«On devrait faire de la Russie un allié de premier ordre»

La supposée menace russe est utilisée par plusieurs hommes politiques qui veulent se mettre en avant pour promouvoir leur propres idées de la construction politique, estime l'universitaire et géopoliticien Pascal Le Pautremat.

RT France : A l’issue des exercices militaires qui ont eu lieu presqu’à la frontière russe, le sommet se passe dans l’ancienne capitale du pacte de Varsovie qui n’existe plus. Est-ce un symbole particulier ?

Le discous anti-russe relève d’une approche assez primaire et complètement contre-productive

Pascal Le Pautremat (P. P.) : On voit très clairement un discours ambiant au sein de l’OTAN et même de certains pays européens, un discours assez anti-russe et surtout anti-Poutine. Il relève d’une approche assez primaire et complètement contre-productive. Tout est bon en ce moment, tant dans la symbolique que dans les expressions, pour laisser entendre que la Russie est trop focalisée sur sa stratégie et trop préoccupée par sa sécurité sur l’espace qu’on appelle les PECO, les pays d’Europe centrale et orientale. Du coup, on a parfois le sentiment que l’OTAN s’applique véritablement à renforcer son jeu d’influence. Le fait qu'un sommet se tienne à Varsovie, qui se veut déterminant et très influent pour la nouvelle approche des relations internationales et le jeu de l’OTAN en Europe, on peut supposer que le choix de Varsovie n’est pas anodin et qu’il vient justement contrecarrer le regard de la Russie sur tous les PECO.

Beaucoup de pays européens ont véritablement réduit à peau de chagrin le pourcentage de leur PIB consacré à la politique de défense

RT France : Comment voyez-vous la signature de la déclaration de coopération entre l’UE et l’OTAN et les déclarations de Jean-Claude Junker d’après lesquelles l’UE va renfoncer d’ici fin de l’année son industrie de défense ?

P. P. : Cette déclaration intervient au moment où, depuis la chute du mur de Berlin, en Europe de l’Ouest il y a une conviction qu’il n’est plus nécessaire de disposer d’une véritable politique de défense nationale. Beaucoup de pays européens ont véritablement réduit à peau de chagrin le pourcentage de leur PIB consacré à la politique de défense de leur propre pays. En somme, cela relève d’approches diverses envers le jeu d’influence et les relations à entretenir avec l’OTAN.

Il y a aujourd’hui une volonté de reprendre conscience au sein de l’UE que la politique de défense européenne doit être vraiment concrète

Pour un certain nombre de pays, comme ceux de l’ancien pacte de Varsovie, qui sont maintenant au sein de l’UE, la politique de défense européenne n’a aucun sens. Eux, ils se focalisent plutôt sur l’OTAN en disant que derrière l’OTAN il y a les Etats-Unis. Si on est menacé, si un jour la Russie veut reprendre le jeu d’influence directe sur leur territoire, les Américains pourront intervenir. A l’inverse, des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, ce sont les pays qui disent : «Attention, il faut aussi que nous sachions nous doter d’une véritable politique de défense européenne qui soit en marge ou complémentaire ou conjointe à celle de l’OTAN et des Etats-Unis.»

Du coup, Jean-Claude Junker dit aujourd’hui qu’il faut absolument renforcer la politique de défense des pays européens, rehausser les budgets de défense de leurs propres pays, parce que des pays comme la France ne peuvent pas tout faire. Il y a aujourd’hui une volonté de reprendre conscience au sein de l’UE que la politique de défense européenne doit être vraiment concrète, se renforcer dans l’avenir et se faire en parfaite cohésion, synthèse, harmonie avec l’OTAN. Mais ça va être compliqué.

Pour beaucoup de citoyens, la Russie est véritablement une menace, c’est écrit ici et là, c’est répété par certains hommes politiques qui veulent se mettre en avant et faire valoir en catimini leur propre construction politique

RT France : Vu ce renforcement de la défense extérieure de l’UE, la Russie est-elle perçue comme une grande menace ?

P. P. : Non, mais malheureusement, à notre époque, que ce soit en Occident ou en Asie, on a des dimensions anxiogènes, il y a la mondialisation de l’information, on est relié aux sites internet et les médias cultivent cet esprit, cette dramaturgie permanente, ces menaces tout le temps agitées. Pour beaucoup de citoyens, la Russie est véritablement une menace, c’est écrit ici et là, c’est répété par certains hommes politiques qui veulent se mettre en avant et faire valoir en catimini leur propre construction politique. Mais la réalité n’a rien à voir.

La Russie ne présente pas du tout une menace particulière

La politique de la Russie est parallèle à celle des Etats-Unis et à tout autre grand pays à travers le monde. Chaque pays a sa géopolitique, des intérêts économiques, militaires, un souci sécuritaire qui est omniprésent. Il y a les façons d’agir, les méthodes ne sont pas nécessairement les mêmes. A mon avis, la Russie ne présente pas du tout une menace particulière. Au contraire, pour bien comprendre la politique de Vladimir Poutine, il faut s’imprégner un peu de la psychologie de l’homme et surtout de la culture du peuple russe. Cela permet de mesurer les choses et comprendre des partenariats qui peuvent exister, car on n’est pas tous faits de la même manière. La diversité c’est très bien et en aucun cas on ne doit fermer la porte au dialogue et à la communication. On devrait faire de la Russie un allié de premier ordre. Ce n’est malheureusement pas un avis unanimement partagé, mais c’est l’avis de certains politiques et experts en Europe.

La sortie de la Grande-Bretagne de l’UE ne changera strictement rien

RT France : L’EU et l’OTAN essaient de coopérer davantage. Est-ce que c’est une tentative après le vote sur le Brexit de souder un peu la politique occidentale dans le domaine de la coopération militaire ?

P. P. : La sortie de la Grande-Bretagne de l’UE ne changera strictement rien. C’est un effet d’annonce qui est agité par les médias français. Ils font des spéculations pour faire croire que ce sera le pire de ce qu’on puisse imaginer. Depuis son adhésion à l’UE, la Grande-Bretagne a toujours été un peu en marge. Je ne pense pas que cela renforce le potentiel de la défense occidentale, parce que les questions sécuritaires restent les mêmes.

L’UE n’existera que quand il y aura une vraie construction politique

Il s’agit de faire comprendre aux pays européens que la construction européenne est mise à mal, parce que les peuples veulent plus une confédération d’Etats qu’un système fédéraliste. Les Etats-nations sont oubliés. Certains ont mis en avant le fédéralisme européen, le centralisme de Bruxelles, sauf que la réalité n’est plus la même. Les populations veulent la préservation de leur propre nation, une harmonie et une cohésion d’Etats-nations et donc sont plus sensibles à une logique de confédération. Beaucoup de gens se diront être pour une construction européenne avec des Etats-nations, on essaie de travailler ensemble. C’est pour cela que le peuple britannique a tranché en disant :  «Nous, on ne veut plus de directives bruxelloises sans prise de conscience des réalités de telle ou telle population.» C’est maintenant qu’on devrait avoir des hommes politiques en Europe qui disnet : «Qu’est-ce qu’on a fait de mal, quelles sont les erreurs que nous avons commises pour en arriver là, qu’est-ce que nous devons faire pour changer d’approche et repartir sur le même base ?». La construction européenne ce n’est pas simplement une construction économique, ça doit être une construction politique et militaire. L’UE n’existera que quand il y aura une vraie construction politique et quand on aura mis en place une vraie politique de défense européenne.