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Sommet européen sur le Brexit : l'impossible négociation entre Bruxelles et Londres

Rumeurs, déclarations contradictoires... A l'approche de la date butoir, le sommet sur le Brexit s'ouvre dans une incertitude totale. Pourtant, malgré l'accumulation des blocages, Theresa May s'efforce, tant bien que mal, de garder le cap.

Ceux qui pensaient en juin 2016, au lendemain du référendum, que le Brexit, conformément au souhait des votants, ne serait qu'une formalité, en seront pour leur frais. Un an et demi plus tard, la situation est plus embrouillée que jamais, et Londres dans une situation inextricable.

Alors que les négociations arrivent à la date butoir, la saga du Brexit devrait connaître un nouveau temps fort dramaturgique, avec un ultime – sinon énième –  sommet européen sur le sujet ce 17 octobre 2018. L'Union européenne et le Royaume-Uni s'étaient donné comme «deadline» ce même mois d'octobre pour parvenir à un accord sur les modalités du divorce... 

Pour preuve de la confusion qui règne, le prestigieux quotidien économique et financier The Financial Times croit ainsi savoir que le Premier ministre Theresa May a réuni son cabinet le 11 octobre dans la soirée pour lui annoncer qu'un accord de sortie de l'Union européenne était imminent. Le 12 octobre, Le Monde estimait lui que «l'optimisme était plutôt de mise à Bruxelles». Deux jours plus tôt, le négociateur pour l'Union européenne, le Français Michel Barnier se félicitait d'un accord prochain. Las, le 14 octobre, le même Michel Barnier douchait ces espoirs. «Malgré des efforts intenses, certaines questions clés sont encore en suspens», déplorait-il sur Twitter.

Affaiblie après le quitte ou double des législatives de 2017, affaiblie aussi par les dissensions au sein de son propre Parti conservateur et par le départ fracassant de son ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, Theresa May en est-elle réduite aux incantations, faute de résultat tangible à annoncer ? Car, en face, depuis l'été 2016 Bruxelles a annoncé la couleur : le Brexit n'irait pas sans difficultés.

Irlande du Nord, Gibraltar... et cigarettes espagnoles : des obstacles opportuns ?

Accord ou pas ? De fait, ce n'est pas la première fois que les deux camps annoncent des avancées. Pour mémoire, en décembre 2017, Theresa May et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avaient salué un premier accord et des «progrès suffisants» dans les négociations de sortie du Royaume-Uni de l'Union. Semblait alors en bonne voie de règlement l'épineuse question de l'Irlande du Nord. Et pourtant, dix mois après, un accord reste à trouver pour empêcher le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord.

Et, au-delà, sont également menacés des accords de paix qui régissent la vie des citoyens de l’île irlandaise, en Ulster comme dans la République d’Irlande, pour certains depuis 1923, comme celui sur l’Espace de voyage commun (Common Travel Area Act). Il a été intégré depuis dans le droit européen et renforcé par l’accord du Vendredi Saint de 1998... et devrait ainsi être de nouveau renégocié entre l’Irlande et le Royaume-Uni. 

Faute d'avoir avancé sur le dossier, Theresa May s'est dite prête à accepter que l'Irlande du Nord reste dans l'Union européenne, pour un temps indéterminé sur le principe du backstop. Le terme en jargon bruxellois signifie «filet de sécurité», un texte temporaire qui s'appliquerait faute de meilleure solution négociée.

De fait, les réalités géographiques se sont rappelées au souvenir de Theresa May jusqu'au cœur du Royaume-Uni. Et fournissant de puissants leviers de négociation à Bruxelles. Dès les premières semaines suivant le référendum, l'Union européenne n'avait pas hésité à passer outre la souveraineté nationale britannique pour prendre langue avec les nationalistes écossais. Jean-Claude Juncker avait ainsi soufflé sur les braises en recevant à Bruxelles en juin 2016 Nicola Sturgeon, la dirigeante du parti indépendantiste Scottish national party et Premier ministre écossais. Consécutivement, la dirigeante écossaise annonçait deux mois plus tard son intention d'organiser un référendum sur l'appartenance de l'Ecosse au Royaume-Uni. Plus de deux ans après, la menace pèse toujours. 

Le territoire britannique de Gibraltar, dans la péninsule ibérique, pourrait ainsi perdre l'accès au marché commun avec pour conséquence de compliquer la vie de ses 32 000 résidents. L'Espagne, qui doit s'accommoder de la présence anglaise sur le «Rocher» de 6,5 kilomètres carrés depuis le traité d'Utrecht au début du XVIIIe siècle, tient-elle là sa revanche ?

Là aussi, Londres doit faire face à une situation inextricable. Le président du Conseil européen Donald Tusk a contribué à créer des points de blocage en avril 2017, en conditionnant le sort de Gibraltar au double agrément de Bruxelles et de Madrid. «Aucun accord entre l’UE et le Royaume-Uni ne pourra s’appliquer au territoire de Gibraltar sans un accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni», avait-il alors prévenu, obligeant les autorités espagnoles, qui n'en demandaient pas tant, à désamorcer une crise potentiellement grave avec Londres.

Pour autant, quitte à louvoyer, Madrid ne semble pas avoir renoncé à profiter de l'opportunité de lier l'avenir du territoire disputé à la conclusion d'un accord avec Bruxelles. Il est ainsi question, en ce mois d'octobre, et dans la dernière ligne droite des âpres discussions entre Madrid et Londres, de points aussi triviaux, au regard des enjeux géopolitiques, que ceux de la contrebande de cigarettes espagnoles, moins taxées que les anglaises.

Vers la fin de la remise en cause du vote du 23 juin 2016 ?

Malgré tous ces obstacles, Theresa May peut au moins se féliciter d'une chose : faute de temps avant la sortie effective du Royaume-Uni prévue pour le 29 mars 2019, un nouveau référendum sur le Brexit n'est matériellement plus possible. Au grand dam des partisans d'une nouvelle consultation et des associations qui mènent campagne contre le résultat du 23 juin 2016.

Contributeur de RT France et rédacteur en chef de Ruptures, commentateur assidu du feuilleton du Brexit, Pierre Lévy estime de son côté que l'hypothèse d'un nouveau référendum est à exclure. «Tant pour des raisons politiques – dans aucun des deux partis [les Travaillistes et les Conservateurs] une majorité ne se dégage en ce sens – que pratiques : le délai est insuffisant d’ici mars 2019, et personne ne s’entendrait sur la question à poser», analyse-t-il

Prenant acte de l'impossibilité de revenir sur le vote des Britanniques, les dirigeants de l'Union européenne se contentent désormais, et à nouveau comme en 2016, de le dénigrer. Lors d'une interview accordée le 6 octobre au quotidien autrichien Der Standard, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne regrettait la non-ingérence de Bruxelles dans la campagne du référendum de 2016. «Nous savions déjà quelles seraient les épreuves et les tribulations auxquelles conduirait ce vote pitoyable des Britanniques», avait-il fini par lancer.

Theresa May a réussi le 20 juin dernier à faire passer au Parlement son projet de loi sur le Brexit. Faute de progrès notable, c'est toujours ce texte qui doit permettre au Royaume-Uni de continuer à fonctionner normalement au-delà du 29 mars 2019, date de sa sortie de l’UE. Pour cela, il organise juridiquement la suprématie du droit national britannique sur le droit européen et pérennise, dans le droit britannique, de nombreuses dispositions issues du droit communautaire. 

Toutefois, le Premier ministre Britannique n’a arraché ce vote qu’au prix d’une concession majeure : c’est le Parlement qui aura le dernier mot et autorisera Theresa May à signer l'accord final avec Bruxelles, s'il y en a un. Ainsi, le gouvernement britannique négocie toujours sous l’épée de Damoclès d’une censure de la chambre des Communes au dernier moment. «Je continue de penser qu'un accord négocié est ce qu'il y a de mieux pour le Royaume-Uni et l'UE, je continue de croire qu'un tel accord est réalisable», a encore affirmé la dirigeante britannique devant la Chambre des Communes à Londres le 16 octobre. Le même jour, Donald Tusk, ajoutait à la confusion, en déclarant pour sa part qu'une absence d'accord était «plus probable que jamais»... tout en appelant à rester «optimiste et déterminé».

Alexandre Keller