Voilà déjà deux ans que nous sommes au cœur d’une crise sanitaire mondiale sans précédent au XXIe siècle. Deux ans après l’apparition de la plus grande pandémie que le monde contemporain ait connue, nous sommes toujours plongés dans un tunnel sans fin alors que nous espérions en venir à bout. Au tout début des deux premières vagues (que l’on croyait être les dernières) et dans un certain déni global, sans grand variant dangereux également, nous pensions que le vaccin serait le remède absolu pour en finir avec la Covid-19.
Légitimement, nous fondions tous nos espoirs sur les laboratoires pharmaceutiques, sans qui les gouvernants auraient été encore plus impuissants qu’ils ne l’ont clairement été dans cette affaire et ce devoir a priori impérieux de protection de leurs administrés. C’était ça le remède miracle.
Deux ans après l’apparition de la plus grande pandémie que le monde contemporain ait connue, nous sommes toujours plongés dans un tunnel sans fin alors que nous espérions en venir à bout
Le vaccin solution magique, cela était vrai et faux à la fois. Vrai car soyons clair : il ne peut y avoir aucune autre alternative pour en finir avec un tel virus que le vaccin. Cela ne cesse d’être discuté mais cela ne devrait plus se discuter au regard de l’histoire et de la science. Faux, car nous avons commis une erreur magistrale dès le début : la vaccination accélérée à vitesse grand V des pays riches, avec des produits répondant à la menace du moment, n’aurait pas dû se faire unilatéralement sans assurer un rythme similaire de couverture aux pays pauvres. Pays pauvres ne pouvant s’offrir le vaccin, ou pays pauvres avec une forte défiance à la vaccination, qui pendant ce temps-là développaient de redoutables variants face auxquels nos vaccins du moment ne représentaient plus une protection absolue. Delta, Omicron, «What’s next» ?
Nous sommes partis va-t-en-guerre dans une course effrénée au temps (vacciner le plus rapidement possible les populations qui en avaient les moyens) en oubliant la course à l’espace : vacciner d’urgence les pays du Sud. Monopoliser les stocks disponibles et pré-réserver les futurs stocks à venir à destination des Occidentaux était peut-être discutable, mais dans ce genre de situation, soyons clairs : c’est bien la loi du plus fort qui prime. C’est un rapport de force politique. Mais c’est aussi une vision à court terme qui nous revient en boomerang encore plus violemment lors de la cinquième vague. Puis de la prochaine ? En effet, dans quoi nous sommes-nous fourrés avec les vaccinations complètes à trois doses, qui seront bientôt complètes à cinq doses, plus test PCR ou antigénique pour le même prix ?
Ce qu’il aurait fallu faire, c’est vacciner le monde entier dans le même mouvement, sans créer de déséquilibre tel qu’il est aujourd’hui. Garder les vaccins au début par manque était de l’ordre de la realpolitik, ce que certains ont appelé la géopolitique ou la diplomatie du vaccin. Toucher au plus profond de nos pays est déjà une gageure en termes d’information et de campagne de sensibilisation au vaccin. Il y a eu assurément des ratés chez nos personnes isolées. Mais laisser les pays en développement produire des vaccins peu fiables au regard d’un virus agressif inédit, dont nous ne savons toujours hélas pas grand-chose et auquel nous faisons face avec les moyens du bord au jour le jour, fut une autre erreur occidentale que nous allons chèrement tous payer.
Une autre question pointe : celle de la levée des brevets. D’un côté, les rendre libres aiderait probablement les pays du Sud pour en produire sur place mais ils n’ont pas forcément les bonnes ressources pour le faire, surtout pour de nouvelles technologies comme l’ARN. Ni la bonne logistique. De l’autre, si les vaccins ont pu être trouvés si vite, c’est aussi parce que les laboratoires pharmaceutiques ont énormément investi en peu de temps pour y parvenir. Quid s’ils étaient découragés de le faire ? L’arme et l’argument sont clairement à double tranchant. Et là, cela interroge clairement sur le fait qu’aucun laboratoire public ne soit parvenu à produire un vaccin. Il est facile de dénoncer ce que certains appellent «le Big Pharma», mais quid encore une fois si l’argent du contribuable ne permet pas dans le pays de Pasteur, avec l’affaire Sanofi par exemple, d’en fabriquer un d’excellente qualité et pouvant rivaliser avec le privé ? C’est tout l’échec du public qui est une réalité, des conditions hospitalières de nos pays «modernes» à la production d’un remède. Cette gestion calamiteuse au quotidien de l’Etat n’a fait que nourrir les sceptiques.
Ce différentiel géographique est le lit assuré de nouveaux variants
Quant à ne pas envoyer d’urgence dans l’hémisphère sud, au nom d’un égoïsme occidental, des millions de doses de vaccins, nous en payons déjà le prix aujourd’hui. Ce différentiel géographique est le lit assuré de nouveaux variants. Il faut d’urgence que les laboratoires pharmaceutiques occidentaux effectuent non seulement un transfert de compétences pour aider le Sud, mais également dès à présent, trouvent des collaborateurs locaux qui permettent un développement du secteur en comprenant mieux les blocages sur place. L’OMS, elle-même, cherche désormais à constituer une coalition entre plusieurs pays, selon un axe Nord-Sud, pour accélérer la distribution. Quant au long terme, le Sud patine en matière de production, distribution, mais également de détection. En tardant à identifier les variants, on se retrouve avec un Omicron partout. Certains laboratoires européens sont déjà en train d’implanter des laboratoires de «découverte», qui font de la recherche moléculaire afin d’aider les pays sous-développés à mieux anticiper les futures épidémies. L’objectif est de permettre ainsi aux laboratoires de ces pays une certaine autonomie. S’ils s’en sortent, comme en Inde notamment, ce ne pourra être que bénéfique pour nous tous. C’est cette stratégie globale de santé publique qu’il faut soutenir, la «global public health», qu’il faut dorénavant booster partout sur la planète.
Nous sommes pour le moment dans un cycle sans fin : nous pouvons certes bien désormais continuer à nous vacciner, jusqu’à la dixième dose et plus, mais si les pays du Sud n’accélèrent pas leur campagne de vaccination, nous n’en aurons jamais fini ! Vacciner et vacciner, être de moins en moins sûr que le produit soit efficace face à la démultiplication des variants venant du Sud, et regarder celui-ci produire de nouveaux variants résistant à notre onzième et douzième «booster». Un cercle vicieux dont il est à craindre que nous ne soyons pas prêts de sortir avant de nombreuses années tel que c’est parti. Bien sûr, aucun gouvernement n’est préparé à une telle pandémie tant qu’il n’y a pas été confronté, mais il y a non seulement de l’amateurisme et de l’inconscience totale généralisée à avoir laissé proliférer la bestiole qui semble bien aujourd’hui devenue incontrôlable. Notre seule chance sera d’espérer et de prier pour que l’Omicron, contagieux comme jamais, soit effectivement peu dangereux, et que la Covid-19 s’éteigne de sa belle mort avec d’autres variants perdant petit à petit en intensité. Mais l’histoire de la pandémie qui disparaît du jour au lendemain comme par magie est davantage une prophétie qu’un fait anticipable scientifiquement.
Sébastien Boussois