C’est l’été. Août. Les rédactions sont vides. L’information se fait rare. En conséquence la moindre déclaration un tantinet tapageuse se voit aussitôt accordée une importance démesurée par les quelques journalistes privés de vacances, les célibataires – les chargés de famille sont à la mer – et les stagiaires.
Les propos, aussi grandiloquents que ridicules, tenus hier par le vice-président américain Mike Pence, qui a annoncé la création d’ici 2020 d’une sixième branche des forces armées américaines, la «force spatiale», sont donc tombés à point nommé. Chic, un souffle de géopolitique. Arrière les huiles solaires, l’apéro, l’info balnéaire. Place à l’international, à la stratégie, à l’analyse… Trump aurait-il encore signé une énième provocation dont se repaître ?
Navré, chers confrères, mais non. Non. Cette annonce, survenant après celle qui a été faite sur le même sujet par Donald Trump lui-même, le 18 juin dernier, n’est qu’un pétard mouillé. Elle n’est synonyme d’aucune inflexion stratégique majeure. D’aucun plan d’envergure visant à bouleverser les rapports de force. Plus une restructuration qu’une révolution, la création de cette «force spatiale» répond, essentiellement, à un objectif de politique intérieure américaine. A l’approche des élections de mi-mandat du 6 novembre prochain, Donald Trump fait tout simplement campagne. Elu sur un slogan simple, «Make America great again», il tient à rappeler qu’il reste fidèle à cette ligne.
Ecoutez le discours de Mike Pence : «Le temps est venu d’écrire le prochain grand chapitre de l’histoire de nos forces armées, de préparer le prochain champ de bataille, où les meilleurs et les plus braves des Américains seront appelés à dissuader et à contrer une nouvelle génération de menaces pour notre peuple, notre nation». Rajoutez «aujourd’hui nous célébrons le jour de notre indépendance !» et vous vous verrez, de suite, en route pour l’espace, à l’assaut d’un ennemi inhumain, surpuissant, aux côtés de Will Smith et de Jeff Goldblum… Ce qui est bien avec les spécialistes du marketing politique d’outre-Atlantique, c’est que leurs ficelles sont toujours les plus grossières. Associer les mots «espace», « menace », «chapitre», «histoire», revient, instantanément, à évoquer dans l’inconscient collectif américain Kennedy et sa «nouvelle frontière», Reagan et sa «guerre des étoiles», deux défis majeurs lancés à la face de l’ennemi soviétique. Cela revient, aussi, à inscrire Trump dans la lignée de ces deux géants, emblématiques de deux âges d’or américains.
Asseoir la domination de l'Amérique
Trump, comme ses prédécesseurs, ne livre pas une bataille désespérée pour la survie des Etats-Unis. Il entend simplement asseoir la suprématie, la domination de l’Amérique une bonne fois pour toutes. Parce qu’il n’est pas de terrain plus exigeant que l’espace en matière de technologies, de défis industriels, d’excellence, de planification, Trump entend démontrer qu’avec lui l’Amérique est en mesure de vaincre quiconque sur le plus compliqué des champs de bataille potentiels. Et parce que les Américains sont simples, patriotes, sans complexes, qu’ils ne sont pas, bien au contraire, du genre à s’indigner lorsqu’on les considère comme «un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur», on peut parier qu’ils vont adorer ce nouveau défi, du moins ceux qui ont élu Trump en 2016.
Certes, ce défi n’en est pas un, faute d’opposition crédible. Russes et Chinois développent des armes anti-satellites qui pourraient, dans le cadre d’une confrontation ouverte avec les Etats-Unis, minorer l’avantage technologique américain en le privant d’une partie de ses relais de communication, de ses outils de guidage et d’observation.
En revanche, du point de vue des moyens, ils sont, comme les Etats de l’Union européenne, surclassés par les Etats-Unis. Aucun des «Américains les plus braves» ne risquera donc sa vie dans une guerre qui se déroulera, si elle a lieu, en orbite, et à des vitesses exigeant une complète automatisation des missions.
Les Américains, comme ils l’ont si souvent fait, s’apprêtent donc, roulant des mécaniques, à vaincre sans péril… Mais comme ils se moquent de la gloire…
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