Hijab à l'Assemblée : la gauche et LREM se déchirent sur la laïcité et le communautarisme

Hijab à l'Assemblée : la gauche et LREM se déchirent sur la laïcité et le communautarisme© JOEL SAGET Source: AFP
L'Assemblée nationale à Paris (image d'illustration).
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La présence d'une intervenante en hijab à l'Assemblée provoque un tollé politique. Si certains défendent la présence d'une femme voilée dans l'institution républicaine, d'autres se scandalisent. Au milieu de tout cela, la laïcité est invoquée...

En envoyant le 17 septembre une représentante avec un hijab à l'Assemblée, le syndicat étudiant Unef a réveillé une fracture au sein des politiques, touchant particulièrement la gauche et La République en marche. Plusieurs députés ont de fait quitté la salle pour protester contre le voile islamique porté par la vice-présidente de l'Unef, Maryam Pougetoux, perçu comme une «provocation» communautariste, lors de l'audition de représentants de syndicats étudiants dans le cadre de la commission d'enquête sur «les effets de la crise du Covid-19 sur les enfants et la jeunesse». 

Le député du Pas-de-Calais Les Républicains (LR) Pierre-Henri Dumont, qui fait partie de ces indignés, estime qu'il s'agissait d'un «acte communautariste délibéré» qui enfreignait «le principe de laïcité auquel doit s'astreindre notre assemblée». Il a quitté la salle, au même titre que la députée de La République en marche (LREM) Anne-Christine Lang, qui n'a pu «accepter qu'au sein de l'Assemblée nationale, le cœur battant de la démocratie [...], nous acceptions qu'une personne se présente en hijab devant une commission d'enquête». «Je ne peux accepter qu’une personne vienne participer à nos travaux [...] en hijab, qui reste pour moi une marque de soumission», a-t-elle appuyé dans un tweet.

Face à eux, la présidente LREM de la commission, Sandrine Mörch, a déploré un «mauvais procès» en rappelant qu'«aucune règle n'interdi[sait] le port de signe religieux pour les personnes auditionnées».

Plusieurs questions se posent : si le règlement de l'Assemblée nationale autorise effectivement les intervenants à arborer leurs signes religieux, celui-ci est-il adapté face au séparatisme islamiste, dénoncé dans plusieurs discours par Emmanuel Macron lui-même ?

Et la laïcité est-elle vraiment au cœur de ce débat-là ? La laïcité n'est en réalité qu'un cadre général et moral qui impose une neutralité de l'Etat et permettant, dans l'espace public, pour n'importe quel citoyen, d'arborer des signes religieux, si ceux-ci ne troublent pas l'ordre public ou n'enfreignent pas la loi. Ce n'est donc pas la laïcité qui semble entravée par le port du voile islamique.

Si, à droite, rares sont ceux qui ont critiqué le départ des députés lors de la commission d'enquête, au sein du parti majoritaire, le malaise est palpable. La députée LREM Bérangère Couillard s'oppose au discours de sa collègue macroniste Anne-Christine Lang : «Le règlement de l’Assemblée nationale doit-il évoluer ? Je ne le crois pas. Ce que je pense, c’est que les propos tenus par ma collègue [Anne-Christine Lang] à cette femme [Maryam Pougetoux] sont d’une violence inouïe !»

Même son de cloche pour l'élu LREM de Marseille Saïd Ahamada, qui se «désolidarise de la décision de boycott de ces députés» : «Cette étudiante n'a enfreint aucune loi. Peu importe ce que l'on pense du voile, les députés que nous sommes doivent donner l'exemple en respectant la loi, et accepter la contradiction. C'est le propre d'une démocratie.»

La délégué général de LREM et député Stanislas Guerini a pour sa part employé des mots forts contre Anne-Christine Lang, et confie qu'il n’«aurait pas agi comme sa collègue» : «En matière de laïcité, il faut respecter la loi, toute la loi, rien que la loi. Il ne faut pas hystériser les débats. Moi, j’aurais agi avec beaucoup de calme.»

Ce à quoi Anne-Christine Lang a répondu, notant que l'argument de Stanislas Guerini était «assez classique» : «Quand une femme montre un peu de courage, on la traite d’hystérique.»

Sur les réseaux sociaux, la majorité présidentielle semble clairement désavouer l'attitude d'Anne-Christine Lang. Celle-ci peut malgré tout compter sur quelques soutiens, tels que le député LREM de Paris, Sylvain Maillard – qui approuve le lien entre hijab et «soumission» – ou le député de l'Indre, François Jolivet, qui dit «partager» avec sa collègue «le socle de la laïcité» : «Nous sommes attachés au principe d’universalité, et à une puissance publique neutre sur le plan confessionnel.»

Elle a pu recevoir aussi le soutien d'un élu d'un parti allié, le Modem. Pour le député de Loire-Atlantique Luc Geismar, il ne faut pas accepter le hijab à l'Assemblée nationale car «le respect des croyances ne justifie nullement l’affichage ostensible des signes religieux au titre du principe de laïcité».

Au sein de LREM, la division sur ce type de sujets est patente depuis plusieurs mois, à l'image du débat sur le port du voile islamique par des accompagnatrices en sorties scolaires. D'un côté, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, soutenu par Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, ne le trouvait pas «souhaitable», quand Cédric O ou Sibeth Ndiaye, quant à eux, vantaient la diversité.

Sans surprise, les Macron-compatible du groupe Ecologie démocratie solidarité (EDS) – qui ont parmi leurs membres fondateurs Aurélien Taché, l'un des promoteurs d'une France multiculturelle – s'en sont également pris aux élus de droite et à Anne-Christine Lang. Emilie Cariou, par exemple, pointe «l'intolérance» en mettant sur le même plan les femmes en jupes courtes et celles portant le voile islamique : «Entre ceux qui refusent les jeunes femmes voilées et ceux qui refusent les jupes trop courtes et veulent que les jeunes femmes s’habillent "correctement" on atteint le summum d’intolérance ! Laissez les jeunes femmes libres de leur tenue vestimentaire !»

Concernant La France insoumise, ils sont quasi-unanimes à défendre le port du voile islamique, en audition, par Maryam Pougetoux. Adrien Quatennens ou Clémentine Autain ont par exemple dénoncé le fait que les parlementaires, troublés par le hijab, ne se soient pas scandalisés lors des auditions de religieux comme celles d'un évêque, d'un rabbin ou d'un bouddhiste.

Néanmoins, comme le rappelle Anne-Christine Lang, ceux-ci étaient venus lors de précédentes auditions en leur qualité de représentants de culte, «ce qui est très différent». Ce qui n'était effectivement pas le cas de la vice-présidente de l'Unef, venue en tant que membre d'un syndicat qui, historiquement, se qualifie comme «laïc».

Dans le reste de la gauche, globalement, les réactions sont quasi-inexistantes. Anne-Christine Lang a toutefois reçu un appui surprenant, celui de Ségolène Royal. Sur BFM TV, le 18 septembre, l'ancienne candidate à la présidentielle affirme qu'elle aurait probablement quitté la salle. Elle constate que la loi n'est pas si claire, étant donné que le «règlement de l'Assemblée nationale n'a pas prévu ce cas parce que c'était imprévisible». Et de questionner : «Comment se fait-il qu'elle [Maryam Pougetoux] a pu rentrer sans que l'alerte soit donnée, sans qu'il y ait une discussion avec elle ? Même si je pense que c'est du militantisme de sa part.» Ségolène Royal aimerait de fait que le règlement puisse clarifier le port de signes religieux lors des enquêtes parlementaires.

L'Unef a-t-il fait un coup de communication, prenant au piège les députés ? Les parlementaires qui ont marqué leur opposition par leur départ ont en effet affirmé que l'Unef avait annoncé la présence de la présidente de l'UNEF et non pas de la vice-présidente voilée, Maryam Pougetoux. «Donc non, nous ne savions pas avant d'entrer dans la salle que cette militante allait venir», confirme Pierre-Henri Dumont.

Alors qu'Emmanuel Macron devait prononcer un discours à Lunel, fin septembre, pour évoquer le séparatisme, BFM TV a appris le 17 septembre que le président avait décidé non seulement de repousser cette prise de parole, mais qu'un texte visant à lutter contre les communautarismes, prévu initialement à la rentrée, serait finalement repoussé au débat parlementaire pour 2021. Est-ce le signe d'une certaine frilosité sur cette question explosive ? A 18 mois de la présidentielle, nul doute que le pouvoir se passerait bien d'une nouvelle querelle dans ses troupes.

Bastien Gouly

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