En période difficile, l’inclination humaine pousse systématiquement la société à trouver un bouc-émissaire sur lequel faire rejaillir l’entière responsabilité du marasme qu’elle traverse.
La crise sanitaire du Covid n’échappera pas à cette règle.
Et cela d’autant plus que, s’il est évident que l’on ne peut reprocher au gouvernement français l’apparition et la prolifération de ce virus, il apparaît en revanche que sa gestion de cette épidémie suscite déjà le courroux d’une nation consternée par l’accumulation inacceptable de lourdes défaillances.
D’aucuns s’interrogent sur la nature des manquements qui ont accompagné l’action gouvernementale : s’agit-il d’erreurs, susceptibles d’être plus facilement acceptées, ou de fautes, appelées à déchaîner une forte répression ?
Si les premières peuvent susciter davantage de compréhension et entraîner une responsabilité atténuée, en revanche les secondes ne pourront pas se départir de la sanction pénale qui en constitue la conséquence légitime.
D’ailleurs de nombreuses plaintes ont déjà été déposées contre plusieurs ministres, contre le directeur général de la Santé ou des directeurs d’Ehpad…
Les faits visés sont constitutifs d’infractions graves :
- Délit d’abstention volontaire de prendre ou de provoquer les mesures permettant de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes,
- Homicide involontaire,
- Mise en danger de la vie d’autrui, etc.
Et sont punis d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
En effet, pour beaucoup de Français, la progression exponentielle du virus a mis à jour l’impréparation des autorités françaises et les insuffisances d’un système politique qui semble à bout de souffle.
Refusant de lire la chronique d’une catastrophe sanitaire et financière annoncée, et balayant d’un revers de main tous les signes avant-coureurs de l’épidémie, le gouvernement a non seulement été incapable d’anticiper, d’analyser et de décider dans l’intérêt des Français, mais a également attendu qu’il soit trop tard pour agir.
La débâcle que nous avons dû subir est aussi le résultat de nombreuses années de choix politiques calamiteux qui ont conduit à affaiblir notre souveraineté nationale en matière médicale, comme à de nombreux autres niveaux : quasi-disparition de stocks de masques, nombre restreint de lits médicaux, de tests de dépistage, etc.
De surcroît, il doit être précisé que face au risque d’épidémie, des recommandations sanitaires avaient pourtant été établies à titre préventif dans le cadre de nombreux documents officiels, qui révèlent d’ailleurs que la menace de pandémie était connue des autorités et prise au sérieux.
Ces documents préconisaient tous la constitution de réserves de matériel de protection : rapport parlementaire sur le risque épidémique de 2005, plans nationaux de lutte contre les pandémies, livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, avis de Santé publique France de 2019 recommandant la constitution d’un stock préventif d’un milliard de masques, alerte auprès de la Direction générale de la santé concernant les stocks en 2018, etc.
Par ailleurs, au début de l’épidémie, les manquements ont été nombreux et pourraient être sanctionnés par la justice :
- Fermeture tardive des frontières,
- Non-suspension des vols avec la Chine,
- Retard dans le contrôle des voyageurs internationaux arrivés à Charles de Gaulle,
- Retard dans l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes,
- Maintien des élections municipales,
- Énorme retard de dépistage : les premiers tests sont intervenus – selon les données de Santé publique France – un mois après l’arrivée du virus en France !
- Mensonge du gouvernement sur l’inutilité des masques, contredit par l’Académie de médecine !
- Aucune commande ou presque de tests de dépistage, de machines PCR, de masques… lesquels ont d’ailleurs été envoyés en Chine !
En outre, l’action du gouvernement et de la Direction générale de la Santé a mis en lumière tout au long de cette crise deux graves irrégularités qui ne pourront pas ne pas être sanctionnées :
- Le droit à la santé, qui implique une protection de tous, première obligation qui incombe à l’Etat, a été ignoré, voire bafoué. Cette réalité s’est notamment concrétisée par l’absence de masques respiratoires à destination de la population.
- Par ailleurs, le droit à être dépisté, droit essentiel, n’a pas été reconnu (ce qui est d’ailleurs revendiqué par le ministère de la Santé).
À cela s’est ajoutéeune pénurie de matériels de protection, de gels hydroalcooliques, de blouses, de charlottes…et un retard considérable dans les commandes de tests et de masques.
En outre, l’absence de dépistage massif hautement recommandé par l’OMS n’a donc pas permis d’isoler les malades infectés et d’enrayer plus vite les chaînes de contamination.
Enfin, le dépistage partiel – réservé aux personnes symptomatiques, depuis le déconfinement – semble représenter une aberration en matière épidémiologique : puisqu’il conviendrait évidemment de dépister tout le monde, y compris les personnes infectées mais asymptomatiques, celles-ci demeurant tout aussi contagieuses…
Et ces fautes, qui ont empêché d’endiguer l’épidémie, ont entraîné de très nombreuses victimes qui sont en droit de demander des comptes, de telle sorte que les plaintes pénales et les actions en responsabilité contre l’Etat vont se multiplier.
Les premières actions, de nature pénale, ont une double vocation : celle d’obtenir une sanction vis-à-vis des responsables mais aussi de faire la lumière sur les chaînes de responsabilité.
Si la démarche qui les accompagne revêt surtout un aspect symbolique, destiné à obtenir justice, il n’en demeure pas moins que les conséquences pourraient s’avérer particulièrement lourdes pour ceux qui seraient jugés responsables.
Les secondes, de nature administrative, auront surtout pour objectif d’obtenir une juste indemnisation des divers dommages subis.
À ce titre, l’action en indemnisation des divers préjudices (moral, physique, économique) auprès du Tribunal administratif repose sur le constat qu’une politique sanitaire lacunaire et fautive a été menée par le gouvernement et notamment le ministère de la Santé (et s’appuie notamment sur les dispositions de l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique).
Cette action sera utilisée par une myriade de victimes : familles endeuillées par la perte d’un proche, non traité, qui a subi une perte de chance de vivre plus longtemps, personnes infectées ayant souffert de dommages corporels, personnels exposés et laissés en première ligne sans protection et donc confrontés à un préjudice d’angoisse récurrent, restaurateurs et propriétaires d’hôtels et de cafés, obligés de rester fermés si longtemps et subissant une perte d’exploitation massive…
À telle enseigne que le pays doit s’attendre à un véritable raz-de-marée judiciaire à l’encontre du gouvernement et de l’Etat.
Si certains sont encore hantés par le spectre de l’affaire du sang contaminé, la prolifération des procédures judiciaires et administratives à venir n’aura à l’évidence rien de commun avec les scandales qui ont pu émailler la deuxième partie du XXe siècle.
Il convient ainsi légitimement de s’attendre à une abondance de jugements dont le retentissement inouï sera à la hauteur des conséquences désastreuses de ces scandales d’État.
Car, si les Français doivent bien être conscients que les difficultés présentes et à venir nécessitent un mouvement d’unité nationale pour faire face et tenir bon, en revanche l’on ne saurait leur reprocher de condamner la gestion calamiteuse de cette crise, dont les stigmates impacteront profondément et durablement leur vie et celle de leurs proches.
Après tout, la Justice n’est-elle pas rendue au nom du peuple français ?
Pierre Debuisson