RT France : L'ambassadrice des Etats-Unis auprès de l'ONU Nikki Haley a affirmé le 30 mars que Washington ne considérait plus le départ du président syrien Bachar al-Assad comme une priorité pour mettre fin au conflit dans le pays. Que signifie ce changement dans le discours diplomatique américain ?
Michel Raimbaud (M. R.) : Le président Trump n’a jamais dit que c’était une priorité. On a cru percevoir, en tout cas, que la question du départ de Bachar el-Assad ne serait pas son obsession. Cela a maintenant été dit officiellement : ce n’est plus une priorité. Ce n’est pas une surprise, mais cela donne de l’assurance. Il a été précisé, et c’est du bon sens, qu’il appartenait désormais au peuple syrien de décider du choix de son président.
Cette évolution de la position américaine peut provoquer des changements dans d’autres pays qui étaient intraitables concernant le sort président Assad.
Les déclarations américaines concernant le président Bachar el-Assad ont eu un effet magique : c'est un feu vert pour les Européens, incapables de penser et de décider par eux-mêmes, à moins que ce ne soit perçu comme un ordre
RT France : Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, a déclaré le 31 mars que la question du départ de Bachar el-Assad n'était pas primordiale, est-ce une conséquence directe de la prise de position américaine ?
M. R. : Effectivement, les déclarations américaines concernant le président Bachar el-Assad ont eu un effet magique, qui n'a pas tardé à se faire sentir : c'est un feu vert pour les Européens, incapables de penser et de décider par eux-mêmes, à moins que ce ne soit perçu comme un ordre...
En déclarant sans tarder que le départ de Bachar el-Assad n'est plus indispensable alors que lui et ses prédécesseurs avaient fait de ce départ une obsession, le ministre Ayrault confirme une chose... pour ceux qui en auraient douté : quand Washington parle clairement, les Européens n'ont malheureusement plus d'autre choix que celui de s'aligner... Ceci est encore plus vrai lorsqu'on arrive à une réunion de l'OTAN où l'on va rencontrer RexTillerson, le secrétaire d'Etat de Donald Trump.
La Turquie a des stratégies successives qui se soldent généralement par un échec
RT France : La Turquie a annoncé le 30 mars qu'elle arrêtait l'opération «Bouclier de l’Euphrate» qu'elle menait en Syrie. La stratégie générale de la coalition dirigée par les Etats-Unis en Syrie est-elle en train de changer ?
M. R. : La Turquie a des stratégies successives qui se soldent généralement par un échec. Mais elle a une obsession qui est celle d’éviter la création d’une entité kurde, dans le nord de la Syrie ou ailleurs, car cela pourrait mener à une contagion. On sait que le gros de peuple kurde se trouve, non pas en Syrie où il n’est qu’une minorité occupant une portion marginale de territoire, mais en Turquie. C'est elle qui héberge la majorité des Kurdes. Il y a déjà une entité kurde plus ou moins autonome en Irak, et pour les Turcs, ce serait une catastrophe de voir émerger un deuxième Kurdistan en Syrie. Ils ne pourraient plus éviter qu'il s'en forme un en Turquie aussi, risquant du même coup de perdre près d'un tiers du territoire turc. Avant, ils avaient peut-être l'ambition d’avancer vers Alep ou vers Mossoul, mais actuellement, c’est plutôt du passé.