RT France : Peut-on aujourd'hui définir la position de la France par rapport au dossier syrien ?
Bruno Guigue (B. G.) : Certains observateurs ont vu un tournant dans les récentes déclarations d'Emmanuel Macron, mais je ne partage pas cet avis. En réalité, la position de la France demeure malheureusement la même que sous la présidence précédente. Seule l'enveloppe change, mais le contenu ne change pas. Paris continue à soutenir l'opposition armée et refuse de réouvrir notre ambassade à Damas.
François Hollande avait déjà accepté, implicitement, de ne plus faire du départ de Bachar el-Assad le préalable absolu
RT France : Emmanuel Macron a cependant déclaré qu'il ne considérait plus le départ de Bachar el-Assad comme une condition préalable à la résolution du conflit. Il a également affirmé que personne ne lui avait présenté le successeur légitime au président syrien. Ce n'est pourtant pas un virage pour vous ?
B. G. : C'est une légère inflexion, c'est vrai. Mais François Hollande avait déjà accepté, implicitement, de ne plus faire du départ de Bachar el-Assad le préalable absolu à une résolution de la crise. Cette évolution était d'ailleurs calquée sur la position de Washington. Aujourd'hui, Emmanuel Macron l'officialise, il le dit ouvertement, mais cela ne change rien sur le fond. Seule la formule sur le «successeur légitime» est véritablement nouvelle, mais elle est étrange. Elle ne signifie pas que Bachar el-Assad est un chef d'Etat légitime aux yeux de Paris, qui s'obstine à lui refuser ladite légitimité. Elle signifie simplement que la France tient compte des réalités politique et militaire. Sur ce double terrain, la situation de la présidence syrienne est aujourd'hui beaucoup plus favorable, et Paris commence à l'admettre timidement.
Cette menace d'intervention militaire représente sans doute, pour lui, une sorte de revanche sur la présidence Hollande
RT France : Sur la base des informations concernant une nouvelle attaque chimique qui serait actuellement préparée par le gouvernement syrien, Emmanuel Macron et Donald Trump se sont entretenus pour se mettre d'accord sur une «réponse commune». Pourquoi prépare-t-on déjà une «réponse» alors que l'enquête sur l'attaque précédente n'a pas encore confirmé la culpabilité du gouvernement syrien ?
B. G. : Votre question souligne la profonde perversité de l'attitude occidentale dans le drame syrien. Il suffit que Washington accuse Damas des pires ignominies pour que Paris lui emboîte le pas. Une étude du prestigieux MIT avait montré en 2013 que l'attaque chimique de la Ghouta orientale ne pouvait venir que de la zone rebelle. Et dans l'affaire de Khan Cheikhoun, en avril dernier, les USA ont refusé la proposition russe d'enquête conjointe. La manipulation de l'opinion est orchestrée, de manière systématique, pour diaboliser un gouvernement qui n'est pas responsable de ces horreurs. C'est le principe bien connu du «false flag» [également appelée "fausse bannière"], dont la politique américaine est coutumière. Il faut se rappeler de la fiole de M. Powell à propos de l'Irak ! C'est toujours la même méthode : mensonge, «false flag» et vidéos...
Tout ce que Paris sait faire, c'est menacer un Etat souverain en produisant de fausses allégations
RT France : Pensez-vous que la France puisse intervenir en Syrie militairement ? Comment cela s'inscrit-il dans la logique de l'abandon de la politique néo-conservatrice annoncée par Emmanuel Macron ?
B. G. : La spécialité d'Emmanuel Macron, c'est la contradiction permanente. Il prétend rompre avec le néoconservatisme tout en se disant prêt à le mettre en pratique. Cette menace d'intervention militaire représente sans doute, pour lui, une sorte de revanche sur la présidence Hollande. Les dirigeants français sont frustrés de n'avoir pu bombarder la Syrie en septembre 2013, et tout se passe comme si Emmanuel Macron voulait mettre fin à cette frustration. On mesure à cette occasion la dégénérescence de la politique française au Moyen-Orient. Tout ce que Paris sait faire, c'est menacer un Etat souverain en produisant de fausses allégations. C'est le retour à une «politique de la canonnière» dont on pensait que le désastre de Suez, en 1956, nous avait débarrassés. Visiblement, ce n'est pas le cas, et on ne peut espérer qu'une chose, c'est que Emmanuel Macron se contente de faire de l'esbroufe.
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