Dans un article paru le 19 octobre sur le site du quotidien Le Monde, la journaliste Aude Dassonville revient sur l’arrivée à leur terme de cinq contrats à durée déterminée au sein de RT France, qu’elle tend à présenter comme une véritable crise. L'article prend pourtant quelques libertés avec les faits, et passe même sous silence un témoignage clé ne cadrant pas avec son récit : celui du principal syndicat de l'entreprise, pourtant interrogé par le quotidien.
Le témoignage d'un syndicat interviewé... disparu !
Le prestigieux quotidien se penche en fait sur un épisode pourtant classique de la vie d'entreprise : la décision de la direction de la chaîne de ne pas reconduire les CDD de certains JRI (pour «journalistes reporters d’images», les journalistes caméramen), arrivés à expiration. Parmi les membres de l’équipe n’ayant pas bénéficié du renouvellement desdits contrats à durée déterminée, il s’en est trouvé un pour partager ses émotions sur sa page Facebook. Une publication vite repérée par Le Monde.
Dans son message, le JRI accuse : «Au moindre manquement, la personne reçoit un courrier recommandé lourd de menaces de pénalités, d’éventuelle réparation de préjudice, et une demande formelle de "s’abstenir de critiquer, dénigrer ou porter atteinte à la réputation de la société"». Un cas isolé dont Le Monde se saisit pour évoquer en long et en large une prétendue crise au sein du média, peu importe que ces séparations aient eu lieu dans le plus strict respect de la loi.
Et pour cause, l'angle de l'article semble avoir été déterminé bien avant sa rédaction... quitte à taire les éléments qui contredisent le récit apocalyptique livré par Le Monde. C'est la mésaventure à laquelle s'est heurtée une membre du Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire au sein de RT France. Interviewée la veille de la parution de l’article, celle-ci raconte avoir expliqué à la journaliste : «J’ai dit que le SNJ avait suivi cette affaire, et qu’on avait demandé à la direction que les postes de journaliste reporter d’images soient pourvus par des contrats pérennes.» Faisant remarquer que «d’ailleurs, il y a une personne qui vient d’être promue au poste de JRI avec un CDI», la syndicaliste a ajouté qu'il existait un «réel dialogue social à l’intérieur de RT, avec un syndicat en permanence en contact avec la direction».
Concédant toutefois ne pas toujours obtenir «satisfaction» sur les demandes syndicales, elle rapporte avoir précisé au Monde que de «grandes avancées» avaient pu être obtenues par le dialogue social. Et de citer un exemple : «Comme par exemple la prime concernant le télétravail. A notre connaissance, c’est quelque chose d’inédit en France pour le télétravail imposé. Prime, qui plus est, dont le montant a été élevé.»
Un autre son de cloche qui a vraisemblablement disparu du récit livré par Le Monde, au grand dam du principal syndicat de la rédaction de RT France, interlocuteur pourtant pertinent pour témoigner de questions liées aux contrats et à l'ambiance de travail au sein de l'entreprise.
Des chiffres faux
Autre point, démontrant que l'enquête ne fera pas date comme la plus sérieuse publiée par ce quotidien de référence, de nombreux chiffres cités sont simplement faux.
En particulier, on peut lire qu'il y a chez RT France «une quarantaine» de journalistes au web, alors que ce chiffre est en réalité d'une vingtaine. Autre approximation, signe de sources anonymes peu fiables, il n’y a pas non plus 40 journalistes assignés au montage, comme l'écrit Le Monde, mais sept à huit employés d’un prestataire technique travaillant effectivement comme monteurs, outre les reporters et la vingtaine de journalistes-rédacteurs préparant leurs sujets avec un logiciel standard dans la profession. Enfin, ce sont bien trois JRI qui demeurent actuellement à temps plein, et non deux comme cela est écrit.
Et le problème du storytelling livré par Le Monde ne s'arrête pas aux approximations. Evoquant un fonctionnement «très soviétique» dénoncé par une source anonyme, mais également une «purge», le quotidien souligne que les cinq JRI (sur le total de 103 journalistes qui composent la rédaction au jour d'aujourd'hui) ont été remplacés par «des techniciens, et non des journalistes», plus précisément des OPV (opérateurs de prises de vue, des caméramen professionnels).
Une manière de marcher au pas ? En réalité, n'en déplaise au Monde, sur le terrain, ce sont bel et bien les reporters, titulaires de cartes de presse françaises, qui sont responsables de leurs sujets, même lorsqu'ils sont accompagnés d’OPV.
Par ailleurs, le quotidien, qui tente de lier cet épisode au renouvellement, attendu fin de l'année, de la convention de RT France avec le CSA, souligne que «la chaîne a reçu un avertissement du CSA en 2018, à la suite de la diffusion d’un reportage à la traduction erronée». Pourtant, Le Monde ne rappelle pas qu'il s'agissait d'une erreur purement technique, de décalage entre les images diffusées et la traduction de propos qui ont bien été tenus par ailleurs, comme l'a reconnu le régulateur de l'audiovisuel français.
Mais qu'importe les faits et les sons de cloche contradictoires, Le Monde sélectionne les citations retenues. «On purge une période, une ligne et une équipe», peut-on lire, alors qu'une source anonyme «en interne» évoque une prétendue «volonté d’effacer toute trace de l’époque Bobin», ancien chef des informations de la chaîne parti l'été dernier pour raisons personnelles. Un argument qui, là encore, ne résiste pas à l'épreuve des faits, puisque la «purge» en question s'est en réalité traduite par... un accroissement de la rédaction. En effet, en janvier 2018, RT France comptait 67 journalistes, contre quelque 103 aujourd'hui (hors pigistes et intermittents).
Quant à la ligne éditoriale évoquée dans le contexte du départ de l’ancien chef des informations, elle n'a changé ni avant, ni pendant, ni après, et se résume toujours à offrir des perspectives différentes et une diversité d'opinions bienvenue dans un paysage médiatique français trop souvent à l’unisson.