Au Monténégro, à l’approche des nouvelles élections législatives du 30 août, les tensions sont toujours aussi grandes entre le gouvernement et l’Eglise orthodoxe serbe du Monténégro dirigée par le métropolite Amphiloque.
En cause : la loi sur la liberté religieuse, votée par le Parlement le 26 décembre 2019. Celle-ci oblige l’Eglise orthodoxe serbe à présenter les titres de ses propriétés datant d’avant 1918, chose souvent impossible pour des raisons historiques, sous peine de nationalisation. Une mesure que l’Eglise orthodoxe serbe juge inacceptable et discriminatoire, alors que les autres communautés religieuses ne sont pas concernées par cette décision gouvernementale. En effet, le Monténégro coopère avec les autres confessions, musulmanes, juives et catholiques. Un concordat a même été signée avec l’Eglise de Rome en juin 2011, lui permettant de jouir d’une certaine indépendance.
Alors que la population orthodoxe (environ 70% du pays) vit cette décision comme une humiliation, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu dans tout le Monténégro depuis le début de l’année autour des lieux symboliques et historiques du pays.
Peuplé d’environ 609 000 habitants, le Monténégro est issu de la partition de l’ex-Yougoslavie et a gagné son indépendance en 2006 par 55,4% des voix et un taux de participation de 86%. Le pays est soutenu par l’Union européenne et est entré dans l’OTAN en 2017. Le président Milo Dukanovic, issu de la Ligue des Communistes de Yougoslavie s’est détourné de son mentor Slobodan Milosevic. Il a ensuite adopté l’idéologie néo-libérale européenne via son parti le DPS, Parti Démocratique des Socialistes. De façon logique, le pays a demandé à rejoindre l’Union européenne en 2008, cette dernière retardant à chaque fois sa prise de décision. En cause : la très mauvaise réputation du pays gangrené par la corruption et divers trafics. Une situation analogue à celle de son voisin de l’est, le Kosovo.
Le patriarche russe Kyrill dénonce une «loi discriminatoire»
Pour contrer l’influence de l’Eglise serbe, indéfectible alliée du patriarcat de Moscou, le gouvernement du Monténégro a décidé de créer sa propre Église en 1993.
Toutefois, cette nouvelle structure n’est reconnue par aucune autre juridiction dans le monde orthodoxe. Même le patriarcat de Constantinople soutient l’Eglise serbe du Monténégro. L’inverse aurait été possible, puisque le Phanar a déjà reconnu l’ex-Eglise schismatique créée en Ukraine par l’ancien président Petro Porochenko dans le but de contrer l’influence russe. Dans le monde orthodoxe, l’autocéphalie de l'Eglise serbe du Monténégro a toujours été reconnue dans le cadre de l'Eglise serbe en tant qu'exarchat.
La nouvelle Eglise du Monténégro est [...] une création de l’Etat, comme en Ukraine, avec pour projet politique de détacher le Monténégro de l’influence serbe
La nouvelle Eglise du Monténégro est donc une fois de plus une création de l’Etat, comme en Ukraine, avec pour projet politique de détacher le Monténégro de l’influence serbe. Les Orthodoxes du pays voient leur foi écartelée entre un nationalisme pro-serbe et un nationalisme pro-monténégrin (pro-européen).
Les réactions dans le monde orthodoxe sont fortes, le patriarche de l'Eglise orthodoxe russe Kirill a déclaré, dans un texte relayé le 13 juillet sur le site officiel du patriarcat de Moscou : «J’appelle les autorités civiles du Monténégro à abroger la loi discriminatoire qui a introduit la division et le schisme dans la société monténégrine, à mettre fin à la persécution de l'Eglise orthodoxe [serbe], à cesser toutes les tentatives de création d'une autre structure religieuse à sa place ».
Il ajoute aussi : «La pression sur les croyants augmente régulièrement. Leur mobilisation par milliers montrent qu'ils ne peuvent plus et ne veulent plus supporter cela. Le non-respect des hommes de l'Eglise et leur humiliation publique par les autorités est devenu la norme». Et il explique enfin que : «Le souverain d'un Etat laïc ne peut pas créer d'Église. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de considérations qui justifieraient l'empiètement de l'Etat sur les sanctuaires nationaux gardés par l'Eglise».
Le Patriarche de Serbie a quant à lui lancé un appel aux autorités monténégrines : «Sa Sainteté le patriarche de Serbie Irénée appelle les autorités de l’Etat du Monténégro, particulièrement les membres du ministère de l’Intérieur, à mettre fin immédiatement à la terreur brutale exercée à l’égard de l’eglise orthodoxe serbe, son clergé et son peuple fidèle. Les coups infligés [par la police] à l’évêque vicaire de Dioclée Mgr Méthode, aux prêtres et aux fidèles orthodoxes, pour la seule raison qu’ils sont Serbes et Orthodoxes, est un acte sans précédent en Europe depuis la chute du fascisme et la fin de la terreur bolchevique», a rapporté le site de l’association «Tous les Serbes à Paris».
Du côté de l'UE, la Commission européenne et la Commission de Venise du Conseil de l'Europe ont appelées au dialogue entre les parties concernées.
Que ce soit au Monténégro ou en Ukraine, les Eglises orthodoxes locales en Europe de l’Est ont su faire revivre la foi et survivre aux différents régimes socialistes en place. Cela montre une grande capacité de résilience de la part de l’Eglise de façon générale.
Au Monténégro et dans les Balkans, l’Eglise orthodoxe est un socle culturel, religieux et idéologique fort. La nouvelle stratégie pour contrer l’influence russe dans les Balkans est donc de créer des structures ecclésiales indépendantes. L'objectif est d’accaparer une partie des fidèles et ainsi morceler l’Eglise orthodoxe en diverses organisations souvent illégitimes et incompréhensibles pour le chrétien lambda.
La tactique employée est simple : créer un sentiment ethnique s’appuyant sur une langue spécifique, utiliser des éléments historiques en faveur de l’indépendance et réécrire le roman national justifiant l’opposition à l’ennemi juré.
Ainsi, il est fortement possible de voir à l’avenir des cas similaires de tentatives de déstabilisation des Églises orthodoxes, influencées par l’Eglise russe, dans d’autres pays.
Raphaël Blere