Quand la France atlantiste se fait gifler par son maître

Pour «Les Hurons» de Politique magazine, les élites françaises se sont fourvoyées en imaginant que Paris décuplerait son influence dans la région pacifique par une relation privilégiée avec Washington. En témoigne la récente affaire des sous-marins.

Jean-Yves Le Drian, d’habitude si discret et si calme, est sorti de ses gonds. On avait presque oublié qu’il était ministre des Affaires étrangères d’Emmanuel Macron depuis près de cinq ans. Quand il apprend que Canberra s’est joué de lui, en compagnie de Londres et Washington, et que le contrat des 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique, qu’il avait lui-même négocié quand il était ministre de la Défense de François Hollande, tombe à l’eau, il n’hésite pas à parler de «coup dans le dos», de «crise de confiance». Il termine, dépité : «Cela ne se fait pas entre alliés.» La presse parle de «Trafalgar», de «fiasco du siècle». C’est toute la politique étrangère française depuis 2007 qui est remise en cause.

Nos alliés ?

«Alliés»: tout le problème vient de ce malentendu. Depuis la guerre d’indépendance, la France n’a jamais été un allié des Etats-Unis, tout au plus un vassal, plus ou moins docile. Jean-Yves Le Drian n’avait-il pas demandé l’autorisation de Washington pour signer ce contrat en 2016 ? N’avait-il pas obtenu pour Lockheed-Martin, la plus grosse part du gâteau, se contentant de la coque et de la propulsion et laissant les systèmes d’armes à «nos alliés» ?
L’ancien député de la base navale de Lorient a obtenu d’Emmanuel Macron le rappel de son ambassadeur à Washington et à Canberra. Geste inédit ! Il snobe le gouvernement de Boris Johnson, croyant à un opportunisme de la perfide Albion. Il ne sait pas encore que Britanniques et Australiens complotent depuis 18 mois. En arrivant au Quai d’Orsay, on l’a privé de son tout-puissant directeur de cabinet, Cédric Lewandowski. En échange, on a livré à Balard un membre éminent de la coterie «utratlantiste», Martin Briens. Un des chefs de file des néoconservateurs à la française. Un obligé de Washington.

Florence Parly, d’ailleurs, se tait. Celle qui a pris la tête de l’hôtel de Brienne annonce en pleine crise des sous-marins la mort d’un chef djihadiste dans le Sahel. Elle s’envole pour Niamey comme si de rien était. Ou plutôt pour montrer aux Américains que la France continue de «faire le job». Elle reporte simplement une réunion avec son homologue britannique. Son chef d’état-major de la marine, qui justement était en tournée aux États-Unis auprès de «nos alliés», interrompt sa visite. Mais pas question de quitter le comité militaire intégré de l’OTAN. Elle ose même se féliciter de la reprise très rapide du dialogue franco-américain dans un entretien au Monde, dès le 24 septembre : «Nous n’avons évidemment pas l’intention de quitter l’OTAN, nous sommes des partenaires fiables au sein de l’OTAN.» Quitter l’OTAN, la grande crainte des états-majors et des think-tanks français.

Après les Mistral à la Russie

Le tout-Paris de la recherche stratégique s’était engouffré dans la brèche australienne ouverte par Le Drian en 2016. La Fondation pour la recherche stratégique, avec François Heisbourg et Bruno Tertrais, avait mis en musique doctrinale le concept anglo-saxon d’Indo-pacifique. Concept typique du Quad, l’alliance fondée par les faucons de l’administration Bush junior, entre le Japon, l’Inde, l’Australie et les Etats-Unis pour contrer la Chine. La France, qui a toujours peiné à valoriser stratégiquement ses positions Outre-mer, pense alors tenir la pierre philosophale. Grâce à l’alliance indo-pacifique américaine, la France va pouvoir exporter son modèle et déployer son influence dans le monde. L’élection de Joseph Biden conforte les espérances. Avec le parti démocrate et Antony Blinken, la France est main dans la main avec Washington. Le temps où François Hollande était obligé par Barack Obama à renoncer à la vente des Mistral à la Russie est oublié.

Londres a repris le grand large et remplace la France dans la stratégie indo-pacifique des Etats-Unis

La diplomatie gaullienne est oubliée aussi, quand la France reconnaissait la Chine de Mao, s’opposait à la guerre du Vietnam, quittait le comité militaire intégré de l’OTAN. Quand le général de Gaulle voyageait triomphalement à Moscou, en pleine guerre froide, défiant Lyndon Johnson, la France était écoutée en Afrique, en Asie, en Amérique. Elle était crainte en Europe et Londres suppliait Paris de pouvoir être des Six.

Aujourd’hui, c’est Londres qui quitte «les vingt-sept» et forme AUKUS. Londres a repris le grand large et remplace la France dans la stratégie indo-pacifique des Etats-Unis. Rule Britannia ! Paris implore et supplie ses partenaires européens mais l’Union Européenne est devenue une grosse technocrate bouffie par ses circulaires allemandes. Hors de l’OTAN, point de salut ! Boris Johnson est parti goguenard et triomphe. Londres est à nouveau le premier vassal des Etats-Unis.

Les Hurons