Certaines rencontres marquent plus que d’autres et rares sont celles qui bouleversent au point de faire basculer notre existence.
Reconnu comme étant le seul prisonnier politique en Europe, Julian Assange est l’une des personnes les plus controversées au monde. C’est probablement pour cette raison qu’il est l’exemple même de la résistance en ce début de XXIe siècle. Tout a été écrit – ou presque – sur la personnalité, l’enfance, les éventuelles «frasques» du fondateur du site d’information WikiLeaks et trop peu ne l’a été sur le contenu des révélations faites par le journaliste et la publication qu’il dirigeait jusque à l’an dernier.
Depuis sa création en 2006, WikiLeaks n’a fait que dévoiler des informations d’intérêt général sans jamais être condamné quant à la véracité de leur contenu et sans jamais avoir révélé l’identité des lanceurs d’alerte qui fournissent des documents, pour la plupart confidentiels. Depuis plus de dix ans, Assange et ses équipes n’ont de cesse de mettre à la disposition de tout citoyen ce que cachent nos gouvernements. Leur devise est explicite : «We open governments».
Depuis sa création en 2006, WikiLeaks n’a fait que dévoiler des informations d’intérêt général sans jamais être condamné quant à la véracité de leur contenu
Des quantités d’informations révélées ces dernières années ont véritablement alerté voire alarmé les citoyens : de la vidéo Collateral Murder témoignant des assassinats perpétrés par des militaires américains sur des civils en Irak au monitoring du portable de la chancelière Angela Merkel, à l’espionnage par l’Agence de sécurité américaine (NSA) d’élites françaises et parmi celles-ci les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande mais aussi les «Syria files» et autres câbles diplomatiques, la raison d’être du site est de donner une audience aux lanceurs d’alerte avec le principe de la protection des sources et de la liberté d’expression.
Toutes les informations soudainement révélées ont participé à l’éveil des consciences internationales durant cette dernière décennie. Décrié par ses opposants à la hauteur des enjeux et des révélations, le «cyber-dissident» Assange a vu les pressions se multiplier et s’accélérer. L’emprisonnement subi depuis 2012 dans une pièce minuscule de l’ambassade de l'Equateur à Londres – où le courageux président Rafael Correa lui a offert refuge – ne semblait pas suffire, les connexions internet et les visites faites au journaliste ont été supprimées au début de l’année 2018, pour ajouter à sa peine. Les histoires les plus folles ont alors circulé, notamment que son chat, «Embassy cat», aurait même été entraîné à espionner !
Toutes les informations soudainement révélées ont participé à l’éveil des consciences internationales durant cette dernière décennie
Alors que nous avons eu écho ces dernières années que l’état de santé d’Assange semblait se détériorer très rapidement, des experts de l’ONU ont été détachés à Londres en 2016. Leur rapport a établi que les circonstances punitives extrêmes de l’enfermement de l’Australien étaient arbitraires et qu’il devait immédiatement être libéré.
Les historiens retiendront probablement le silence assourdissant de la classe politique mondiale sur cet enfermement de sept longues années. En cette triste journée du 11 avril 2019, chacun de ceux qui connaissent Assange a été extrêmement choqué du vieillissement prématuré de sa peau à sa sortie de l’ambassade de l'Equateur, lorsqu’il a été porté et escorté par des policiers britanniques. Ces images alertent sur le traitement aussi injuste que cruel subi par celui qui a osé révéler les secrets d’Etat les plus dissimulés.
Le travail d’Assange a toujours été d’informer, de participer à l’intérêt général et d’exposer la responsabilité de ceux qui nous gouvernent. La liberté d’expression et la liberté de la presse sont au cœur du texte de la préface dont il m’a fait l’honneur pour mon dernier ouvrage. Il maîtrise mieux que quiconque ce sujet pour avoir directement été la cible de certains de ses confrères alors qu’il est prouvé que WikiLeaks est l’organe de presse le plus rigoureux puisqu’il ne publie que des informations provenant de ses sources.
Comme tous ceux qui osent alerter, informer, enquêter, vérifier et croiser leurs sources, nous, lanceurs d’alerte, avons subi de plein fouet les dérives de nos démocraties et la lâcheté de nos dirigeants. Le mépris, l’arrogance, l’incompétence, l’entre-soi ont été notre quotidien. Nous avons peu à peu découvert que nos «élites» n’auraient aucune limite quant au traitement de nos dossiers. Nous avons pris conscience les uns les autres que tout était mis en place pour que rien ne change jamais. Certains lanceurs d’alerte ont trouvé porte close lorsqu’ils se sont adressés aux médias : dossiers trop gênants, dossiers jugés «inintéressants» voire «futiles».
Comme tous ceux qui osent alerter, informer, enquêter, vérifier et croiser leurs sources, nous lanceurs d’alerte avons subi de plein fouet les dérives de nos démocraties et la lâcheté de nos dirigeants
Les lanceurs d’alerte doivent beaucoup à Assange car il a toujours démontré son esprit d’équipe, ayant l’intelligence de souhaiter rassembler et fédérer les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation, comprenant que c’est la seule façon de pouvoir défendre nos intérêts de citoyens. Alors que les droits et les devoirs de la Charte de déontologie Munich semblent avoir été oubliés par certains professionnels, Assange et ses équipes ont prouvé leur éthique et leur intégrité par la publication de documents sourcés. On ne peut que reconnaître le courage d’Assange et sa détermination dans le combat pour la vérité et le droit à l’information.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, chacun des lanceurs d’alerte vit une bribe de la cruauté qui est infligée à Assange : la lanceuse d’alerte Françoise Nicolas a subi une tentative de meurtre au sein de l’ambassade de France au Bénin où elle avait dénoncé des dysfonctionnements comptables. Abandonnée de toute la haute administration française, elle doit mieux que quiconque savoir ce qui se passe derrière les portes d’une ambassade. Le lanceur d’alerte suisse Rudolf Elmer avait remis à Julian Assange des DVD relatifs à des comptes offshore de la banque Julius Baer (agence des îles Caïmans) lors d’une conférence de presse à Londres ; il subit des représailles, une stigmatisation insupportable et un parcours interminable en justice en Suisse depuis une décennie. Chelsea Manning, la militaire américaine qui avait transmis à WikiLeaks la vidéo Collateral murder, est de nouveau emprisonnée aux Etats-Unis. Refusant de témoigner contre Wikileaks, elle fait preuve d’un courage exemplaire.
Honte aux gouvernements français successifs, honte aux démocraties européennes qui n’ont pas voulu soutenir ni protéger Assange, laissant ce petit pays qu’est Equateur bien seul face aux pressions exercées.
L’abandon des pouvoirs publics de nos «démocraties vieillissantes» prouve que le droit à l’information est en grand danger. C’est pourquoi la libération d’Assange est l’affaire de tous les Français, à commencer par tous ceux qui exercent la profession de journaliste. La liberté d’expression étant dans notre constitution, les Français se doivent de montrer l’exemple en se réunissant partout sur le territoire : l’organisation de marches nationales (voire aboutissant à une marche internationale) de citoyens revendiquant la parole libre se doit d’avoir lieu avant le 2 mai, date à laquelle Assange pourrait être extradé vers les Etats-Unis.
Tant qu’Assange n’est pas libéré, la liberté de parole ne peut être garantie. La résilience, la résistance, le courage d’Assange doivent être portés. Son nom doit être pour chacun et pour tous la référence en matière d’accès à l’information à l’époque où le big data permis par la révolution numérique a remplacé les photocopies en masse de documents confidentiels.
Le 3 juillet 2015, Julian Assange publiait une tribune dans le quotidien Le Monde où il détaillait les conditions de son enfermement et appelait le président français François Hollande à l’accueillir soulignant que «la France accomplirait un geste humanitaire». Malgré les courriers répétés à l’Elysée de certains soutiens d’Assange, les réponses n’ont jamais évolué. Ce refus du président Hollande est à la hauteur de la cruauté et de la lâcheté exercées, notamment lorsque l’on sait que depuis sept ans, Assange n’a pas pu voir son enfant qui vit dans l’Hexagone, pour éviter des pressions additionnelles ainsi que des représailles sur sa famille.
Le subterfuge consiste aujourd’hui à ce que Assange ne soit accusé que de piratage informatique, ceci afin que l’extradition vers les Etats-Unis soit autorisée par les tribunaux
L’isolement et l’abandon d’Assange sont non seulement choquants mais révélateurs de l’indifférence et du cynisme de nos «élites politiques». Par ce refus, le président du «pays des droits de l’homme» a alors montré qu’il n’était pas à la hauteur des valeurs de notre pays ni des enjeux car Julian Assange, par ses révélations, a participé à la défense de nos propres intérêts de Français.
Le subterfuge consiste aujourd’hui à ce qu'Assange ne soit accusé que de piratage informatique, ceci afin que l’extradition vers les Etats-Unis soit autorisée par les tribunaux de la Grande-Bretagne pour l’Hexagone enfermement aux Etats-Unis qui ne durerait que cinq ans. Or il est évident que Assange y risque un procès à charge pour des motifs d’espionnage et une peine de prison à vie dans une maison d’arrêt de haute sécurité.
Dans le contexte d’une fracture démocratique incontestable et du mouvement des Gilets jaunes, où des manifestants dénoncent une propagande médiatique scandant : «Droit de manifester, droit d’informer : même combat !», quelles réponses le gouvernement français va-t-il pouvoir donner aux citoyens qui veulent repenser le système ?
Le président Emmanuel Macron avait comme ambition de rassembler les Français. Avant que la traque des lanceurs d’alerte ne soit inversée et que ne soient rapidement traqués les responsables des dérives plutôt que les citoyens honnêtes, le président aurait une action courageuse et prouverait à tous que la France, sixième puissance mondiale, est le pays de la liberté, s’il organisait dès aujourd’hui les conditions de l’asile et de la sécurité d’Assange. Certains d’entre nous ont de la mémoire et savent que la France a honteusement accueilli et protégé le dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier qui, dès 1986, a pu circuler librement et pendant 25 ans sur notre territoire.
Dans un pays en quête de sens, nous sommes nombreux à nous poser la question concernant quel type de société souhaitons-nous laisser à nos enfants : s’agit-il d’un monde constitué de mensonges, de guerres inutiles, de corruption au détriment du plus grand nombre ?
Levons-nous pour la liberté d’expression, pour la transparence, pour nos démocraties ! Soyons tous #jesuisAssange pour être à la hauteur des valeurs que nous représentons ! Alors la France marquera de nouveau l’histoire par son humanisme et sa liberté d’expression.