Chroniques

La novhistoire contre l’Occident

Philippe Mesnard analyse pour RT France les nouvelles attaques universitaires visant l'Occident : il ne suffit plus désormais à ce dernier de se repentir, encore faut-il qu'il aille jusqu’à détruire son passé en ne l’enseignant plus…

Les récentistes prétendent que le haut Moyen-Âge n’a pas existé. L’Eglise catholique, en réformant le calendrier au XVIe siècle, et les Jésuites ensuite, ont carrément inventé plusieurs siècles d’Histoire, faisant littéralement surgir du néant les Grecs, les Romains et l’Egypte, dans le but évident d’asservir les populations. Heureusement, des scientifiques allemands, russes ou français, ont dénoncé la supercherie au XXe siècle : Jules César n’a jamais existé !

C’est aberrant, bien sûr. D’ailleurs, de vrais scientifiques, allemands, russes ou français, ont dénoncé cette fantasmagorie. Mais alors, comment juger la prétention d’universitaires reconnus, installés, en exercice, de rejeter l’étude de l’Antiquité au motif – difficile à prouver scientifiquement – que le suprémacisme blanc et le fascisme en seraient sortis tout armés ? Croit-on vraiment que ne plus enseigner les origines de Rome ou la civilisation athénienne va faire disparaître, le temps d’une génération, tous les maux politiques dont les Éveillés nous disent que nous souffrons – quitte à ne ressentir aucune douleur ?

Les classicistes américains

Et pourtant, comme le rappelle Raphaël Doan dans une tribune du FigaroVox, un professeur d’histoire romaine de Stanford, Dan-el Padilla Peralta, a déclaré que «la production de la blanchité réside dans les entrailles mêmes des classiques.» Et il concluait dans un admirable élan sacrificiel, faisant don de sa personne et de ses (maigres) œuvres à l’humanité : «J’espère que la matière va mourir, et le plus tôt possible.» Ne discutons pas du concept de blanchité, aussi scientifique que le phallocratocarnisme de Priscille Touraille. Donna Zuckerberg, classiciste et fondatrice du site Eidolon, considère que sa discipline «a été historiquement impliquée dans le fascisme et le colonialisme, et continue d’être liée à la suprématie blanche et à la misogynie». Et mérite donc d’être éradiquée – une fois Donna assurée de percevoir sa retraite –, en attendant qu’on supprime la biologie, mobilisée par les totalitarismes du XXe siècle, l’ethnologie, inventée dès la plus haute Antiquité par les colonialistes, la linguistique, à cause des missionnaires, etc. À moins qu’on ne développe des «approches non-blanches» des disciplines classiques, c’est-à-dire qu’on enseigne partout que tout ce qui a été enseigné était mensonge et qu’il existe une Histoire alternative, une science non-blanche, radicalement autre, ignorée jusqu’alors par pure oppression, digne donc d’être imposée par la force et de ne surtout pas correspondre à des faits têtus (donc fascistes) qui tendraient à démontrer que les musulmans n’avaient pas inventé le microscope ni les Peuls, l’aviation.

Histoire et démocrature

Que l’Histoire soit un perpétuel questionnement, certes. Qu’il soit bon de réviser en permanence nos convictions sur la bonté de Robespierre, la générosité de Lénine, la tendresse de Napoléon et l’intelligence de Woodrow ou Wilson (ou même celle de Biden, pour ceux qui veulent commencer à temps l’examen critique nécessaire), bien sûr. Mais proposer, comme ces professeurs, de purement et simplement passer à la trappe des siècles fondateurs de l’Occident, un Occident qui a lui-même, pour le meilleur et pour le pire, façonné le monde dans lequel nous vivons tous, y compris Africains, Indiens et Chinois, n’est-ce pas se priver de nos racines – et même, puisqu’il s’agit d’être critiques, de notre capacité à corriger nos erreurs ? Pour ne prendre qu’un exemple, si on n’enseigne pas que la démocratie athénienne repose sur l’exclusion de la quasi-intégralité des forces de travail (les esclaves, bien plus nombreux que les hommes libres), comment pourra-t-on considérer dans la bonne perspective les démocratures actuelles, qui ont transformé le mot «populiste» en insulte et imposent au peuple des politiques qu’ils refusent ?

Revenons aux universitaires brillants qui ont décidé qu’il fallait que l’Occident expie ses péchés. Il ne suffit pas qu’il se repente, il faut encore qu’il oublie. De même que dans 1984 la novlangue supprimait des mots pour empêcher qu’on puisse formuler et donc penser ce qui était défendu, de même la novhistoire veut supprimer les siècles maudits pour empêcher que leur souvenir n’empêche l’avènement d’un avenir radieux : supprimez la cause, vous supprimerez tous les effets ! On croirait ces voyageurs temporels fous des romans de science-fiction qui veulent corriger le cours de l’Histoire. Ils sont d’ailleurs déjà à l’œuvre, et quand ils n’enseignent pas des absurdités, ils mutilent quand même l’héritage : les Hollandais viennent de sortir une version de L’Enfer de Dante d’où Mahomet a disparu pour ne pas choquer les jeunes musulmans.

Puisque tout le mal vient exclusivement de l’Occident, coupez-le définitivement de ses racines et il trouvera à se nourrir dans un autre terreau, vierge de toute pollution ; ou il crèvera. C’est sans doute le but recherché.

Philippe Mesnard