La rupture entre les Européens et la Russie est consommée, aux yeux du chef de la diplomatie russe. Lors d’une prise de parole à la XXXIIe assemblée du Conseil de la politique étrangère et de défense (SVOP) ce 18 mai à Moscou, Sergueï Lavrov a déclaré être en phase avec un diagnostic des relations russo-européennes dressé par l’ancien directeur du Centre Carnegie de Moscou.
«Je me rappelle que Dmitri Trémine, présent dans cette salle, a écrit dans un de ses articles que le partenariat avec l’Europe ne serait pas d’actualité pendant encore au moins une génération. Je ne peux que lui donner raison», a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères. «Nous le ressentons sur le terrain pratiquement chaque jour. De nombreux faits, il faut le reconnaitre, viennent confirmer cette prévision, ce n’est pas uniquement notre ressenti qui nous la fait considérer comme juste», a-t-il ajouté.
Juste avant cette séquence, le diplomate avait notamment évoqué les déclarations du président français Emmanuel Macron et du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Le diplomate russe a notamment fustigé la rhétorique selon laquelle «Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine». Une théorie à laquelle adhère notamment Emmanuel Macron. «Parce qu’à ce moment-là, la Roumanie, la Pologne, la Lituanie et d’autres pays seront peut-être attaqués» justifiait le président français, dans une vidéo diffusée le 11 mai sur les réseaux sociaux, réitérant ne pas exclure d'intervenir militairement en Ukraine.
Fin avril, lors d’un discours à la Sorbonne, le président français avait déclaré que la Russie faisait peser une «menace existentielle» sur l’Europe. Le même jour, le Parlement européen adoptait une résolution appelant les États membres ainsi que la communauté internationale à ne pas reconnaître la légitimité des résultats des élections présidentielles russes.
Un épisode de la politique européenne dont a tenu compte, ce 18 mai, Sergueï Lavrov. «Il y a eu 493 députés qui ont voté pour la résolution, 18 abstentions et 11 ont voté contre… ce sont des chiffres qui parlent», a souligné le ministre russe.
Quant à Borrell, celui-ci avait assuré le 3 mai, lors d'une intervention à l'université britannique d'Oxford, que sans l’approvisionnement en armes occidentales l’Ukraine capitulerait «en quelques semaines». «Mais est-ce ainsi que nous voulons que la guerre se termine ? Moi je ne veux pas» avait poursuivi l’ancien ministre espagnol, assurant qu’«au contraire, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter un soutien militaire et politique aux Ukrainiens».
«Les fusibles contre les conflits majeurs en Europe ont "grillé" », selon Trémine
La veille, depuis Kiev, le chef de la diplomatie britannique, David Cameron avait déclaré son soutien à des frappes sur le sol russe que les forces ukrainiennes pourraient mener avec des armes britanniques. Une déclaration qui tranchait avec la posture, jusque-là, adoptée par les chancelleries occidentales dans la crainte d’une escalade du conflit. Des déclarations «très dangereuses» avait dénoncé le Kremlin, fustigeant une «escalade verbale» en Occident.
«Comprenez : l’Europe en tant que partenaire n’est pas pertinente pour nous avant au moins une génération», écrivait Trémine, fin février, dans le magazine Profil. Cet ancien officier du GRU, le renseignement militaire russe, appelle à changer d’approche vis-à-vis de dirigeants européens «profondément saturés d’atlantisme», et prêts à faire passer leurs «principales valeurs institutionnelles» devant les intérêts nationaux.
Selon lui, le conflit entre la Russie et l’Europe «ne se terminera pas par un compromis»à l’issue du conflit ukrainien, Moscou n’aura «pas de paix» avec un bloc misant sur une «guerre prolongée» afin de l'épuiser. Évoquant une France qui aurait tourné le dos à son statut de puissance d’équilibre sur la scène internationale et d’une Allemagne ayant «accepté de rompre le lien énergétique» avec la Russie, Trémine alertait que «les fusibles contre les conflits majeurs en Europe ont "grillé"». À ses yeux, l’Europe actuelle est radicalement différente de tout ce qu’a pu connaitre la Russie par le passé, tant en «1812» qu’en «1941» ou durant la Guerre froide.