L'Union Jack, tiendra-t-il le coup du Brexit ?

Même s'il est vrai que «le risque existe d'un éclatement du Royaume-Uni», une nouvelle victoire des nationalistes dans un «second référendum hypothétique» en Ecosse «reste plus qu'incertaine», considère l'historien John Laughland.

L'un des résultats immédiats du référendum en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est que la question de la sécession de l'Ecosse du Royaume-Uni est de nouveau sur la table. Pour le montrer, Nicola Sturgeon, le premier ministre écossais, s'est rendue à Bruxelles où elle a été chaleureusement reçue par Jean-Claude Juncker et Martin Schulz. Mais s'il est vrai que le risque existe d'un éclatement du Royaume-Uni, il serait très erroné de conclure qu'il n'est qu'une question de temps. Et rien ne souligne aussi clairement l'amateurisme de ces deux politiciens européens que cette rencontre.

Les revenus du pétrole et du whisky dans une Ecosse devenue indépendante de Londres seraient clairement inférieurs aux transferts actuels

Tout d'abord, le référendum de 2014 a démontré que le parti nationaliste, SNP, n'avait pas convaincu les résidents écossais de ses arguments en faveur de la sécession du Royaume-Uni. Le SNP a perdu ce scrutin avec un écart de 10% entre le vote unioniste (55%) et le vote nationaliste (45%). En particulier, les arguments économiques des nationalistes ont été très largement discrédités : les revenus du pétrole et du whisky dans une Ecosse devenue indépendante de Londres seraient nettement inférieurs aux transferts actuels. Or, la proposition nationaliste qui a été rejetée en 2014 - de quitter le Royaume-Uni pour rester dans l'Union européenne - est très exactement ce que propose Nicola Sturgeon aujourd’hui encore. 

On pourrait arguer qu'une partie du vote unioniste se tournera vers le nationalisme si le Royaume-Uni quitte l'UE. Mais, même dans cette hypothèse, une nouvelle victoire des nationalistes dans un second référendum hypothétique reste plus qu'incertaine. Même la possibilité d'un deuxième référendum est incertaine : il faudrait l'aval de Londres pour l'organiser et le gouvernement avait clairement dit en 2014 que le résultat vaudrait pour une génération toute entière. Un référendum unilatéral serait illégal et l'Union européenne serait prise en flagrant délit de doubles standards si elle acceptait ou soutenait un acte unilatéral, car elle ne cesse de condamner comme «illégal» le référendum qui a eu lieu en Crimée en 2014. Un référendum unilatéral serait aussi presque impossible à organiser, car les nationalistes ont perdu la majorité absolue au parlement écossais en mai, étant en recul électoral face notamment aux conservateurs. Nicola Sturgeon serait mise en minorité par les partis de l’opposition au parlement d'Edimbourg, tous les deux unionistes.

En réalité, la visite de Nicola Sturgeon à Bruxelles était tout sauf réussie

Pour comprendre qu'il est très précipité de présupposer une victoire nationaliste dans un deuxième référendum hypothétique, il faut rappeler que les règles arrêtées pour le référendum de 2014 avaient clairement favorisé le camp nationaliste. On avait notamment abaissé l'âge du droit de vote de 18 ans à 16 ans pour ce référendum. Ensuite pouvaient voter en 2014 non seulement les ressortissants du Commonwealth résidant en Ecosse, mais aussi les citoyens européens, alors que dans les élections nationales britanniques, les ressortissants européens résidant sur le territoire n'ont pas le droit de vote. Ne pouvaient pas voter, en revanche, des Ecossais résidant hors d'Ecosse : si ces gens avaient pu s'exprimer, le résultat aurait été encore plus écrasant en faveur du Royaume-Uni. Il suffirait de changer une ou toutes ces conditions lors d’un deuxième référendum pour rendre une victoire nationaliste plus difficile. Dernière considération : la campagne avait beaucoup divisé le pays et il n'est pas certain que le SNP ait intérêt à rouvrir les plaies à peine refermées. 

L'idée selon laquelle le Royaume-Uni serait la domination de la grande Angleterre sur la petite Ecosse ne résiste à aucune analyse

En réalité, la visite de Nicola Sturgeon à Bruxelles était tout sauf réussie. Certes, elle a été reçue par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l'homme qui, s'étant montré ivre à un sommet européen récent, venait de se ridiculiser devant le Parlement européen en affirmant avoir discuté du Brexit avec les dirigeants «d'autres planètes». Certes, elle a été reçue par le président du Parlement européen, Martin Schulz, un ex-alcoolique connu pour son caractère vengeur et autoritaire et qui déteste les indépendantistes britanniques d'UKIP. Mais ces deux apparatchiks ont été immédiatement désavoués par le premier ministre espagnol, Manuel Rajoy, qui a dit dans des termes on ne peut plus clairs que jamais l'Espagne n'accepterait une négociation avec la seule Ecosse. Madrid ne veut donner aucune gage à une Catalogne qui revendique exactement la même «indépendance» au sein de l'UE que les nationalistes à Edimbourg. Le président de la République française, François Hollande, a dit la même chose. Tant que tous les Etats européens ne sont pas d'accord sur d'éventuelles négociations avec une Ecosse qui aurait fait sécession du Royaume-Uni suite à un référendum illégal hypothétique, elles n'auront pas lieu.

On peut, certes, craindre le pire des politiciens opportunistes, mais il est très prématuré de tabler sur la fin du Royaume-Uni

L'Ecosse a fondé le Royaume-Uni avec l’Angleterre au tout début du XVIIIe siècle, donc bien avant la création des Etats-Unis et de bien des pays européens. L'union des couronnes anglaise et écossaise remonte plus loin encore dans l'histoire, à 1603, quand le roi écossais Jacques VI a hérité de la couronne d'Angleterre devenant Jacques 1er à Londres. Pendant toute cette période, les Ecossais ont joué un rôle prépondérant dans la vie politique et économique britannique. L'idée selon laquelle le Royaume-Uni serait la domination de la grande Angleterre sur la petite Ecosse ne résiste à aucune analyse. On peut, certes, craindre le pire des politiciens opportunistes, mais tant que nous ne savons ni qui sera le prochain premier ministre britannique, ni le prochain dirigeant du parti travailliste, ni la nature de l’accord avec Bruxelles que Londres va négocier pour gérer ses rapports avec le continent suite à sa sortie de l'UE, ni même la date de cette sortie, il est très prématuré de tabler sur la fin du Royaume-Uni.

Lire aussiLes cinq plus belles gaffes post-Brexit