Un populisme peut en cacher un autre

Pour la présidentielle 2022, Emmanuel Macron redouterait un candidat «outsider». Qui est-il et que craint vraiment le président ? Décryptage par Guillaume Bigot.

Le 21 mai, Bigard interpelle le chef de l’État pour lui demander de déconfiner les bars.

Le 27 mai, l’humoriste confie avoir reçu un appel d’Emmanuel Macron lui expliquant qu’il partageait son impatience. «Je ramène ma gueule, je chie sur le président et le président m’appelle. Je trouve ça génial», jubile Bigard.

Le même jour, le président fait savoir qu’il redoute l’émergence d’un «outsider» pour 2022. Et ce proche de Jupiter de le désigner : Jean-Marie Bigard.

Aussitôt, BFM TV interroge le «nominé» : une candidature en 2022 vous intéresse-t-elle ? «Ça pourrait, si ça pouvait aider le peuple à avoir une voix sincère qui ne ferait partie d’aucun parti politique», répond Bigard.

Cette séquence soulève de nombreuses questions. Pourquoi l’ennemi juré des populistes et l’adepte d’une présidence verticale a-t-il téléphoné à un humoriste qui l’insulte ? Si l’on comprend pourquoi Bigard s’est répandu sur les ondes pour se vanter du coup de fil présidentiel, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il cru utile de faire savoir qu’il craignait une candidature populiste dans deux ans ? Bigard n’est pas le seul trublion mentionné dans les indiscrétions du palais.

Pour comprendre ce surprenant coup de fil, arrêtons-nous sur son destinataire. Ce n’est pas la première fois que Bigard est démangé par la politique. Aux dernières municipales, le roi de la plaisanterie douteuse s’est présenté pour soutenir son ami Marcel Campion. Ce n’est pas la première fois que l’Elysée s’intéresse au citoyen Bigard. Le président Sarkozy avait même convié l’intéressé à une visite officielle au Vatican.

En plus d’être un catholique fervent et d’avoir un humour aussi gras qu’une barquette de frites, le spécialiste du «lâcher de salopes» a de quoi séduire tout monarque républicain. Son humour graveleux dissimule une grande intelligence et une immense générosité qui en fait l’une des personnalités les plus appréciées des Français.

Il a succédé à Coluche dans le rôle du président du café, cet autre parlement du peuple, disait Balzac. Ce comique, qui remplit les stades, beugle à la France d’en haut tout le mal que pense d’elle celle d’en bas.

Sentant qu’il ne dispose d’aucune crédibilité vis-à-vis d’une partie importante de l’opinion, le président a tenté de calmer Bigard et de s’adresser à ses détracteurs. Visiblement sans succès.

Cherchant à saisir le sens de cet étrange enchaînement (vidéo, coup de fil, indiscrétion), une première analyse pourrait donc en conclure que Macron s’est retrouvé dans la posture de l’arroseur arrosé.

Sans exagérer l’habileté d’un homme qui joue à Clémenceau affublé d’un masque alors que son gouvernement tente de faire croire à «son» peuple que les masques ne servent à rien, il serait naïf d’imaginer que l’ex-banquier n’avait pas anticipé la réaction de Bigard.

En téléphonant à ce tartarin éruptif, Macron savait qu’il rendrait son appel public. Ce coup de fil était donc téléphoné. Le président a plutôt joué à un jeu de billard à trois bandes, appelant Bigard afin qu’il s’en vante et avant de faire savoir qu’il craint sa candidature comme celle d’un Zemmour, d’un Raoult ou d’un de Villiers.

Macron a passé plusieurs coups de fil ou rendu plusieurs visites de courtoisie à différentes personnalités, dont le président estime qu’elles pourraient jouer le rôle du chien dans un jeu de quilles en 2022.

Le président a téléphoné à Zemmour ainsi qu’à de Villiers. Il avait déjà appelé Hanouna. En pleine crise du Covid, il a rendu visite à Raoult.

Si l’on compte Bigard, cela fait cinq trublions qui ont droit à une attention présidentielle. Cinq personnalités hautes en couleurs, tonitruantes, populaires et, exception faite d’Hanouna, qui sont toutes attachées à des valeurs traditionnelles.

A chaque fois, le même scénario se reproduit. Macron prend un malin plaisir à transgresser, au risque de choquer ses partisans : «Le président appelle qui il veut, quand il veut. Le problème, c’est de le voir répondre en direct à un poivrot aviné qui nous parle de ses couilles. C’est pire que Leonarda», peste une députée LREM.

Le président de tous les Français avait à chaque fois d’excellentes raisons de parler à ces personnalités : à Hanouna, pour parler à la jeunesse, à Zemmour pour condamner la violence, à Raoult pour ne pas laisser dire que l’exécutif négligeait l’hydroxychlroquine, à de Villiers pour sauver le tourisme, etc.

Emmanuel Macron ne s’est pas contenté d’appeler ; il a compris, compati, soutenu, cajolé. Didier Raoult expliquera que le président l’a félicité pour la création de l’IHU. Philippe de Villiers déclarera qu’il était favorable à la réouverture du Puy-du-Fou. Jean-Marie Bigard confiera que Manu voulait hâter le déconfinement.

A propos de de Villiers et de Bigard, notons que le président n’a pas hésité à mettre en porte-à-faux son Premier ministre pour abonder dans leur sens. On tient peut-être une explication.

La règle numéro un de survie pour un Premier ministre sous la Ve République, c’est de ne pas laisser l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre lui et l’Elysée. Inversement, celle d’un président dont la popularité dévisse alors que celle de son Premier ministre grimpe, c’est de le remercier. Ce que fit De Gaulle avec Pompidou ou Mitterrand avec Rocard.

Dans son discours pré-déconfinement, Edouard Philippe déclarait craindre un effondrement du pays. «Je n’utiliserai pas ces grands mots», commentera Emmanuel Macron quelques jours plus tard. Avec le soutien affiché à Bigard et à de Villiers, la mèche du départ certain du maire du Havre semble être vendue.

Macron sent bien qu’en période de montée des températures pré-estivales, après des mois de confinement et des années de grogne sociale, l’Hexagone est une cocotte-minute. Et qu’il faut impérativement relâcher de la vapeur. Cette explication est plausible, mais le mystère de la communication et des intentions présidentielles subsiste.

Faire savoir que l’on entend la colère anti-système et risquer de l’amplifier, ce n’est pas la même chose. Macron n’a certes pas donné raison à Raoult contre les sachants, ni soutenu le combat de Zemmour pour la préservation d’une culture française dont il nie l’existence, ni avoué qu’il concevait Touche pas à mon poste comme le meilleur atout pour réussir son «été apprenant», mais la répétition de ces appels du pied ne laissent planer aucun doute sur l’existence d’une stratégie machiavélique.

Comme le confiera un conseiller du président, «si Macron parle aux populistes, c’est qu’il veut les désarmer en franchissant les barrières derrière lesquelles ils font prospérer leurs discours».

L’explication est un peu courte. Macron a certes prouvé que ceux qui rejettent les «élites» sont prêts à se jeter dans les bras du premier venu. Les économistes appellent cela une «prophétie auto-réalisatrice». Crier au loup pour le faire venir…

Un tel calcul paraît hasardeux. Le chef de l’Etat semble se comporter comme un pompier pyromane. Si la végétation est si sèche, le vent si violent et l’air si brûlant, pourquoi jouer avec des allumettes ?

En incitant des candidatures populistes à se déclarer, le président allume des contre-feux.

Il peut ainsi espérer qu’une partie des électeurs en colère vont se frotter les yeux et se dire : «Tout de même, Bigard au gouvernement, ce n’est pas possible !» Macron tente ainsi une sorte de propagande par le buzz. D’ailleurs, la seule et infime chance que l’homme qui laissera son nom aux autocars a de gagner en 2022, c’est d’instiller dans le cerveau des Français l’idée que si ce n’est pas lui, ce sera le déluge. Ce sera «En marche» ou «on coule».

Emmanuel Macron sent bien que les populistes ont le vent en poupe. Son calcul consiste à multiplier leurs candidatures pour les affaiblir, vieille ficelle politique. Plus ils seront nombreux, plus ils se grignoteront des parts d’électorat. Le même effet, en valeur absolue ou relative, s’exercera à l’égard de son (ou sa) principal(e) opposant relevant d’un populisme «vieux monde». Les électeurs tentés par de Villiers ou par Bigard ne vont pas voter pour Macron.

En revanche, ils pourraient préférer Philippe ou Jean-Marie à Marine ou à Jean-Luc. Approfondissons. Macron sent aussi poindre le danger d’un populisme d’élite, d’un populiste 2.0 qui ne se contenterait plus de pester contre le système, mais qui articulerait des solutions crédibles et enthousiasmantes. Horresco referens, il pourrait s’agir d’un populisme découvrant aux Français que les solutions proposées par le RN ou par la LFI n’en sont pas et que celles imposées par la classe dirigeante nous conduisent dans le mur. Puis, les électeurs pourraient finir par comprendre que les «élites» sont nulles, archi-nulles. Plus irrémédiable encore, la France pourrait finir par comprendre qu’entre se suicider dans l’UE ou mourir à petits feux en se recroquevillant, elle peut retrouver le goût de vivre et renouer avec le destin d’une nation mondiale. Macron lâche donc des noms de personnalités n’ayant aucune chance de gagner, ou aucune intention d’y aller. Nous comprenons enfin où Macron veut en venir. Mettre en avant un certain populisme peut servir à en cacher un autre.