Le «Trafalgar australien» souffle sa première bougie ce 15 septembre. Il y a tout juste un an, Scott Morrison, Premier ministre australien, rompait lors d’une visioconférence avec son homologue britannique Boris Johnson et le président américain Joe Biden, le contrat liant Canberra à Naval Group (ex-DCNS).
Tout juste après avoir annoncé la création d’une alliance tripartite, baptisée Aukus (pour Australie-Royaume-Uni-Etats-Unis), le chef du gouvernement australien avait déclaré que sa première mission serait «de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie». Humiliée, la France venait d’apprendre le renoncement de l’Ile-continent à sa commande de 12 sous-marins, signée cinq ans plus tôt.
Un «coup dans le dos» de la part de l’Australie et des Etats-Unis, avait pesté Jean-Yves le Drian, alors ministre français des Affaires étrangères, avant de rappeler ses ambassadeurs à Canberra et Washington. De son côté, Emmanuel Macron a affirmé que ce revirement australien avait «rompu la relation de confiance» entre les deux capitales. Mais, depuis, l’eau semble avoir coulé rapidement sous les ponts.
Dès octobre 2021, le président français acceptait le mea-culpa de Joe Biden. «Une maladresse» avait concédé à Rome le locataire de la Maison-Blanche à son homologue de l’Elysée, après l’avoir fait attendre une heure et demie sur le perron de la villa Bonaparte. Quant à l’Australie, la défaite fin mai dernier de Scott Morrison aux législatives a ouvert la voie à un dégel rapide des relations bilatérales entre Paris et Canberra.
Paris prêt à construire quatre sous-marins pour Canberra ?
Deux semaines après son accession au pouvoir, mi-juin, le nouveau Premier ministre australien Anthony Albanese dévoilait un plan d’indemnisation de Naval Group à hauteur de 555 millions d’euros. Un accord «équitable», salué par le constructeur naval. «Nous sommes en train de rétablir une meilleure relation entre l'Australie et la France», affirmait alors Anthony Albanese. Dès le mois de juillet, celui-ci était reçu à l’Élysée.
Visite officielle à l’occasion de laquelle Emmanuel Macron lui aurait, selon la presse australienne, proposé… des sous-marins. Une livraison portant sur «quatre sous-marins qui ne seraient cette fois pas construits à Adélaïde, comme le prévoyait le contrat originel, mais à Cherbourg, sur les terres de Naval Group», précise Le Figaro qui a relayé l’information.
Depuis un an, les Français estiment le volte-face de l’Australie bien trop déraisonné. Décroché par Naval Group en 2016, signé en 2019, le fameux «contrat du siècle» prévoyait la livraison des premiers submersibles pour le «début des années 2030».
Une perspective raisonnable au regard de la date de mise au rebut des six sous-marins de classe Collins de la Royal Australian Navy. Problème : le revirement de Canberra sur la propulsion nucléaire – dans un pays qui n’a jamais investi dans l’atome – a mécaniquement éloigné la date de livraison du premier bâtiment.
Rupture capacitaire : casse-tête des Australiens, opportunité des Français
Confrontés à des retards de livraison et à des surcoûts, les Etats-Unis et le Royaume-Uni rencontrent des difficultés sur leurs actuels programmes de sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) Virginia et Astute que lorgnait Canberra.
Ainsi, fournir rapidement des submersibles à l’Australie n’apparait plus être une priorité de premier plan pour Washington et Londres.
Espérée «vers 2040», la mise à l’eau du premier sous-marin nucléaire australien pourrait ne pas survenir avant… 2050. Une échéance cette fois-ci hors de portée des vieux Collins, dont la durée de service a déjà été prolongée. Sans parler du fait qu’un seul submersible «ne fait pas une capacité» comme le souligne l’Institut australien de stratégie politique (ASPI). C’est dans ce trou capacitaire que, visiblement, l’Elysée escompterait jouer son va-tout.
Le temps semble d’autant plus jouer en faveur de Paris que les doutes émergent même dans la presse américaine. Le 1er septembre, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a reçu son homologue australien à la base navale de Brest afin d’officialiser la réconciliation entre les deux pays.
Faut-il pour autant vendre si vite la peau d’Aukus ? Lors de l’annonce de leur accord, les trois puissances anglo-saxonnes – historiquement alliées – s’étaient fixé un délai de 18 mois de «discussions» afin de proposer à Canberra la meilleure solution pour la doter d’une sous-marinade nucléaire. Délai qui court toujours.
S’ils émettent des doutes sur leurs capacités, à l’heure actuelle, à mettre rapidement en chantier des sous-marins nucléaires pour leur allié australien, Londres et Washington ont donné leur feu vert pour former les sous-mariniers de la RAN sur leurs bâtiments.
C’est également sans compter sur le fait que les Français ne sont pas les seuls à percevoir une opportunité dans les craintes australiennes de subir une rupture capacitaire. Les Coréens du Sud sont sur le qui-vive, comme le relate Opex360. Le site spécialisé souligne également l’intérêt du concepteur des actuels Collins australiens, Saab, qui «regarde le dossier de près». L’entreprise suédoise mise, elle aussi, sur le trou de capacité que créerait un retrait des Collins avant l’arrivée des SNA.