Le cyberespace : les «Occidentaux» ne pouvaient choisir meilleur terrain pour engager leur nouvelle offensive concertée contre la Russie.
Prenez quelques notions chères aux geeks, telles la «cyberwar», le «dark net», les «hackers»… Tout le monde a déjà entendu ces termes. Ils résonnent, dans la plupart des esprits, comme des univers complexes, dont on a du mal à tracer les contours – dans la mesure d’ailleurs où ceux-ci existent – et dont on comprend confusément l’importance et les périls comme l’immensité des champs d’application. L’écrasante majorité d’entre nous n’est absolument pas en mesure d’apporter un jugement un tant soit peu documenté sur les informations s’y référant. Qu’importe, c’est justement ce qu’il faut.
Ajoutez quelques mots magiques : «GRU», «services secrets»… et vous avez tous les ingrédients d’un bon thriller techno grand public, riche en fantasmes et dont le méchant a depuis 70 ans l’accent russe.
Les récentes accusations britanniques contre la Russie, relayées par les Canadiens, les Néerlandais, les Français, les Américains, l’OTAN, l’Union européenne, bref, les gentils, s’inscrivent pile-poil dans cette veine.
Pour la scène d’ouverture choisissez un poste de commandement aux allures futuristes, une soucoupe volante bourrée d’émules de 007, le GCHQ britannique.
Puis un ministre britannique à la fois souriant, courtois et au maintien raide, sorti tout droit de The Crown, Jeremy Hunt, patron du Foreign Office.
Celui-ci évoque de nouvelles sanctions contre la Russie, dont un service de renseignement aurait conduit toute une série d’actions contre les intérêts occidentaux depuis des années, empoisonnements, cyberattaques, vols de documents, agressions dont les Britanniques auraient les preuves.
Là, on est entre Ian Fleming et Tom Clancy. Du bon, du très bon.
Et il ne s’agit pas de n’importe quel service secret russe. On parle ici du GRU. L’éternelle machine à fantasmes. «Le plus secret des services soviétiques», puis – on ne change pas un acteur qui colle au rôle – «le plus secret des services russes».
Le GRU, plus toxique que le SVR, plus brutal que le FSB, plus secret et redoutable que tous les services émanant de la matrice Tcheka. Le service dont les hommes, tireurs d’élite, tous rompus au Sistema et au combat nocturne, arborent pour emblème une chauve-souris éloquente…
Là, on est entre Ian Fleming et Tom Clancy. Du bon, du très bon.
Le souci est que la dénonciation de ces attaques cyber n’est accompagnée d’aucune preuve.
Le ministre britannique des Affaires étrangères évoque l’intrusion russe dans les ordinateurs du Parti démocrate américain qui, dévoilant les manœuvres malhonnêtes d’Hillary Clinton, lui auraient coûté son échec aux présidentielles. Mais celle-ci, en dépit de multiples rapports au ton courroucé, n’a jamais été prouvée.
La cyberguerre se fonde sur des faisceaux de présomptions, jamais sur des certitudes
Hunt parle aussi d’une attaque contre l’Agence mondiale antidopage, qui, on s’en souvient, avait suspendu les athlètes russes de compétitions. Très bien. Quels éléments à charge peut-il produire ?
Il est facile d’accuser des groupes de hackers russes aux dénominations fantaisistes, «Fancy Bear», «Sandworm», qui ne seraient que des prête-noms derrière lequel on retrouverait le GRU. Mais Hunt peut-il nous dire comment les services britanniques ont réussi à remonter la piste cyber les menant, à coup sûr, rue Grizodoubovoy, dans l’antre de la chauve-souris ? Non. Parce qu’aucun service ne le peut. Parce que la cyberguerre se fonde sur des faisceaux de présomptions, jamais sur des certitudes. Sauf que tout cela est quand même un peu gros. Que le GRU a bon dos.
On le met à toutes les sauces. Il est pris dans tous les sales coups. De l’empoisonnement raté des Skripal à des vols de documents dans une affaire de dopage. De dopage… Comme si l’équivalent de notre DRM n’avait rien d’autre à faire.
L'accusation contre le GRU ne tient pas la route
En plus ses agents sont nuls. Ils se font attraper comme des bleus, par des amateurs, tels les cyberjusticiers de Bellingcat. On les identifie facilement parce que leur «Q» est suffisamment idiot pour leur fournir des faux passeports dont les numéros se suivent.
Curieux non pour l’élite des espions russes ?
Leur mise en cause, de surcroît, intervient exactement au moment où les Britanniques annoncent que leur Centre national de sécurité informatique (NCSC), qui a identifié ces agressions, devrait bientôt être au centre d’une task force de cyberguerre, regroupant plus de 2 000 salariés, entité qui devrait exiger un investissement de plus de 250 millions de livres sterling.
Ça tombe bien, non, au moment où l’appareil de défense britannique est en opposition ouverte à Theresa May rognant sur son budget ?
Evidemment, ce raisonnement et ces remarques sont l’émanation d’un auteur malhonnête puisque collaborateur de RT… Mais cela fait partie du tableau général. Quand il s’agit de cyberguerre on peut raconter n’importe quoi. Accuser n’importe qui. Sans jamais rien produire de tangible à l’appui. Les barbouzes et les journalistes ont ce privilège en commun.