Emmanuel Macron devrait méditer le sort de son cousin germain politique, Matteo Renzi

Si La République en marche devait remporter une large majorité de sièges, la violence du programme d’Emmanuel Macron, conforme aux «recommandations» de l’UE, pourrait vite ébranler sa popularité, estime Pierre Lévy, rédacteur en chef de Ruptures.

Dimanche 11 juin, les électeurs français sont appelés aux urnes. A lire ou écouter les grands médias, les citoyens ne sont pas vraiment sollicités pour choisir leurs députés, mais plutôt pour… confirmer un résultat publiquement annoncé : une «vague impressionnante» en faveur des candidats soutenus par le nouveau président de la République.

Il serait pourtant prudent et honnête d’attendre le deuxième tour (le 18 juin) pour célébrer les résultats. En réalité, les sondages fonctionnent désormais comme des prophéties auto-réalisatrices : on attend des électeurs qu’ils se joignent, par réflexe moutonnier, au mouvement déjà annoncé.

Le pire est qu’il ne s’agit pas seulement d’enquêtes d’opinion. En effet, les Français de l’étranger ont voté par anticipation une semaine plus tôt. Et les résultats de ce vote… ont été rendus publics. Pour plusieurs juristes, cela constitue une violation des règles électorales élémentaires, qui exigent qu’aucun résultat ne soit rendu public avant que le dernier votant n’ait déposé son bulletin. Même la publication des sondages est interdite quelques jours avant le vote. Or cette annonce par le ministère de l’Intérieur n’a suscité que très peu d’indignation.

Et les commentateurs ont déjà relayé le tsunami en faveur du mouvement d’Emmanuel Macron. En restant discret sur le fait que… moins d’un électeur sur cinq a voté.

En outre, même en prenant les estimations les plus favorables des sondeurs, le parti du président recueillerait les voix de moins de 20% des électeurs inscrits, ce qui ne peut être exactement qualifié de «raz-de-marée». En revanche, même avec cette approbation modeste, le très injuste système électoral français pourrait lui assurer… 70% des sièges à l’Assemblée nationale.

Quant au code du travail, il s’agirait d’un véritable dynamitage de ce dernier, constituant une régression de près d’un siècle en arrière

Si tel était le cas – le conditionnel s’impose – quelles seraient les priorités du nouveau pouvoir exécutif ? On ne pourra pas reprocher au maître de l’Elysée d’avoir dissimulé son jeu. Parmi les premières décisions annoncées figurent notamment le transfert de cotisations sociales vers la CSG, de même que le bouleversement du code du travail.

Le premier point a été peu commenté, si ce n’est pour vanter les «augmentations» que les salariés sont censés découvrir sur leur feuille de paie… Or la réforme en question amorcerait le basculement d’un système de protection sociale fondé sur la solidarité salariale et la contribution patronale vers une fiscalisation tournant le dos à l’essence même de ce qui avait été conçu à la Libération (voir à ce sujet l’excellent documentaire La Sociale, de Gilles Perret).

Quant au code du travail, la simple analyse des intentions rendues publiques autorise un constat factuel : il s’agirait d’un véritable dynamitage de ce dernier, constituant une régression de près d’un siècle en arrière.

Ce que les combats ouvriers ont conquis en termes de protection collective contre l’arbitraire de la partie patronale serait ouvertement remis en cause à travers l’autorisation de déroger aux règles légales… au niveau de chaque entreprise : garanties contre les licenciements et contre l’arbitraire en matière de conditions de travail et d’emploi… Un peu comme si chaque ville ou village pouvait «adapter» son propre code de la route, comme l'évoque souvent jean-Luc Mélenchon.

Or c’est bien au niveau de l’entreprise que le rapport de force est le plus défavorable aux salariés. Par exemple, une direction d’entreprise pourrait licencier, ou imposer une réduction de salaire, ou encore une augmentation du temps travail au seul prétexte d’être compétitif pour décrocher une commande importante.

Bref, il s’agirait d’une version particulièrement aggravée de la «loi Travail» imposée l’année dernière malgré des mobilisations qui avaient duré plusieurs mois. Et le candidat Macron a confirmé qu’il comptait procéder par «ordonnances», c’est-à-dire se faire confier par le Parlement les pleins pouvoirs en ce domaine.

En outre, depuis quelques jours, des «fuites» sont organisées révélant les détails des mesures, puis semi-démenties, le tout créant un flou propice à perdre de vue l’essentiel. Pour sa part, le gouvernement a publié un document officiel, qui reste général sur le contenu des menaces, mais qui programme près d’une cinquantaine de réunions de «concertation», histoire d’amuser la galerie.

Au nom de la «modernisation» et de la «compétitivité», Emmanuel Macron entend en réalité satisfaire les exigences de la Commission européenne

Est-ce pour cela que les réactions syndicales sont plutôt molles ? La CGT, pourtant à la tête du mouvement contre la Loi Travail l’année dernière, a certes fait connaître son opposition. Mais là où on pouvait attendre un appel à un mouvement d’ampleur pour contrer ces projets sans précédent, son communiqué est rédigé comme si la bataille était déjà perdue.

Ce n’est certes pas par goût du risque que le président veut manier ainsi le bulldozer contre les conquêtes sociales. Au nom de la «modernisation» et de la «compétitivité», il entend en réalité satisfaire les exigences de la Commission européenne, encore rappelées il y a quelques jours dans les «recommandations» de celle-ci adressées à chacun des Etats membres.

Du reste, les réformes programmées ressemblent à s’y méprendre au «job act» imposé à l’Italie par l’ancien Premier ministre Matteo Renzi (un cousin germain politique d’Emmanuel Macron qui lui avait du reste apporté son soutien), et même à certaines de celles qui ont été administrées à la Grèce sur ordonnance de Bruxelles…

Dans un tout autre domaine, le locataire de l’Elysée n’a pas caché son enthousiasme quant aux projets d’«Europe de la défense», en réalité d’intégration militaire. La Commission vient de soumettre des propositions en ce sens, et le Conseil européen des 22 et 23 juin pourrait lever ce «tabou».

Emmanuel Macron, même s’il bénéficiait de la «vague» annoncée, serait pourtant bien inspiré de rester prudent. Les popularités apparemment les plus flatteuses sont parfois celles qui vacillent le plus vite. Matteo Renzi en sait quelque chose : le jeune, moderne et européiste leader a réussi à perdre son référendum par 60% des suffrages en décembre 2016, moins de trois ans après avoir accédé au pouvoir comme le Messie. Il ne semble pas en position favorable pour revenir au pouvoir. 

Le chemin sur lequel le président français a mis «La République en marche» pourrait bien s’avérer plus périlleux qu’annoncé.

Du même auteur : Le méchant ogre, le gentil petit poucet et Pierre le Grand

Source : www.ruptures-presse.fr