C’est la première fois qu’un parlement national se prononce sur le sujet. Le vote ne doit pas pour autant nous faire croire que les sanctions seront bientôt levées. L'histoire des sanctions nous montre qu'au contraire, une fois des sanctions votées, il est souvent difficile de revenir en arrière. Elle nous montre aussi que ces sanctions sont, dans la quasi-totalité des cas, parfaitement futiles.
A l'heure actuelle, la Russie est loin d'être le seul pays européen contre lequel l'Union européenne impose des sanctions. Elle en a impose à la Biélorussie depuis 2004 ; à la Bosnie-Herzégovine depuis 2004 ; à la Moldavie depuis 2008; à la Serbie depuis 1998 ; et à la Russie depuis 2014. Ne sont pas inclus dans cette liste ni l'embargo international contre Chypre Nord, en place depuis 1983, ni les sanctions, beaucoup plus nombreuses, contre un grand nombre de pays africains et asiatiques.
Il y en a même contre les Etats-Unis.
Mieux vaut du blabla que la guerre, disait Churchill. Mais ces exemples nous montrent à quel point la prétention de pouvoir peser sur des conflits territoriaux insolubles tombe vite dans l'absurde
Dans chacun des cas européens, il s'agit de décisions prises au moment d'un conflit, politique ou armé, dans une tentative de faire rentrer un gouvernement national (Biélorussie) ou sécessionniste (Transnistrie, République serbe de Bosnie) dans le rang. Les sanctions contre la Serbie datent de la guerre dite du Kosovo de 1998, à laquelle tous les Etats européens ont participé avec enthousiasme ; celles contre la République turque de Chypre du Nord depuis sa déclaration d'indépendance, il y a plus de 30 ans. Dans aucun de ces cas les sanctions n'ont atteint l'objectif escompté. Au contraire, comme dans le cas russe, les sanctions se transforment rapidement en une partie intégrante du problème, tout aussi immuable que le problème lui-même : c'est ce qu'on appelle un conflit gelé.
Dans plusieurs cas, la situation s'apparente à celle de l'Ukraine : on pense aux sécessions de Moldavie (Transnistrie) et de Chypre (Chypre du Nord) comme à la situation en Bosnie-Herzégovine où la République serbe jouit d'une autonomie quasi totale à l'intérieur d'un Etat quasi inexistant. Dans ces cas, il y a souvent un accord-cadre qui continue à gouverner le pays en question (on pense aux accords de Dayton de 1995 pour la Bosnie-Herzégovine, ou aux accords de Minsk pour l'Ukraine) ou une ronde de négociations interminables : on parle du Haut-Karabakh à Minsk depuis 1992, c'est-à-dire depuis un quart de siècle (même si cet enclave arménienne en Azerbaijan n'a jamais été l'objet de sanctions) et des sécessions de Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud) à Genève depuis 2008.
Mieux vaut du blabla que la guerre, disait Churchill. Mais ces exemples nous montrent à quel point la prétention de pouvoir peser sur des conflits territoriaux insolubles tombe vite dans l'absurde. L'absurdité consiste dans le fait que des pays puissants se font les otages de situations qu'ils ne maîtrisent pas, s'étant engagés à faire dépendre la levée de leurs sanctions de la «réussite» ou non de pourparlers auxquels participent des tierces personnes. Rien, ou peu, ne prédestine le cas ukrainien à être différent de ces autres disputes qui, aussitôt tombées sous la coupe des sanctions, tombent vite dans l'oubli. Lord Palmerston plaisantait au dix-neuvième siècle à propos de la question du Schleswig-Holstein que seulement trois personnes avaient comprise : "Le prince Albert, qui est mort; un professeur allemand, qui est devenu fou et moi-même, qui en ai tout oublié." Ces cas finissent par ressembler à l'affaire judiciaire interminable Jarndyce contre Jarndyce, caricaturée par Charles Dickens dans La Maison d'Apre-Vent, où une dispute sur une succession dure depuis plusieurs générations et consomme la totalité de l’héritage en frais d'avocats.
Des pays puissants se font les otages de situations qu'ils ne maîtrisent pas, s'étant engagés à faire dépendre la levée de leurs sanctions de la «réussite» ou non de pourparlers où participent des tierces personnes
On peut arguer qu'à la différence de ces autres cas, qui peuvent être mis au placard et oubliés, les sanctions contre la Russie revêtent une plus grande signification pour l'Europe, et ceci à cause des contre-sanctions russes qui font mal à l'Europe. Certes, le ministre français de l'Agriculture s'était prononcé en janvier en faveur de la levée des sanctions pour cette raison; certes, le ministre italien de l'agriculture s'est fait remarquer, participant à une foire agricole à Moscou en février ; et, certes, le premier ministre bavarois, Horst Seehofer, un ancien ministre fédéral de l'Agriculture, a plaidé pour la résolution des grandes crises géopolitiques en coopération avec la Russie.
Cette dernière remarque rappelle les déclarations répétées en faveur d'une plus étroite collaboration avec la Russie faites par le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, pendant sa conférence de presse avec son homologue russe à Moscou en mars. Hélas, de tels sentiments sur le rôle de la Russie dans le monde n'ont pas empêché le président Obama de réitérer sa conviction, le 25 avril à Hanovre, que la Russie a commis un acte d'agression en Ukraine et qu'il fallait impérativement maintenir les sanctions contre elle.
Le fait est que les enjeux géopolitiques et idéologiques vont l'emporter sur toute velléité d'en finir avec les sanctions. Le but principal de la tournée du président Obama en Allemagne était de faire avancer le dossier du traité transatlantique, dont le locataire de la Maison blanche voudrait qu'il soit conclu avant qu'il ne quitte le pouvoir. Pour cela, il est impératif que les Européens continuent à considérer la Russie comme un grand et méchant ennemi contre lequel les Américains sont le protecteur indispensable : c'était la conclusion très explicite du discours d'Obama «au peuple d'Europe». Si, pour atteindre le but primordial de conclure un accord transatlantique qui donnera aux grandes entreprises multinationales - et notamment américaines - le droit d'attaquer les Etats souverains en justice, il faut sacrifier l'agriculture européenne, tant pis pour cette dernière.
Du même auteur : Référendum néerlandais : échec flagrant du Partenariat oriental