RT France :Qu'est-ce qui vous dérange personnellement dans la création du fichier de données personnelles ?
Isabelle Attard (I. A.): Plusieurs choses me gênent profondément, mais en priorité c’est que, avec la création d’un tel fichier – cela concerne cette fois-ci 60 millions de personnes – il y a automatiquement la possibilité que ce fichier soit piraté. La question n'est pas de savoir si c’est possible – c’est une question de date, de jour. On est en pleine ouverture d’une enquête aux Etats-Unis sur les e-mails d’Hillary Clinton. En même temps, ça veut dire que, si on crée la base, voilà ce que cela peut donner comme dégâts au niveau de l’administration, au niveau diplomatique, jusqu’au plus haut niveau du pays le plus puissant d’aujourd’hui. La première chose qu’on peut critiquer, dès que vous avez la création d’un tel fichier c'est que cela donne la possibilité du piratage d’un tel fichier, avec une utilisation qu’on ne maîtrise pas.
Si on voulait avoir une information la plus détaillée possible, et lutter contre la fraude il suffisait d’écouter la préconisation de la CNIL
RT France : Pourquoi, tout en ayant connaissance de ce risque, le gouvernement l’assume-t-il ?
I. A. : J’aimerais le comprendre d’avantage, parce que, effectivement, Jean-Jacques Urvoas critiquait et s’opposait sévèrement à la création de ces mêmes fichiers, il y a quatre ans. Il est très intéressant de comprendre les raisons. L’obsession de ficher la population et d’établir une base de données énorme pour surveiller les Français d’une manière extrêmement large, je la vois comme une obsession des renseignements, qui va à l’encontre même de la protection des libertés et de la vie privée. Si on voulait avoir une information la plus détaillée possible, et lutter contre la fraude – ce que je peux comprendre comme volonté de la part du gouvernement – il suffisait d’écouter la préconisation de la CNIL [Autorité française de contrôle en matière de protection des données personnelles] qui demandait à ce que nous puissions intégrer un passeport ou une carte d’identité avec le contenu de toutes ces données. Cela fait 60 millions de documents, voire plus si chacun a un passeport et une carte d’identité, et c’est complètement impossible de pirater cette base de données, puisque la protection vient du nombre. Vous êtes propriétaire du document qui possède tous ces renseignements, et il suffit d’avoir quelqu’un qui ensuite contrôle avec l’appareil adéquat et qui établisse l’accès à ces données-là, et qui lutte contre les fraudes. Et on ne voit pas où est le problème.
Jean-Jacques Urvoas et d’autres socialistes en 2012 étaient vent debout contre l’instauration du «fichier des honnêtes gens». Aujourd’hui ils disent carrément le contraire, mais on n’est plus à une contradiction près depuis le début du mandat
Quand on veut protéger la vie privée, on ne fabrique pas un fichier de 60 millions de personnes. Le problème vient aussi de ce qui vient d’être décidé le 21 juillet 2016, par l’élargissement de la loi sur l’état d’urgence. A ce moment-là on a rajouté certains articles très importants, dont un qui effectivement élargit la possibilité de faire des recherches sur toute personne qui a un lien avec une personne qui pourrait être susceptible d'être liée au terrorisme. En fait, cette simple phrase élargissait à toute la population la possibilité de faire une recherche, puisqu’on est en état d’urgence et sous couvert de recherche de lutte anti-terroriste.
RT France :Vous avez évoqué la menace terroriste. Justifie-t-elle la création de ce fichier aux yeux du gouvernement ?
I. A. : On peut utiliser ce prétexte, cet argument, pour créer ce fichier, je n'en doute pas. Mais cela ne correspond pas à l’objectif fixé, mais aussi à ce qui a été proposé par la CNIL et à la recommandation du Conseil constitutionnel. Cela ne correspond plus à ce que les députés socialistes préconisaient en 2012. Lorsque Jean-Jacques Urvoas et d’autres socialistes en 2012 qui étaient vent debout contre l’instauration du «fichier des honnêtes gens». Aujourd’hui ils disent carrément le contraire, mais on n’est plus à une contradiction près depuis le début du mandat.
Je ne sais pas qui s’arrange pour faire passer progressivement tout ce qui n’avait pas pu être décidé ou voté au début de ce mandat
RT France :Peut-être, la vague des attentats terroristes en France a conduit les dirigeants à changer d’avis ?
I. A. : Je ne sais pas qui s’arrange pour faire passer progressivement tout ce qui n’avait pas pu être décidé ou voté au début de ce mandat. Et finalement, on y arrive progressivement, avec une non-différenciation entre ce que demandent les Républicains, et ce que met en place le gouvernement.