«Ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous divise...» Cette phrase, nous ne cessons de l’entendre et de l’employer, tel un mantra afin de nous persuader et, surtout, de persuader les autres que, bien évidemment, il faut faire l’union. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'union ! l'union ! l'union !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Parce qu'on ne fait de politique qu'à partir des réalités. On ne sait d’ailleurs plus trop ni à qui ni à quoi il faut faire barrage, mais il faut le faire. Au fascisme, au nazisme, à l’extrême droite toujours prête à faire main-basse sur le pouvoir et revenir sur l’héritage de la Révolution française. Evidemment, il s'agit d'éviter la tentation permanente du «retour des heures sombres» quand le pays gémissait sous la botte allemande. Bien sûr. L’ombre terrifiante d’Adolphe Hitler et le bruit des Panzer divisions produisent toujours leurs effets et on ne manque jamais d’en agiter l’immonde perspective afin de nous rappeler à nos plus élémentaires devoirs républicains. On se rassemble pour se rassembler, parce que c’est mieux que d’être seul et à la limite mieux vaut avoir tort à plusieurs que raison dans la solitude des champs électoraux désertés. On a la légitimité qu’on peut.
«A chaque élection, c’est le même refrain, la même rengaine»
A chaque élection, c’est le même refrain, la même rengaine. A droite comme à gauche. Le candidat Macron a parfaitement résolu la question avec son théorème du «en même temps» puisque fondamentalement et connaissant bien sa sociologie électorale, il pouvait s’adresser aux Français en leurs disant que, tout bien considéré, «ce qui nous rassemble est bien plus important que ce qui nous divise...» Finalement, de Maastricht au référendum de 2005, du Pacte budgétaire européen (TSCG) à la crise grecque et le temps ayant fait son œuvre, soutenant peu ou prou les mêmes politiques, le moment de mettre un terme à ce théâtre d’ombre était venu. Enfin, il est possible d’être de «droite et de gauche» au sein de la République en marche puisque nous sommes d’accord sur la lutte finale, c’est à dire l’avènement de la souveraineté européenne. Nouvel oxymore mais qu'importe, nos intérêts seront préservés. D’ailleurs, même s’il faut «réindustrialiser», même s’il faut rebâtir notre souveraineté économique... ça n’empêche pas de poursuivre la casse de ce qui nous reste de fleuron industriel, de briser EDF en deux voire trois entités – comme cela est exigé par la Commission européenne –, de vouloir à toute force imposer une énième réforme des retraites, de refuser de revenir sur la théorie du «ruissellement» et la fiscalité qui l’accompagne, aux conséquences très avantageuses pour quelques-uns...
Non, qu'importe. Communiant dans la foi européenne et abandonnant les anciennes idoles républicaines, le peuple des nouveaux croyants a trouvé son église dans la République qui se pense en marche et qui tente, vaille que vaille, comme toute nouvelle apparition, de bâtir ses temples sur ceux des anciens dieux. Mais ils sont vides comme ils l’étaient hier et les prêtres ne prêchent que pour la forme.
La République c’est l’égalité et non le communautarisme
Les citoyens, pour l’immense majorités d’entre eux, sont partis. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont renoncé. Peut-être même qu’ils espèrent encore. Mais en quoi ? Peut-être tout simplement en quelques idées simples afin d’affronter un avenir compliqué : que leur pays c’est la France et qu’il reste leur avenir ; que dans ce pays, la France, on s’honore du titre de citoyen ; que la souveraineté nationale et populaire, non seulement n’est pas un gros mot mais c’est même la condition de notre liberté ; que, dans ce pays, on doit pouvoir être libre d’accueillir qui on veut, dans les conditions qu’on veut, sans être perçu comme étant un fasciste ou un raciste ; que, dans ce pays, on doit pouvoir vivre dignement de son travail et être protégé des coups du sort ; que, dans ce pays, si on est tous différents, on est tous pareils quand même parce que c’est comme ça qu’on veut être et pas autrement ; que la laïcité est un bien précieux et que la liberté de conscience n’est pas négociable ; que l’école est faite pour former des citoyens et transmettre des connaissances ; que la République c’est l’égalité et non le communautarisme ; que la France est un grand et beau pays qu’on a le droit d'aimer ; que notre histoire est pleine de disputes et de bagarres ; que nous venons tous d’horizons différents et c’est la raison pour laquelle on fait de la politique et que nous sommes un peuple politique. On ne supporte pas ceux qui veulent nous séparer ou qui veulent vivre à part. C'est assez simple finalement mais, même cela, est parfois contesté.
Une gauche à la dérive ?
Alors quand à «gauche» certains prônent l’inverse, sont-ils encore de «gauche» ou est-ce moi qui ne le suis plus ? Quand certains à «gauche» prônent ou soutiennent le séparatisme ethnique, le communautarisme identitaire contre l’universalisme républicain, sont-ils encore de «gauche» ou est-ce moi qui ne le suis plus ? Quand certains à «gauche» ont abandonné la laïcité au nom du droit à la différence – se faisant notamment les alliés de l’islamisme politique le plus rétrograde, sont-ils de «gauche» ou est-ce moi qui ne le suis plus ? Quand certains à «gauche» se font les relais zélés du néolibéralisme qui a détruit une grande partie de notre tissu industriel, favorisant la globalisation financière de l’économie, détruisant les solidarités ouvrières et appauvrissant les classes moyennes, sont-ils de «gauche» ou est-ce moi qui ne le suis plus ? Quand certains à «gauche» prônent la fin de la nation et combattent notre souveraineté, sont-ils encore de «gauche» ou est-ce moi qui ne le suis plus ? Quand certains à «gauche» ont abandonné Jaurès au profit du différencialisme, des luttes «racisées» ou de l’intersectionnalité sont-ils encore de gauche ou est-ce moi qui ne le suis plus ?
Dès lors, ce qui nous divise n’est-il pas plus important que ce qui nous rassemble ? Peut-être sont-ils de «gauche» mais d’une gauche qui aurait quitté les rives de la République et qui n'est pas la mienne.
Et qui peut encore sérieusement penser que nos concitoyens croient encore un seul instant dans cette tartufferie ? Ce constat, ne vaut-il pas également pour une grande partie de la «droite» qui a refusé d’entendre les avertissements prophétiques de Philippe Séguin ? Une droite qui se condamne à ne plus survivre que dans un Giscardisme au petit pied, teinté de conservatisme quant aux mœurs, naviguant à vue entre la grandeur gaulliste – lointain mirage mais dont la nostalgie ne peut plus servir de viatique – et les choix européens nous contraignant jour après jour à une forme d’impuissance mal compensée par un discours sécuritaire qui ne parvient pas à donner le change.
En 2002, Jean-Pierre Chevènement avait eu une formule résumant bien la situation : «la droite a abandonné la Nation et la gauche a abandonné le peuple»
Quand on remise de Gaulle au rang de souvenir, pour finalement se convertir à l’enseignement de Jean Monnet afin de mieux penser en «Américain», ce n’est plus seulement un chêne qu’on abat mais c’est la Haute-Marne et, avec elle, une civilisation qu’on oublie et dont on détourne plus ou moins pudiquement le regard.
En 2002, Jean-Pierre Chevènement avait eu une formule résumant bien la situation : «la droite a abandonné la Nation et la gauche a abandonné le peuple». La désarticulation de la question sociale et de la question nationale est ici résumée en une phrase. Près de 20 ans plus tard nous ne cessons d’en mesurer les effets. LREM et le RN congèlent à eux deux au moins 50% de l'électorat de celles et ceux qui vont encore voter. Il ne reste que des miettes pour les autres. Cette situation à elle seule résume tout le malaise, voire le malheur français dont l’imaginaire ne cesse d’être brutalisé.
Si la «gauche» et la «droite» existent encore, dans l’état où elles sont et au regard de leur histoire de ces 40 dernières années, peuvent-elles encore servir de grille de lecture et de compréhension du monde d’aujourd’hui ? Rien ne se fera sans une refondation et un ressourcement profond et puissant à l’idée même de République qui, aujourd’hui, est désormais le nouveau clivage dans la vie politique française.
Il faut avoir le courage de dire et de reconnaître qu’il y a désormais des lignes de fractures au sein de la «gauche» comme de la «droite» d’une telle ampleur qu’elles ne relèvent plus simplement de sensibilités différentes en faisant «leurs richesses» mais bien de visions devenues difficilement conciliables au sein d’une même «famille» politique. Il faut donc avoir le courage de s’atteler à cette tâche de salut public afin de bâtir une nouvelle offre politique, seule capable de tracer une véritable perspective pour notre pays.
Claude Nicolet