RT France : Après un taux déjà historiquement haut au premier tour, l'abstention dépasse les 55% au deuxième tour des législatives. C'est un véritable record sous la Ve République. Comment expliquer ce phénomène ?
David Desgouilles (D. D.) : D'ordinaire, les élections législatives génèrent plus d'abstention que les élections présidentielles. Depuis plusieurs années, on voyait un différentiel entre ces deux scrutins d'environ 20 points. Cette année, nous sommes passés à plus de 30 points d'écart. J'y vois trois explications.
La première réside dans le fait que les électeurs ont de plus en plus l'impression que les parlementaires n'ont plus voix au chapitre. Cela est dû à la structure même de la Ve République mais surtout à la perte d'influence et de pouvoir des députés face à la multiplication des normes européennes et internationales, à la décentralisation, à la création de diverses commissions indépendantes, etc. Une situation dont les électeurs se rendent de plus en plus compte. Le président de la République garde de son côté cette image de patron du pays. Il est le chef de la puissance nucléaire qu'est la France, il siège au conseil de sécurité de l'ONU, il parle d'égal à égal avec les présidents russe, américain, chinois... Son rôle n'a pas été terni comme celui des députés.
On pourrait s'attendre à ce que cette Assemblée représente toutes les sensibilités politiques du pays, mais ça n'est pas le cas
La deuxième explication vient de l'impression que cette Assemblée nationale n'est pas représentative des aspirations de l'électorat. Même avec moins de pouvoir – comme je le disais auparavant –, on pourrait s'attendre à ce que cette Assemblée représente toutes les sensibilités politiques du pays, mais ça n'est pas le cas. Il y a un sentiment de découragement qui alimente cette abstention de manière chronique.
La troisième raison est conjoncturelle à cette élection précise. Il y a eu une vraie saturation politique. La campagne a commencé il y a quasiment un an avec les primaires de la droite et du centre. Au premier tour, on a senti une sorte de message venant des citoyens qui disaient : «Donnons à Emmanuel Macron sa majorité et surtout finissons-en !»
Après ce deuxième tour, on a le sentiment que même son électorat n'a pas voulu donner à Emmanuel Macron la si large majorité qu'on annonçait. Une partie de ses électeurs s'est dit que la victoire était déjà là, qu'il n'y avait pas besoin d'aller voter au deuxième tour. Une autre partie de l'électorat d'Emmanuel Macron a pu également se dire qu'en n'allant pas voter, ils l’empêcheraient de se sentir pousser des ailes.
On s'attendait la semaine dernière à près de 450 sièges pour La République en marche, ils sont aujourd'hui à 302 députés (350 en comptant les élus Modem). Ce qui nous ramène aux résultats de l'UMP en 2002, dans une configuration assez similaire à celle-ci, Jacques Chirac ayant remporté la présidentielle en battant le Front national.
Cette nouvelle majorité peut autant être aux ordres du président que hors de contrôle
RT France : Jean-Christophe Cambadélis s'est exprimé très tôt, évoquant sa crainte de voir le président de la République obtenir le «pouvoir absolu» avec sa large majorité. Doit-on s'attendre à un quinquennat avec peu d'opposition entre le pouvoir exécutif et sa majorité ?
D. D. : Il faudra examiner le profil des députés LREM élus ainsi que leurs comportements durant les premiers temps de leurs mandats. Voir s'ils seront effectivement les godillots que l'on dit. Ils peuvent également s'avérer incontrôlables. Ce serait une véritable surprise. On va découvrir et en apprendre plus sur cette nouvelle majorité.
On sait déjà qu'il y a des profils très différents. Certains d'entre eux font même un peu peur tant ils ont pas l'air peu préparés à être parlementaires, notamment sur le plan de l'adversité. On a vu un nombre assez important de candidats LREM refuser d'aller débattre contre leurs adversaires sur les antennes des France 3 régions. On va dans les prochaines semaines découvrir cette majorité parlementaire et cela peut s'avérer très intéressant.
Cette nouvelle majorité peut autant être aux ordres du président que hors de contrôle. Les castings ont été faits en moins de six mois, avec des gens que même les cadres du mouvement ne connaissaient pas bien et qui n'étaient pas forcément fixés idéologiquement. Ils sont actuellement dans cet optimisme, que l'on retrouve dans le discours du président et qui veut «faire marcher la droite et la gauche ensemble». Ces profils-là peuvent se montrer incontrôlables. On pourra avoir une majorité rebelle. Il ne faut pas exclure non plus l'hypothèse d'une assemblée intelligente qui saura être loyale tout en apportant des idées nouvelles. Cela va être une surprise totale.
Jean-Luc Mélenchon ne sera peut-être pas le président du groupe FI, mais on pourra compter sur lui pour être un des véritables chefs de la nouvelle opposition.
RT France : Quel bilan tirez-vous des résultats obtenus par la France insoumise et le Front national ?
D. D. : Du côté de la France insoumise, on peut dire que, par rapport à la soirée du premier tour, il s'agit d'un relatif succès. Quand on est qualifié par tout un spectre politique et médiatique de parti extrémiste de gauche – ce qui est à mon sens très exagéré – réussir à créer un groupe parlementaire est positif. La France insoumise, comme le souhaitait Jean-Luc Mélenchon, sera en position de force face au Parti communiste. Jean-Luc Mélenchon ne sera peut-être pas le président du groupe, mais on pourra compter sur lui pour être un des véritables chefs de la nouvelle opposition.
On peut qualifier cela de succès pour la France insoumise. Bien sûr obtenir 17 sièges sur 577 quand on a fait 19% à l'élection présidentielle, cela paraît peu mais au premier tour, le mouvement n'était pas du tout assuré d'obtenir suffisamment de députés pour constituer un groupe parlementaire.
Marine Le Pen sera une des stars de la salle des quatre colonnes devant les journalistes, mais dans l'hémicycle elle n'aura aucun pouvoir.
Pour le Front national, la situation est plus délicate. Ils obtiennent plus de sièges que ce que les projections de la semaine dernière annonçaient : huit députés. Cela ne suffit néanmoins pas pour constituer un groupe à l'Assemblée nationale.
Marine Le Pen se trouve dans une situation un peu cocasse : elle est élue députée pour la première fois mais en même temps, elle quitte une présidence de groupe au Parlement européen à Strasbourg. Elle quitte donc un poste prestigieux pour aller siéger parmi les non-inscrits de l'Assemblée nationale. Or les non-inscrits n'ont que peu de pouvoir. Elle sera une des stars de la salle des quatre colonnes devant les journalistes, mais dans l'hémicycle, elle n'aura aucun pouvoir. Le groupe des non-inscrits ne peut pas poser toutes les semaines des questions au gouvernement. Ils sont totalement invisibles.
La question du rapport de forces au sein du FN est également reposée. Ni Florian Philippot, ni les membres de sa garde rapprochée n'ont été élus. Est-ce que cela va jouer un rôle dans les règlements de compte et la guerre qui s'annoncent à l'intérieur du Front national ? Florian Philippot est affaibli par sa défaite et celle de ses proches comme Sophie Montel, Kévin Pfeffer ou son frère Damien Philippot. Sur le plan idéologique, si on observe qui du Front national l'a emporté, on voit qu'il s'agit principalement d'élus du Nord et non pas ceux du Sud-est – plutôt pro-Marion Maréchal Le Pen – ce qui est plutôt positif pour la ligne «mariniste» de ces dernières années.
Il y aura peut-être au sein du groupe PS une rivalité entre ceux qui ont uniquement défendu leurs couleurs et ceux qui l'ont fait sous la bannière de la majorité présidentielle.
RT France : Ces élections législatives ont-elles définitivement sonné le glas du Parti socialiste comme le disent de nombreux observateurs politiques ?
D. D. : Il faudra voir combien de députés le Parti socialiste aura et quelles seront les têtes qui vont tomber. Visiblement, certains élus PS bénéficient d'une grande tolérance de la part de La République en Marche, qui n'avait pas présenté de candidats face à eux. Il faudra voir qui sont les socialistes qui l'ont emporté contre des candidats LREM. Il y aura peut-être alors au sein du groupe PS une rivalité entre ceux qui ont uniquement défendu leurs couleurs et ceux qui l'ont fait sous la bannière de la majorité présidentielle.
Le PS aujourd'hui pèse 6%. Il est coincé entre Jean-Luc Mélenchon, qui va porter une voix haute et forte à l'Assemblée, et La République en marche. Il sera difficile pour eux d'exister. Le même problème se pose pour les Républicains, qui vont peut-être vivre une scission au sein de leur groupe. Une partie de leur centaine de députés élus pourrait se séparer afin de créer un groupe macron-compatible. Il faudra être attentif à cela dans les prochains jours.
Lire aussi : «Majorité LREM considérable» à l'Assemblée : «un cadeau empoisonné» pour Macron ?