RT France : Quel est le point le plus important du premier tour de ces élections législatives ?
Jean Bricmont (J. B.) : L'abstention, qui dépasse tous les records depuis 1848. Quand on regarde les chiffres, on voit que les abstentionnistes se trouvent principalement parmi ceux qui ont voté Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Les gens qui ont voté contre Emmanuel Macron, et même ceux qui ont voté pour Benoît Hamon ou François Fillon et qui se sont abstenus, ont été pris par un sentiment de découragement. A quoi cela servirait-il d’aller voter au premier tour, quand on sait que son candidat ne passera pas au deuxième à cause des barrages ?
Les gens ont évidemment été découragés
Pour les électeurs du Front national il n’y a que l’élection présidentielle qui leur donnait espoir, parce que, lors des législatives, ils ne savent même pas si leurs candidats vont être élus. Et ce alors qu’ils représentent 13-15% du corps électoral. C’est aussi absurde de voir qu’un parti qui a 13-15% des inscrits, La République en marche, va avoir 70-80% des élus au deuxième tour. Quelque chose ne va pas dans ce système. Sachant ce qui allait se produire après avoir été bombardés de sondages, les gens se sont évidemment découragés.
RT France : Comment expliquez-vous le succès du parti d'Emmanuel Macron ?
J. B. : Le phénomène Emmanuel Macron repose sur le fait qu'il était inconnu. C’est un peu comme Donald Trump, sauf que Donald Trump était contre les médias alors qu'Emmanuel Macron était soutenu par ces derniers. Les Français veulent du changement, et il a été présenté dans les médias comme porteur de changements : il porte l’espoir du changement d’une partie restreinte de la population, des jeunes. Je ne pense pas que cela représente la majorité du peuple français, mais c’est une fraction importante et dynamique de la population. C’est incontestable. On ne peut pas ignorer le fait qu’Emmanuel Macron rassemble des masses, et que c’est un phénomène extraordinaire dans un système politique extrêmement verrouillé. Il a réussi un tour de force personnel : se propulser au premier rang et gagner une majorité. Il a joué sur la sclérose du système politique français.
La rhétorique d'Emmanuel Macron passe pour être antisystème, mais en réalité elle est pour le système
Il faut comprendre que, depuis des années, les Français sont bombardés par les médias de ce qu’on appelle parfois le «déclinisme» – la France est en déclin, personne ne travaille, il y a du chômage, etc. Je pense que la France ne se porte pas si mal, si on regarde l’Allemagne, les pays d’Europe de sud, etc. Mais il y a ce sentiment que rien ne va, parce que c’est un Etat socialiste, parce qu'il y a trop de protection sociale... Emmanuel Macron arrive, il est libéral, il arrive à attirer une partie de la droite qui n’aime pas certaines idées de François Fillon et celles du FN, en plus, évidemment, de toute cette gauche qui a dévié vers le libéralisme, cette droite du PS.
Emmanuel Macron n’a pas réussi à passer la barre de 50%, mais il y a une espèce d’enthousiasme, parce qu’il est présenté comme le sauveur d’un pays en crise profonde. Je pense que les recettes qu’il va appliquer sont celles qu’on applique en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis depuis des décennies. Et on sait qu’il y a une révolte contre ces recettes. Cette rhétorique passe pour être antisystème, mais en réalité elle est pour le système. Car pour moi le système, ce sont les médias. Et c’est une victoire des médias, sans aucun doute.
La République en marche n'est rien d'autre que la droite du PS sous une autre étiquette
RT France : Est-il encore possible de ressusciter le PS sous une autre étiquette ?
J. B. : Je pense que la République en marche n'est rien d'autre que la droite du PS sous une autre étiquette. Mais il ne faut jamais dire jamais : il y a des parties qui disparaissent, renaissent etc. On ne sait pas ce qui va se passer. L’effet Macron va faire «flop», je ne pense pas qu'il puisse se maintenir.
On parle de fascisme à l’égard de Marine Le Pen, mais il est beaucoup plus autoritaire que Marine Le Pen.
RT France : Comment envisager vous le mode de gouvernement après les législatives ?
J. B. : Emmanuel Macron est très autoritaire, on le voit dans ses discours. On parle de fascisme à l’égard de Marine Le Pen, mais il est beaucoup plus autoritaire que cette dernière.
J’estime que c’est aussi un problème lié à la construction européenne : il veut tout simplement mettre en œuvre les directives européennes – libéraliser le marché du travail, ouvrir les frontières, et, ce qui est vraiment très dangereux, liquider l’industrie militaire française au profit de l’Europe. Le ministre des Armées est une «supereuropéiste» – elle ne se sent pas Française. On a déjà un président qui dit qu’il n’y a pas de culture française. Et si un président déclare de telles choses, je ne sais pas combien de temps tout cela peut durer.