Déjà dix ans de guerre en Syrie, et les souffrances du peuple syrien continuent. Dix ans de guerre, et les milliers de vies qu’elle a fauchées, les immenses dévastations qu’elles a causées, sont les stigmates du martyr infligé à un peuple qui ne demandait qu’à vivre en paix. Gigantesque tribut payé à cette folie collective orchestrée de l’étranger qui a vu des mercenaires de 120 nationalités affluer au Pays de Cham pour y instaurer un nouvel «émirat». Guerre sans pitié, où l’État syrien menacé d’anéantissement s’est battu bec et ongles, défendant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la nation. Affrontement aux multiples visages, la guerre de Syrie n’en finit pas de présenter son sinistre bilan.
Il fallait être naïf pour ne pas voir, dès le printemps 2011, la formidable duplicité des gouvernements occidentaux versant des larmes de crocodile sur les victimes de l’armée syrienne tout en absolvant les exactions de la rébellion armée. Difficile d’ignorer, non plus, que les combattants de la nébuleuse insurrectionnelle disposaient d’un soutien financier massif de la part des pétromonarchies du Golfe. Mais si les Occidentaux et leurs alliés régionaux voulaient en découdre avec Damas, ce n’était pas pour faire la promotion des droits de l’Homme. C’était pour défendre des intérêts sonnants et trébuchants au cœur d’une région cruciale pour l’avenir énergétique de la planète.
C’était aussi, comme l’a écrit Hillary Clinton dans un célèbre courriel révélé par Julian Assange, pour garantir la sécurité d’Israël en neutralisant l’un des derniers bastions du nationalisme arabe car la Syrie est au centre d’une alliance réunissant les forces qui s’opposent à la domination israélo-américaine dans la région. Elle demeure le seul État arabe debout, refusant de plier devant la puissance occupante. Elle est le pivot d’un arc de la résistance qui va de Damas à Téhéran en passant par le Hezbollah libanais et les mouvements palestiniens. Le drame, mais aussi la fierté de la Syrie, c’est qu’elle est l’enfant terrible du nationalisme arabe, le dernier vestige d’une époque où Nasser et le parti Baath inspiraient la lutte contre l’impérialisme et le sionisme.
S’imaginant qu’ils allaient provoquer sa chute à la faveur des «printemps arabes», les dirigeants occidentaux ont ignoré la légitimité dont jouissait le gouvernement syrien. Ils pensaient que l’armée régulière se déliterait sous l’effet de désertions en masse qui n’eurent jamais lieu. Aveuglés par leur lecture orientaliste de la société syrienne, ils la croyaient dominée par la minorité alaouite alors même que les principaux cadres de cet État laïc, le seul du monde arabe, étaient sunnites. Ils faisaient mine de croire à la légende d’un peuple héroïque dressé contre un despote aux abois, alors que la légitimité du président Assad se trouvait confortée, au contraire, par sa détermination à lutter contre les ennemis de la Syrie.
Les médias occidentaux ont braqué leurs caméras vers des attroupements de barbus en les faisant passer pour un soulèvement populaire, mais ils ont occulté les immenses rassemblements en faveur du gouvernement et des réformes, à Damas, Alep et Tartous, entre juin et novembre 2011. Il suffisait pourtant d’analyser de tels événements pour mesurer le véritable rapport de forces au sein du pays. Or la myopie volontaire du regard occidental sur la Syrie a pulvérisé tous les records. Avide de prendre le train à grande vitesse de la propagande anti-Damas, le moindre journaliste s’est précipité tête baissée dans son dernier wagon. L’imagination propagandiste a réduit au silence le simple bon sens, et les atrocités commises par les extrémistes, dès le printemps 2011, n’ont pas passé la rampe d’une couverture médiatique faisant le tri entre les bonnes et les mauvaises victimes.
Indice infaillible de son importance stratégique pour Washington et ses séides, la guerre de Syrie aura suscité une avalanche de mensonges sans précédent. La fable grotesque des attaques chimiques attribuées à l’armée syrienne mérite une mention spéciale du jury : elle restera à jamais dans les annales de la désinformation, à côté de la fiole de Colin Powell et des couveuses de Koweit-City. L’écran de fumée d’une « opposition syrienne démocratique » s’étant vite dissipé, il a fallu inventer un cortège d’horreurs imaginaires pour inverser la charge de la preuve. Afin de détourner l’attention de ces coupeurs de tête venus de partout et de nulle part pour exterminer les hérétiques, on s’est mis à accabler l’État syrien. On a alors monté de toutes pièces des accusations invraisemblables dont seule la crédulité d’une opinion occidentale soumise à un intense lavage de cerveau pouvait garantir l’efficacité.
Il suffisait pourtant de consulter les chiffres fournis par un organisme proche de l’opposition armée (l’OSDH) pour constater que la moitié des victimes de la guerre appartenaient aux forces de sécurité syriennes. Quel meilleur démenti infligé à la fable du massacre de populations innocentes par une armée de tortionnaires ? Mais la narration dominante n’avait cure de ces broutilles, et l’opération de « regime change » voulue par Washington s’accommodait aisément de telles distorsions avec la réalité. Elle faisait fi de ce que les observateurs de la Mission dépêchée par la Ligue arabe avaient constaté entre décembre 2011 et janvier 2012, à savoir la violence déchaînée par une opposition présentée en Occident comme pacifique et tolérante, alors qu’elle était gangrenée dès l’origine par l’idéologie takfiriste, les pratiques mafieuses et l’argent saoudien.
Voulue par Washington, Londres, Paris et Ankara, financée par les monarques du Golfe, la guerre de Syrie est une farce sanglante. Provoquée par l’appétit de domination impérialiste, elle a mobilisé une piétaille fanatisée, issue de masses manipulables, abruties au dernier degré par l’idéologie wahhabite. Véritable boîte de Pandore, ce conflit a fait jaillir un impressionnant florilège d’ignominies : des dirigeants occidentaux qui prétendent combattre les terroristes tout en leur procurant des armes au nom des droits de l’Homme ; des États dits démocratiques qui infligent un embargo sur les médicaments à des populations civiles coupables de ne pas combattre leur gouvernement ; des familles royales sanguinaires et débauchées qui donnent des leçons de démocratie tout en sponsorisant la terreur ; et pour finir, des intellectuels français qui exigent comme un impératif moral le bombardement d’un pays qui ne nous a rien fait.
De ces mercenaires crétinisés venus dévaster le berceau de la civilisation pour une poignée de pétrodollars, l’État syrien, pourtant, est presque venu à bout. En restaurant la souveraineté nationale sur la majeure partie du territoire habité, cette courageuse armée de conscrits a infligé un camouflet à tous ceux qui rêvaient de remplacer la Syrie par une constellation d’entités confessionnelles. Calomniée sans relâche par les propagandistes occidentaux, cette armée de conscrits a payé un lourd tribut pour libérer le sol de la patrie. Les mythomanes du droit-de-l’hommisme eurent beau fabriquer des « faits » pour l’accabler, nous savons que les « rebelles modérés » chers à l’Occident ont massacré les familles des fonctionnaires baasistes, et que ces horreurs étaient imputées par la presse occidentale à l’armée nationale. Et c’est au prix d’efforts surhumains que le peuple syrien, son État et son armée ont repoussé les milices terroristes jusque dans cette poche d’Idlib qui finira bien par tomber à son tour.
Victorieuse sur le plan militaire, forte du soutien populaire, la Syrie souveraine subit toujours les affres de l’embargo occidental, ajoutés aux séquelles de la guerre et à la destruction de solidarités familiales et communautaires malmenées par dix années de violence ininterrompue. Aussi l’acharnement des ennemis de la Syrie n’est-il pas seulement criminel : il est absurde. Après dix ans de guerre, le pays entrevoit enfin le bout du tunnel. Certains quartiers de Damas ou d’Alep renaissent, retrouvant le mode de vie d’antan. Les Russes ont joué un rôle déterminant dans la libération de la Syrie, et il est probable que les Chinois prendront leur part dans sa reconstruction. Washington, Londres, Paris et Ankara n’ont plus qu’une chose à faire : cesser d’exercer leur pouvoir de nuisance. Qu’ils passent la main, et laissent la Syrie tranquille. Mais l’impérialisme n’a pas l’habitude de lâcher le morceau, et la route sera sans doute longue avant le retour à la paix.