, comme le souligne Le Monde, puisque lesdites rémunérations dépendent largement des résultats des sociétés, «excellents pour la plupart d’entre elles en 2021», et déjà à l'origine de polémiques sur les «superprofits».
La hausse s'explique également par un «effet Carlos Tavares», le patron de Stellantis ayant vu sa rémunération totale atteindre un record jamais observé par Proxinvest, à 66,7 millions d'euros annuels, ce qui ne l'avait pas empêché de déclarer qu'il était «un salarié comme les autres» à la mi-octobre.
Dans le palmarès des plus hauts revenus figurent ensuite Bernard Charlès pour Dassault Systèmes (44 millions d'euros), Daniel Julien pour la société de centre d'appels Teleperformance (19,6 millions d'euros) et François-Henri Pinault pour le groupe de luxe Kering (12 millions d'euros). Paul Hudson, le PDG du laboratoire pharmaceutique Sanofi, fait presque pâle figure avec 9 millions d'euros.
Plus largement, c'est «la première fois en huit ans que la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 représente plus de 100 fois la rémunération moyenne des salariés», soit 369 fois le SMIC en base 39 heures, constate le rapport.
La gauche dénonce des inégalités injustifiables
Les différentes composantes de la gauche ont jugé ces niveaux de rémunération indécents et ont rapidement fait le lien avec la réforme controversée de l'assurance-chômage décidée par le gouvernement, qui prévoit dès le 1er février 2023 de réduire la durée d’indemnisation de 25% en raison de la «bonne tenue» du marché du travail, avec une évolution en fonction de la conjoncture.
Pour la gauche, il s'agit d'un nouveau coup de rabot sur les indemnités des demandeurs d'emploi et des salariés les plus précaires.
«Le même jour : cri d’alarme des Restos du cœur et hausse de 52% des revenus des patrons du CAC 40», s'est émue l'ancienne ministre socialiste Ségolène Royal, faisant allusion à l'alerte de l'association caritative qui a annoncé une nette hausse (+12%) du nombre de personnes qu'elle accueille depuis avril 2022. «La baisse des indemnités chômage et la baisse des retraites ("les réformes") dans ce contexte sont une provocation ou un aveuglement», a-t-elle vivement dénoncé.
«Les patrons du CAC 40 vont bien», a consté l'ONG Oxfam, ajoutant que «malheureusement, on ne peut pas en dire autant de la rémunération des salariés...»
«La seule rémunération qui augmente plus vite que l’inflation, c’est celle des grands patrons…», a relevé pour sa part la députée LFI de Seine-Maritime Alma Dufour. «Et vous, votre salaire/pension de retraite/allocation chômage... a augmenté de combien ?», a interrogé, sur le même registre, l'ancien porte-parole d'Attac, Raphaël Pradeau.
«Patrick Pouyanné, PDG de Total, avait raison : en augmentant sa rémunération de 52% en 2021, il est dans la moyenne... pas des Français... mais des patrons du CAC40 !», a ironisé le député LFI de la Somme François Ruffin, évoquant les arguments récemment employés par le patron de l'entreprise pétrolière pour défendre ses émoluments.
«Les mêmes refusent l'indexation des salaires sur l'inflation par peur d'une "spirale"!», a-t-il ajouté.
«C’est honteux quand dans le même temps on refuse d’indexer les salaires sur l’inflation !», a renchéri, côté syndicats, la Fédération des cadres et des employés Force ouvrière.
«Ne comptez pas sur moi pour distribuer les bons et les mauvais points aux patrons français», avait déclaré le ministre de l'Economie Bruno Le Maire lors de la polémique relative aux «super-dividendes» engrangés par une série d'entreprises, alors qu'un amendement venu du centre avait été voté contre l'avis du gouvernement.
Si Bruno Le Maire a toujours été très hostile à un encadrement strict des dividendes versés aux actionnaires ou des rémunérations des dirigeants d'entreprise, plusieurs voix dans la majorité semblent avoir pris conscience du caractère inflammable du sujet des inégalités et des salaires, alors que l'inflation percute le pouvoir d'achat des Français.
L’exécutif renvoie cependant toute réforme du «partage de la valeur» à la convention du parti Renaissance, prévue début 2023. Le 17 novembre, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a promis qu'une loi sur le dividende salarié, visant à ce que les entreprises rétribuent aussi bien les actionnaires que les employés, passerait «au cours du quinquennat».