Nice : le chagrin, le dégoût, la colère

La répétition des attentats horribles nous amène à nous poser une question : est-ce que le gouvernement français a fait tout son possible pour protégérer la population ? Apparemment pas, estime l'économiste Jacques Sapir.

L’attentat de Nice est l’attentat de trop. Bien sûr, on ne peut qu’être frappé d’horreur, comme nous l’avions été à de multiples reprises depuis janvier 2015 et le massacre commis à Charlie Hebdo. On a déjà dit ce qu’il fallait en penser. On est saisi de chagrin, de dégoût, mais aussi de colère.

Toute faillite d'assurer la sécurité de chacun et maintenir la concorde civile ouvre une crise de légitimité.

La répétition de ces actes est un fait en lui-même. Il désigne aussi la réaction inadaptée et fautive du président de la République et du gouvernement. Ces derniers ont-ils fait tout ce qui était en leur pouvoir pour tenter de prévenir la répétition de ces actes atroces ? Ont-ils fait ce qui s’imposait pour rétablir la concorde civile dans le pays ? On peut craindre que la réponse soit négative. Or, ces deux taches, assurer la sécurité de chacun et maintenir la concorde civile sont les deux taches qui fondent la légitimité des gouvernants. Toute faillite sur ce point ouvre une crise de légitimité.

Le retour de l’état d’urgence

Le président avait décidé d’invoquer l’état d’urgence la tragique nuit du 13 novembre. Cet acte constituait un acte de souveraineté et n’aurait pas dû être galvaudé. Mais il fut détourné de sa fonction et transformé en machine de contrôle social par un pouvoir certes prompt à la compassion des regrets éternels mais pas à la justice et encore moins à l’action. Rien de tout cela, cependant, ne devrait nous étonner de la part d’un pouvoir qui s‘avère incapable de nommer l’ennemi. Car l’état d’urgence, dans le contexte du 13 novembre et des attentats qui ont suivi ne prenait sens que si l’on se décidait enfin à désigner clairement l’ennemi.

L’état d’urgence aurait dû être utilisé pour prendre rapidement quelques mesures simples comme l’interdiction du financement étranger direct des lieux de culte et associations cultuelles

Il faut donc revenir à l’idéologie-prétexte de ce terrorisme djihadiste qui nous a déclaré la guerre, car elle structure les comportements qu’il nous faut combattre. Ce n’est pas l’islam en général qui est en cause, mais la montée actuelle des idées salafistes et wahhabites, qui constituent un courant très particulier de l’islam, une lecture littérale, et qui sont financées par certains pays, dont l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Et il convient aussi de poser la question de notre politique étrangère vis-à-vis de ces pays.

L’état d’urgence aurait dû être utilisé pour prendre rapidement quelques mesures simples comme l’interdiction du financement étranger direct des lieux de culte et associations cultuelles, mesure qu’il était facile de faire passer par décret. Cette mesure n’interdit pas les financements extérieurs, mais impose que les sommes soient versées dans une caisse commune, sous le contrôle du ministère de l’Intérieur et du ministère des Finances, qui répartissent alors les fonds de cette caisse après s’être assurés de l’innocuité politique des organisations ainsi financées. Mais, pour imposer cela, encore eut-il fallu qu’il y ait un Etat en France.

Des mesures de salubrité publique et une capitulation politique

De même on aurait pu imposer le contrôle par le ministère de l’Intérieur des prêches et l'expulsion des prédicateurs refusant les principes figurant dans le préambule de la Constitution, en particulier l’article premier repris du préambule de la Constitution de 1946, et écrit au sortir de la guerre contre le nazisme, ainsi que ceux appelant à la haine. Ceci ne se fait que bien timidement et bien imparfaitement aujourd’hui. Mais, les bonnes âmes de la «gauche» bien pensante se refusent à faire ce travail ou ne le font qu’avec répugnance.

A sa place ils tiennent le discours «ne faisons pas d’amalgame, ne tombons pas dans «l’islamophobie»». De quoi s’agit-il ? S’il s’agit de dire que tous les musulmans ne sont pas des terroristes, c’est une évidence. Il est bon et sain de le répéter, mais cela ne fait guère avancer le débat. Mais, le discours sur l’islamophobie peut aussi avoir un autre sens, et celui-ci bien plus contestable. A vouloir combattre une soi-disant «islamophobie» on prépare le terrain à une mise hors débat de l’islam et des autres religions. C’est une erreur grave, dont les conséquences pourraient être terribles. Elle signe la démission intellectuelle par rapport à nos principes fondateurs, principes qui vont bien au-delà du rapport à une religion particulière. Ce discours entérine la confusion entre valeurs et principes. Il capitule intellectuellement devant l’ennemi. Nous en sommes là.

A quoi sert l’état d’urgence ?

De la même manière, l’état d‘urgence aurait pu permettre un contrôle généralisé des frontières assorti de l’interdiction aux Français étant allés combattre dans une organisation terroriste et génocidaire le retour sur le territoire national. Le président de la République a préféré mettre en débat la déchéance de nationalité, tout en sachant les polémiques que cela allait provoquer. Il a dû déclarer le mercredi 30 mars 2016, qu’il abandonnait son projet de faire entrer dans la Constitution la «déchéance de nationalité» et l’état d’urgence. Par cette déclaration il révélait son incapacité à gérer la situation issue des attentats du 13 novembre 2015. Par cette déclaration il reconnaissait ce que nous savions déjà depuis plusieurs mois : il n’était plus qu’un cadavre politique.

L’interdiction de retour sur le territoire, qui n’est que la forme moderne de l’antique bannissement eut été plus simple à imposer et aurait posée moins de problèmes. Mais, pris dans les contradictions de son idéologie, soumis par dessus tout aux diktats de l’Union européenne, il s’est enferré dans un débat sans issue.

Cet échec révèle à la face du monde l’incapacité pathologique du président à se hisser à la hauteur de sa fonction

Résumons nous. Un état d’urgence est conçu par le législateur pour faire face à une situation exceptionnelle qui empêche les institutions de fonctionner ou qui à tout le moins rend leur fonctionnement problématique. Il se justifiait dans la nuit tragique du 13 au 14 novembre, mais il devait alors s’accompagner de mesures rapides et exceptionnelles, visant à ramener la France dans une situation normale. Or, ce à quoi on assiste aujourd’hui c’est une éternalisation de cet état d’urgence, qui se confond alors avec un «état de guerre». Mais, si nous sommes en guerre, alors souvenons-nous de ces mots que Georges Clémenceau prononça à la Chambre des députés le 8 mars 1918 et qui sont restés dans les annales : «… Je dis que les républicains ne doivent pas avoir peur de la liberté de la presse. N’avoir pas peur de la liberté de la presse, c’est savoir qu’elle comporte des excès. C’est pour cela qu’il y a des lois contre la diffamation dans tous les pays de liberté, des lois qui protègent les citoyens contre les excès de cette liberté. Je ne vous empêche pas d’en user. Il y a mieux : il y a des lois de liberté dont vous pouvez user comme vos adversaires ; rien ne s’y oppose ; les voies de la liberté vous sont ouvertes ; vous pouvez écrire, d’autres ont la liberté de cette tribune.»

Cet échec du président ne fait que révéler l’amateurisme complet mais satisfait de lui, qui caractérise son action, et cela depuis de nombreux mois. Après les attentats de janvier 2015, le gouvernement et le président ont été incapables de prendre les mesures qui s’imposaient. Aujourd’hui, ils parlent forts mais agissent bien peu. Cet échec révèle à la face du monde l’incapacité pathologique du président à se hisser à la hauteur de sa fonction. Il traduit l’incompréhension profonde de la fonction et de ce qu’elle exige. Il devrait en tirer les conséquences.

Source : russeurope.hypotheses.org

Du même auteur : UE delenda est