Russie

«Je n'ai pas changé de numéro», répond Macron à Poutine : un manque de professionnalisme ?

«Si le président Poutine a des propositions sérieuses pour avancer, je prendrai l'appel», a déclaré Macron le 15 décembre. La veille, le président russe a rappelé que c'était le président français qui avait interrompu les relations avec Moscou. Selon l'analyste Xavier Moreau, la France «ne fait plus partie de l’équation».

«C’est une phrase de blogueur, pas de président de la république !», regrette le géopolitologue Xavier Moreau, observant le dernier échange interposé entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron. Le fondateur du think tank Stratpol et présentateur de l'émission L'échiquier mondial sur RT juge avec sévérité la légèreté du dirigeant français.

Le 15 décembre à l’issue du Conseil européen à Bruxelles, Emmanuel Macron a en effet répondu indirectement à Vladimir Poutine, déclarant «Je n'ai pas changé de numéro» devant la presse qui l'interrogeait sur la rupture des liens entre Paris et Moscou et les conditions d'une reprise éventuelle. 

La veille, lors de sa conférence de presse annuelle, Vladimir Poutine avait imputé à Emmanuel Macron la fin de ces relations : «à un moment, le président français a arrêté les échanges avec Moscou. Ce n’est pas moi qui ai arrêté, c’est lui». «S'il y a un intérêt [de la France], d'accord, nous sommes prêts. Sinon, on se débrouillera», a encore affirmé le dirigeant russe.

Paris accuse la Russie de crimes de guerre

«Je vais être très simple. Ce n'est pas moi qui ai déclenché la guerre de manière unilatérale en rompant des traités que j'avais décidés», a rétorqué Emmanuel Macron. Et d'ajouter : «Ce n'est pas la France qui a décidé de mener des crimes de guerre dans le nord de l'Ukraine, rendant quasiment impossibles les discussions». 

Une allusion au massacre de Boutcha, explique Xavier Moreau, jugeant celle-ci peu sérieuse : «c’était une mise en scène, quatre jours avant l’arrivée de Boris Johnson pour saboter les négociations d’Istanbul». En avril 2022, l'ex-Premier ministre britannique s'était en effet rendu à Kiev, quelques jours après des négociations de cessez-le-feu entre la Russie et l'Ukraine dans la capitale turque. Boris Johnson a enjoint Kiev à continuer la guerre au lieu d'accepter un statut de neutralité. La découverte de corps de civils à Boutcha avait aussi mobilisé l'opinion médiatique occidentale dans le même temps, diabolisant l'armée russe et contribuant à la mobilisation en faveur de l'Ukraine, cette dernière accusant la Russie de «crimes de guerre». Depuis, Moscou réitère que ses troupes avaient quitté la ville 48 heures avant, fustigeant une «falsification». 

Macron «n’a pas compris ce que disait Poutine»

En définitive, Xavier Moreau estime que Macron «n’a pas compris ce que disait Poutine». Selon l'analyste, le président russe ne veut pas de «discussions au débotté», comme celles que le président français avaient rendu publiques en juillet 2022. Neuf minutes d'un appel téléphonique entre Macron et Poutine du 20 février 2022 avaient en effet été dévoilées dans le documentaire de France 2 «Un président, l’Europe et la guerre», piloté par l'Elysée. Moscou avait alors fustigé une «violation de l'étiquette diplomatique». 

Selon Moreau, la diplomatie russe «veut du professionnalisme, pas se parler pour rien». D'ailleurs, «en novembre 2022, Macron avait dit qu’il allait prendre contact avec Poutine», rappelle notre interlocuteur, avant d'ajouter avec ironie : «ça fait un an qu’il attend».

Près de deux ans après la rupture entre Paris et Moscou, une reprise entre la France et la Russie semble en définitive encore lointaine, à en croire les propos d'Emmanuel Macron : «Si le président Poutine a une volonté de dialoguer et des propositions sérieuses pour avancer, sortir du conflit et bâtir une paix durable, c'est-à-dire respectueuse du droit international et des intérêts de la souveraineté ukrainienne, je prendrai l'appel», a fait valoir le Président français, estimant que son pays avait œuvré selon les accords de Minsk pour la paix en Ukraine entre 2014 et 2022.

La France hors-jeu ?

«Macron n'a pas l'air de comprendre la situation», juge Xavier Moreau. Et d'ajouter : «la France ne fait plus partie de l’équation de la sortie de crise en Ukraine. Poutine n'a pas dit qu'il voulait en discuter avec Macron». 

La Russie a en effet dénoncé la caducité des accords de Minsk, mais aussi le rôle de Paris et Berlin depuis qu'Angela Merkel, puis François Hollande, ont déclaré avoir voulu «donner du temps» à Kiev pour se renforcer militairement, alors qu'ils étaient en principe garants de la paix. Moscou dénonce depuis une trahison.

Les objectifs russes «inchangés»

Reste que la situation évolue. Après l'échec de la contre-offensive estivale ukrainienne, le soutien occidental envers Kiev semble s'affaiblir, avec un veto de la Hongrie pour une aide européenne de 50 milliards de dollars ce 15 décembre, et un blocage par le Congrès américain d'une aide de 60 milliards de dollars. La perspective de négociations entre l'Occident et Moscou est évoquée dans les médias. 

Le 15 décembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré à la presse que la Russie n'avait pas fermé la porte des négociations, prévenant que les Occidentaux devaient «comprendre que plus ils forceront Kiev à la guerre, plus il leur sera difficile de réunir les conditions d’un accord». 

Aussi a-t-il mentionné, sans vouloir le nommer, «en particulier un» dirigeant occidental, qui aurait envoyé un «signal» à Moscou via trois canaux diplomatiques, pour demander à la partie russe : «Pourquoi ne pourrait-on pas parler de ce qu’on va faire de l’Ukraine et de la sécurité de l’Ukraine ?» 

Vladimir Poutine, le 14 décembre, a quant à lui déclaré que les objectifs de l'opération militaire russe restaient «inchangés». Les tâches de «dénazification», de «démilitarisation» et de «neutralisation» de l'Ukraine restent d'actualité, a-t-il tenu à rappeler. «La paix surviendra lorsque nous aurons atteint nos objectifs», a-t-il tranché.