Les Brexiters misaient sur la fin de l'UE, ils vont réussir l'exploit de la restaurer

Alors que les négociations sur le Brexit patinent, l'économiste et éditorialiste Jean-Marc Sylvestre estime que les dissensions internes au Royaume-Uni ne font que renforcer une Union européenne dont les membres se montrent soudés

Theresa May est toujours paralysée, mais, fait nouveau, les Européens trouvent dans ces difficultés la force de renforcer leur union et leur position. Toujours pas d’accord en perspective, mais, alors que les Britanniques restent freinés par des tensions internes, l’Union européenne s’en sort en montrant une unité presque inattendue. Les deux dernieres semaines ont  été désastreuses pour Theresa May et pour tous les partisans du Brexit. Non seulement ils ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur les conditions du divorce, mais ils ont réussi ce tour de force de démontrer à l’opinion internationale que l’Union européenne était en train de reconstruire son unité sur le dos des Anglais en évitant la catastrophe. Quelque soit l’issue de cette affaire, les négociateurs européens, alliés au monde des entreprises, vont réussir à éviter des dégâts irréparables. 

Premier point. Le blocage, devenu très anglo-anglais dans la dernière ligne droite, prouve à quel point les partisans du Brexit n’avaient rien prévu ni préparé. Alors que tout le monde était à peu près d’accord pour signer un accord de divorce à l’amiable qui évite les trop grandes difficultés, Theresa May se retrouve face à la question de la frontière entre l’Irlande du Nord (qui appartient au royaume britannique) et l'Irlande du Sud (république indépendante et qui restera dans l’Union européenne). 

Comment les Brexiters n‘ont ils pas imaginé qu’il y avait là des risques de drames humains ? Comment les partisans du Brexit peuvent-ils exiger de Theresa May la reconstruction d’une frontière entre les deux Irlande, à peine 20 ans après la fin de la guerre civile qui a déchiré l’île ? Comment imaginer en 2014 qu’on puisse réveiller autant de souvenirs douloureux qui hantent encore les familles ? Il y a eu des morts, beaucoup de morts, et on voudrait réédifier un mur.

Theresa May ne peut accepter cet aspect le plus funeste du Brexit. Moyennant quoi, elle n‘aura pas de majorité pour signer des conditions de divorce acceptables.

L’entêtement d’une poignée de députés récalcitrants prouve une fois de plus la médiocrité de la classe politique britannique, où tous ceux qui ont défendu et gagné le référendum ont disparu les uns après les autres de la scène, parce qu’ils étaient incapables d’assumer les conséquences de leurs convictions. Les Boris Johnson ou Jeremy Corbyn sont prêts à la politique du pire pour accéder au pouvoir, sans savoir ce qu’ils en feront. Pour eux c’est très simple, désormais c’est «Fuck Bruxelles, fuck business et fuck Theresa May.»

C’est tellement grossier et caricatural que les «Remainers» espèrent un nouveau référendum qui serait tout aussi irréaliste que le premier. 

Second point. Face à cette Grande-Bretagne paralysée, l’Union européenne s’affirme jour après jour plus solidaire et plus cohérente. Alors que les membres de l’Union avaient été incapables de prévoir et de régler calmement les problèmes de la Grèce, incapables de répondre à la question des migrations, incapables de promouvoir une harmonisation sociale et fiscale intelligente... Il faut reconnaître que, face à l’orage du Brexit, les partenaires européens ont toujours affiché une position unanime fondée sur trois principes. 

- Faire en sorte que la Grande-Bretagne puisse sortir de l’Union européenne puisqu’elle l’avait décidée, mais qu’elle en sorte sans insulter l'avenir, c’est-à-dire qu’elle paie ses arriérés de charges. 

- Faire en sorte qu’elle ne puisse pas sortir de l‘Union européenne en évitant ses contraintes, tout en restant assez impliquée pour préserver des avantages du marché unique. Pas question de sortir tout en gardant un pied à l’intérieur. C’était le projet à peine caché des «Brexiters».

- Régler pour le mieux la question des résidents européens en Grande-Bretagne et des résidents britanniques en Europe et éviter les drames inéluctables si on ne prenait pas certaines précautions. 

Les pays membres de l’Union européenne ont su reconstruire une unité forte sur ces trois points qui ont mis les partisans du Brexit face à la réalité et à leurs responsabilités. 

Michel Barnier a été un formidable négociateur et porte-parole des Européens. C’est lui qui a en permanence rappelé les Anglais à leurs responsabilités. Michel Barnier n’a jamais été désavoué ou empêché par les chefs d’Etats et de gouvernements. Il n’a simplement pas été beaucoup aidé, dans la mesure où les chefs d’Etats et de gouvernements étaient très surveillés eux-mêmes par des opinions publiques traversées par des courants identitaires et europhobes assez forts. 

Cela dit, Michel Barnier a été aussi fortement aidé et soutenu par les milieux d’affaires et sociaux. Les grandes entreprises, les grandes banques, les fédérations professionnelles et même les grands syndicats européens ont mené un lobbying très efficace et très puissant pour des solutions négociées d’un Brexit qui maintienne des flux d’échanges commerciaux les plus fluides possibles. La pression a été exercée de part et d’autre du Channel, par les entreprises européennes (allemandes, françaises, italiennes etc) avec deux objectifs :

Un, éviter le protectionnisme qui serait fatal pour l’activité, la croissance et l’emploi. La Grande-Bretagne a besoin des marchés européens et réciproquement. Accepter le protectionnisme faisait le jeu des américains.

Deux, éviter que la Grande-Bretagne, pour survivre, ne se transforme en un vaste paradis fiscal sur le modèle de Singapour. C’était une autre idée cachée de beaucoup de Brexiters. Elle semble aujourd’hui écartée.