Sous certains aspects, cette crise sanitaire aura eu du bon.Elle aura notamment permis de relancer le mouvement de solidarité nationale.
Çà et là, des collectifs de quartier s’organisent pour venir en aide aux plus démunis en leur distribuant gratuitement des repas faits maison. Et dans un élan de communion, les Français applaudissent à l’unisson tous les soirs à 20h.
Une minute par jour, ils expriment leur profonde reconnaissance envers tous les membres du corps médical érigés au rang de héros.
Mais ne conviendrait-il pas davantage de parler en réalité de martyrs, qui acceptent de souffrir car ils sont animés par la passion de sauver qui s’apparente à une foi inébranlable en l’humanité ?
A cet égard, ce moment de crise aura eu le mérite de restituer dans toute sa beauté l’essence même de la vocation médicale au personnel soignant, trop longtemps dénigré.
Et de rappeler à tous, l’importance capitale de la Santé dans notre collectivité.
Si l’on s’habitue à tout, et même à l’intervention quotidienne du Directeur général de la Santé, rictus aux lèvres, égrenant soir après soir dans une mécanique bien huilée le nombre de morts frappés par le coronavirus, il ne faudrait cependant pas oublier les graves défaillances qui ont émaillé la gestion calamiteuse de l’épidémie par le gouvernement français.
Ni les nombreuses victimes «laissées sur le carreau».
Manque d’anticipation et de réactivité de nos dirigeants, mensonges d’Etat, refus de tenir compte des prescriptions sanitaires préventives (pourtant détaillées dans des rapports parlementaires, des Plans de sécurité anti-pandémie, par l’OMS…) ont un impact considérable sur le nombre de décès liés au Covid-19.
Mais à côté des victimes directes et des familles endeuillées, la prolifération de l’épidémie et sa gestion chaotique ont également entraîné des préjudices importants pour de nombreuses autres victimes, indirectes et moins connues.
Il convient donc d’en parler.
Mais avant cela, retour en arrière. En 2019.
Après des mois de grèves massives accompagnées de revendications nationales éteintes dans le silence de l’indifférence politique, le corps médical a été humilié, écrasé, et rejeté au rang des bannis de la République.
Leurs représentants ayant été réduits à de simples éléments perturbateurs, considérés avec dédain comme ceux qui n’ont pas à protester, qui doivent garder le silence, et in fine qu’il convient de museler car ils sont les empêcheurs de tourner en rond du service public.
La déflagration provoquée par les démissions massives de leurs fonctions administratives de plus de 1 000 médecins n’y changera rien. On continuera de les «prendre pour des imbéciles» comme ils le clament eux-mêmes à raison.
Ils dénoncent la déliquescence de l’état de l’hôpital, le manque de moyens et l’absence de reconnaissance de l’Etat.
Rien n’y fait : tous les appels au secours du corps médical n’ont pour écho que le silence assourdissant d’un Etat qui a d’autres préoccupations et qui ne porte pas le moindre intérêt à la vie de ces dizaines de milliers d’infirmiers, d’aide-soignants et de médecins.
Après tout, tout va bien.
Pourquoi les aider ?
Seulement voilà, le Coronavirus frappe quelques semaines plus tard à notre porte.
Et nous ne sommes pas prêts.
Face à l’affluence massive de malades, les hôpitaux sont immédiatement engorgés.
Nous ne disposons pas de suffisamment de lits de réanimation – la France en compte cinq fois moins que l’Allemagne.
Et à vrai dire, nous manquons de tout : la pénurie touche la totalité des matériels de protection, les respirateurs, les tests de dépistage…
Résultat, le gouvernement déclenche en urgence le 13 mars un Plan blanc maximal, qui impose à tous les hôpitaux du territoire la déprogrammation des opérations médicales jugées non urgentes et ce, pour plusieurs mois.
L’objectif est de libérer des lits en réanimation, des salles de réveil et du personnel qualifié.
Le même jour, Olivier Véran, le ministre de la Santé indiquera même avoir «demandé aux agences régionales de santé d’annuler sans délai toute activité programmée dans tous les hôpitaux du pays».
Parmi celles-ci figurent pourtant des opérations sensibles comme l’ablation de tumeurs cancéreuses…
De nombreux médecins confient leur désarroi dans la presse et le choix difficile qui s’est imposé à eux pour de nombreux patients.
Car en l’absence d’opération, le risque de métastase est bien évidemment très sérieux.
Le risque est également significatif pour les personnes qui présentent sans le savoir les symptômes d’un carcinome naissant – comme un cancer de la peau – et qui ne peuvent être traitées à temps…
De même, l’accès aux soins pour de nombreux malades souffrant de pathologies chroniques a été suspendu ou ralenti.
Les malades atteints de pathologies chroniques sont nombreux : ils représentent environ un tiers de la population française et parmi eux, 600000 nécessitent des soins réguliers.
Diabétiques, asthmatiques, patients atteints de sclérose en plaque, victimes d’antécédents cardiovasculaires ou encore d’obésité morbide, vivent tous dans la crainte de contracter le coronavirus.
Comme le rappelle Carenity, premier réseau social international destiné aux personnes concernées par une maladie chronique avec plus de 500 000 membres : «Alors que l’attention se porte sur la prise en charge des personnes affectées par le Covid-19, le risque de décrochage thérapeutique des patients chroniques est réel.»
Un sondage pratiqué par ce réseau révèle ainsi que 41% des patients interrogés ont eu une consultation ou intervention chirurgicale annulée ou reprogrammée au mois de mars…
Parallèlement, l’absence totale de masques respiratoires pour la population, pourtant premier moyen d’endiguer l’épidémie, distille un climat délétère pour ces personnes déjà fragiles, qui n’osent plus sortir de chez eux, dès avant le confinement.
Les avertissements alarmants des autorités n’arrangeront rien.
Parmi celles-ci, figurent notamment les recommandations émises par le Haut comité de Santé publique, le 14 mars 2020 à l’attention de ces patients, qui sont déjà fragilisés et qui présentent donc un risque sérieux de complications sévère en cas d’infection au Covid-19.
Conséquence : ces patients sont bien plus effrayés par la perspective de contracter le coronavirus que par leur propre pathologie, dont ils négligent le traitement.
La communication désastreuse du gouvernement impactera profondément ces victimes, qui présentent un stress aigu.
Le message est clair : «Restez chez vous, n’allez pas chez votre médecin ou sinon faites de la téléconsultation.»
Convaincus que les cabinets de médecins – tout comme les hôpitaux – sont saturés de malades et constituent un bouillon de culture viral, les patients suivront malheureusement à la lettre les recommandations des autorités.
Le coup de grâce est porté par le Premier ministre qui déclare dans l’allocution du 20h, le 23 mars, que les déplacements pour consultation médicale sont désormais «réservés aux soins urgents» ou aux convocations.
Seul problème : comment définir l’urgence ?
Les patients ne sont pas médecins, et minimisent souvent leurs difficultés.
Ce qui expliquerait pourquoi les chefs de service constatent dans tout le pays une réduction massive de l’affluence de cas graves : le nombre de victimes d’AVC mais aussi de victimes d’infarctus se présentant à l’hôpital est ainsi divisé par deux !
Les chiffres concernant les décès à domicile pourraient constituer une triste surprise…
De surcroît beaucoup de patients, tétanisés par une peur relayée sans cesse à la radio, à la télévision et dans la presse, décident de reporter leurs rendez-vous médicaux habituels.
Et ce, d’autant plus que les médecins sont eux aussi nombreux à dénoncer le manque de moyens dans les médias et donc le manque de protection des malades.
La peur fantasmée de salles d’attentes bondées par des personnes infectées par le Covid paralyse chez eux leurs patients.
Le docteur Marc Perrucho, médecin généraliste à Toulouse l’affirme : «Au début de l’épidémie, les masques nous étaient apportés par nos propres patients ! Nous n’avions aucun matériel de protection.»
Celui-ci subira de plein fouet une très forte réduction d’affluence de sa patientèle, comme toute la profession d’ailleurs, soutenue par les syndicats des médecins libéraux qui demandent de l’aide, en vain.
A l’heure des comptes, les victimes seront plus nombreuses que prévu.
Pierre Debuisson