La victoire de Donald Trump n’est pas sa victoire personnelle. En vérité, ce n’est même pas sa victoire en tant que telle. Lui n’était qu’un haut-parleur, une expression des espoirs et des croyances du peuple américain. Désormais ce ne sont plus des hypothèses et des suggestions. Comme le disait il y a un certain temps un candidat à l’emménagement (réussi) dans la Maison Blanche, Abraham Lincoln, «on peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps».
Alors quelle a été la clé de la victoire de Donald Trump ? Deux catégories d'idées qu'il a pu présenter sous un jour favorable et utiliser dans sa campagne automnale correctement :
Catégorie I – les idées positives (pour)
• Le patriotisme (présenté par ses adversaires comme le nationalisme) ;
• Les valeurs familiales traditionnelles (même si c’est devenu un cliché) – c’est-à-dire que lorsqu'un couple a des enfants, les enfants ont une maman et un papa et à Noël ils vont tous chez mamie ;
• Les notions traditionnelles par rapport au travail – y compris des concepts tels que les heures de travail et le lieu de travail des salariés, les résultats réels du travail ;
• «Ne vous mêlez pas de notre vie et nous ne nous mêlerons pas de la vôtre.» En 2016 il est devenu évident que pour la plupart des gens en Europe et aux Etats-Unis, vivre avec un système global de valeurs était un mythe. Le système de valeurs réel, fondé sur la compréhension nationale et, une fois de plus, traditionnelle de ce qui est bon et ce qui est mauvais – c’est ce qui est vraiment important. Après tout, ce qui semble tout à fait correct et naturel à un Suédois (par exemple, la mise en libre accès des déclarations de revenus) – serait une horreur pour un Italien. En même temps, trouver trois fusils et deux pistolets dans une confortable maison familiale en Caroline du Nord, stupéfierait un Allemand.
• Même à l'ère d'internet et du libre-échange des informations, les gens sont principalement intéressés par ce qui se passe chez eux – dans leur pays et à proximité de leurs frontières. Ainsi, ils ne se préoccupent guère de ce qui se passe de l'autre côté de l'océan. Sinon, des foules immenses manifesteraient aux portes de la Maison Blanche pour réclamer de mettre fin à ce qui se passe en Syrie. Vous les avez vus ? Non. Parce qu’ils n’y sont pas...
Catégorie II – les idées négatives (contre)
• Le libéralisme supranational, la mondialisation, la compréhension du monde comme un grand village où tout doit être mélangé – jusqu’à la perte de l'identité nationale. La forme la plus provocatrice de cette mondialisation est l'immigration incontrôlée quand des «jeunes, des malins, des cyniques» (généralement des hommes) venus de différents pays du monde apparaissent à votre porte, et se servent gratuitement des routes, des fontaines et des parcs, construits avec les impôts des habitants. Les médias traditionnels ont subi une défaite écrasante, en essayant, disons, de présenter ces jeunes et forts garçons afghans (en Europe) et salvadoriens (en Amérique) comme des «victimes des conflits et de circonstances tragiques, en grand besoin d’aide». Le peuple ne veut pas aider ces victimes.
• Le politiquement correct. Les libéraux, défaits lors des élections, ne peuvent toujours pas comprendre comment il est possible de voter pour un tel goujat primaire – il dit des choses terribles ! Mais la plupart des hommes américains ne sont pas du tout outrés. Pas plus que près des deux tiers (63%) des femmes de la catégorie «blanches sans éducation supérieure».
• L'économie immatérielle, où l'argent est obtenu grâce à la spéculation financière et l'invention de nouvelles formes de divertissement. Ceux qui vivent à l'extérieur de Brooklyn et de Bay Arena n'apprécient pas qu’en dégustant un café latte au Starbucks et en appuyant sur une touche de son ordinateur portable, on puisse gagner parfois plus qu’en fabriquant, par exemple, des moteurs d'avion ou des turbines. Surtout si on ferme leurs usines, les démonte et les transporte au Mexique ou en Chine.
• Les principaux médias, qui ont cessé d'écrire et de montrer ce qui intéressait vraiment les gens. Leur personnel principalement issu de la fine couche ultra-libérale, est caractérisé par un mépris prononcé pour les «péquenauds», les «gens ordinaires», les «ploucs blancs».
• Jetez un œil sur la carte électorale des Etats-Unis. Elle est toute rouge, c’est-à-dire républicaine. Et en contraste alarmant avec cela, il y a des points bleus lumineux – les grandes villes et les banlieues riches qui ont voté pour Hillary. Pour la première fois l’écart entre «les villes et la campagne» est aussi visible, entre ceux «qui vivent bien en Amérique», et ceux qui vivent dans des conditions de plus en plus difficiles.
• A votre avis, la banlieue chic de Washington est-elle pour ou contre l'immigration clandestine, si elle bénéficie clairement de celle-ci ? Qui tond les pelouses, promène les chiens dans la journée, lave les voitures, cuisine, lave et nettoie ? Si vous payez cash, on ne vous posera pas de questions et les tarifs sont très raisonnables. Mais au fin fond de la Virginie, soit à une trentaine de kilomètres de la capitale, vivent des gens plus pauvres, qui détestent pour la plupart ces immigrés, car ce sont précisément leurs emplois qu’ils occupent. Et c’est ainsi partout dans le pays.
• Sous Barack Obama a-t-on créé des emplois ? La réponse est positive : dans les magasins, les cafés et les énormes – de la taille d’un village – centres de distribution Amazon. Les salaires y couvrent à peine les besoins les plus urgents.
• Les médias grand public ont saturé des milliers de claviers (de fabrication chinoise, bien entendu), en déclamant qu’on vivait dans une époque post-industrielle, et qu’il fallait créer de la richesse grâce au développement de la technologie et à la vente des idées. Excellente philosophie – pour ceux des Américains qui travaillent dans ce domaine. Mais les gens en Pennsylvanie, Michigan, Ohio et Wisconsin voient toute autre chose : tout ce qui fonctionnait avant a désormais mis la clé sous la porte. Et ces gens-là, on ne les attend pas les bras ouverts à Hollywood ou dans la Silicon Valley…
• Aux Etats-Unis, il ne reste plus qu’une seule institution du pouvoir public fédéral qui soit respectée – les forces armées. Même les principaux médias sont contraints de mentionner le «simple soldat Joe» (G.I. Joe) d’une manière très positive. Tout en évitant d’évoquer le fait que la quasi-totalité des Joe en uniforme sont originaires des Etats dépressifs, en règle générale ceux du Sud, où le fait de s'engager dans l'armée est non seulement respectable et prestigieux, mais permet aussi à ce gars d’avoir un salaire et – s’il a beaucoup de chance – de quitter ce trou paumé.
Il n’y a pas d’autre opportunité de carrière dans ces régions du pays. Où vont-ils trouver de l’argent pour les études de leurs enfants, ces gens qui ont du mal à boucler les fins de mois ?
Aux Etats-Unis il y a 22 millions d'anciens combattants. Plus un demi-million de militaires qui font leur service. Nous ne disposons pas de chiffres exacts à l'heure actuelle, mais si les sondages ont vu juste, ces gens-là ont voté pour Donald Trump (plus précisément, contre Hillary Clinton) dans une proportion de 2 contre 1.
• Ne pensez pas que l'électorat de Donald Trump est entièrement composé d’hommes limogés de leur usine et d’anciens combattants d'âge moyen. Lors du scrutin, il a également été soutenu par des citoyens qui ont réussi leur vie.
• Beaucoup d’Américains – si ce n’est la majorité – en ont ras-le-bol du politiquement correct qu’on leur impose avec acharnement. Chacun – sans exagérer – a un proche, un ami ou un ancien collègue, qui a perdu son emploi pour une phrase mal tournée. Pas pour avoir harcelé quelqu’un, pas pour s’être comporté comme un sale raciste – non, seulement pour une bêtise sous le coup de l'alcool ou une blague sur un noir. Il y a dix ans seulement, pour un tel comportement on convoquait le fautif pour une conversation au département des ressources humaines. Maintenant, on est mis à la porte sans ménagement.
• Demandez à n’importe quel patron américain, combien de problèmes cette conception hostile de l’environnement de travail lui a-t-elle créés. L’idée même était bonne : les gens ne doivent pas se sentir humiliés ou offensés pour des motifs sexistes ou raciaux, ou tout autre motif. Oui, l’idée était bonne… Toutefois, en pratique, toute personne mal intentionnée court maintenant chez un avocat ou à l’inspection du travail pour se plaindre : «Je suis gros – à ce qu’il dit – c’est pourquoi on m’insulte sans cesse, et il y a cet environnement hostile partout.» Et des lettres d’avocat et des inspections apparaissent en masse, paralysant ainsi le travail… Nous ne saurons jamais combien de votes Trump a obtenus d'Américains qui en ont ras-le-bol du politiquement correct. Ils ne sont pas seulement nombreux – ils sont très nombreux.
• Beaucoup de gens ont voté pour Trump pour protester contre le lynchage dont il a été la victime dans les principaux médias. Au cours de ces derniers mois, ils n’attaquaient pas, ils se démenaient comme des possédés. The New York Times, The Washington Post, CNN… Jamais auparavant, les expressions telles que «low life» (salaud), «freak» (monstre), «moron» (imbécile), n’ont été prononcées à propos d’un candidat officiel à la présidentielle. On ne les avait jamais publiées dans la presse. Jamais ! Ah non, les historiens affirment que c’était à peu près en ces termes que les journaux de l'époque qui supportaient John Adams, vitupéraient contre Thomas Jefferson. En 1796. Dès lors, l’élite politique américaine est devenue un peu plus raisonnable. On ne sait pas ce que s’imaginaient les propriétaires et les journalistes des principaux médias, mais c’est leur haine pure qui a engendré leurs propres concurrents. Ainsi, en 2014, une modeste source sur internet, Breitbart.com, s’est transformée en une holding d’informations, Breitbart News, dont l’auditoire est estimé à plusieurs millions de personnes. Autrement dit, des millions de personnes ne veulent plus suivre les médias principaux, leur préférant des sources alternatives. Qu'en pensez-vous, à qui Donald Trump va-t-il accorder une interview sur les questions importantes – au NYT, ou à Breitbart ?
• Et la cerise sur la gâteau. L’électeur de Trump, malgré tous ses doutes, est venu voter. Parce qu’il en avait assez. Et l’électeur d'Hillary n’est pas venu. Au moins, dans les régions où il devait venir, selon le système électoral américain. Il n’est pas venu, parce que le camp libéral s’est trouvé déchiré par ses contradictions.
• Souvenez-vous de la scène, dans le film Monty Python : La vie de Brian, où le Front du peuple judaïque s’oppose au Front judaïque du peuple, et les deux luttent ensemble contre le Front du peuple de Judée ? On peut l’expliquer par leur caractère acariâtre inné, ou par leur goût excessif pour les nuances, mais cela ne change rien au fait que les libéraux sont segmentés, qu’ils guerroient sans cesse les uns contre les autres, et qu’ils sont incapables de créer une plateforme commune qui serait fondée sur des valeurs simples et compréhensibles.
• Qu’a-t-on au bout du compte ? Le pays est divisé en deux – il suffit de jeter un coup d’œil sur les résultats du scrutin, sur le soi-disant popular vote. Et avec cela, une moitié déteste l’autre, ce qui est, dans une large mesure, l'œuvre de ces mêmes médias dominants.