«Daesh est un monstre à plusieurs têtes»

Peut-on réellement combattre Daesh ? Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, professeur associé au centre pour la recherche sur la sécurité de Genève (the Graduate Institute Geneva) livre à RT France sa vision de l’Etat islamique.

RT France : Plusieurs coalitions internationales ont désormais engagé une lutte contre l’Etat islamique. Est-ce possible de vaincre Daesh ?

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou : Oui. En principe défaire un groupe armé quel qu'il soit est tout à fait possible. Néanmoins, dans le contexte actuel, une forme de succès rapide est quand même assez difficile à obtenir. Pour la raison très simple qui est la suivante : c'est d'une part la complexité de l'entité de l'Etat islamique. On ne parle pas d'un groupe armé qui est simplement basé dans un endroit qu’il faut identifier, et qu'il faudrait ensuite simplement pilonner et mettre à terre, comme ça peut être le cas pour d'autres configurations. Nous parlons d'un groupe qui est d'abord évanescent, transnational et ensuite qui est présent sur deux Etats, en Irak et en Syrie et qui, troisièmement, comporte une population qui est très mondialisée. Tous ces jeunes, tous ces fameux combattants étrangers, ces foreign fighters qui viennent d’un peu partout, font en sorte que c'est un monstre à plusieurs têtes.

18 soutiens ont été signifiés à Daesh, sous la forme d'allégeance internationale

Il faut être assez réaliste. Il faut se garder, je crois, d'être excessivement optimiste par rapport à ceci. Par ailleurs, l'Etat islamique, lui aussi, s'est militarisé. On a une entité qui est également le résultat de tout ce qui s'est passé en Irak depuis l'année 2003, depuis l'invasion américaine, et ceci a créé un type d'acteur qui est beaucoup plus puissant que même ce que Al-Qaïda a été durant les années 2000.

RT France : Le fait que Daesh est désormais présent sur plusieurs continents, avec Boko Haram en Afrique qui revendique son appartenance à l’Etat islamique, des groupuscules de Daesh qui mènent des attaques en Europe... Le fait que la philosophie de Daesh se répande tant la rend-elle invincible ?

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou : Pas forcément. Je crois que cette dimension est essentiellement une dimension de posture. Elle est importante parce que l'Etat islamique invite à des attaques comme on a vu un peu partout, en Libye, en Tunisie, au Yémen… et bien entendu en France. Mais en réalité il faut garder à l’esprit que le centre de gravité de l'Etat islamique est un centre de gravité territorialisé. C'est à la fois sa force et sa faiblesse.

En même temps, de par son transnationalisme, et effectivement, vous avez raison, 18 soutiens lui ont été signifiés, sous la forme d'allégeance internationale. Ces formes d'allégeance donnent une certaine notoriété. Mais sont-ils opérationnels ou sont-ils simplement déclamatoires ? C'est là, je crois, qu'il faut savoir faire la différence.

Nous avons une mondialisation de cette forme de violence contemporaine

Boko Haram reste Boko Haram, un groupe nigérian intéressé par ce qui ce passe au nord du Nigeria essentiellement. Ils se donnent un habillage de Wilāyat, de zone géographique de l'Etat Islamique, mais en réalité pour l'Etat islamique, au quotidien, ce qui compte c'est le Levant, c'est l'Irak, c'est la Syrie. Et de temps en temps bien entendu frapper ici et là, dans le Sinaï l'avion russe, en France, à Paris… Toutes ces questions, c'est très important, c'est du terrorisme. Mais opérationnellement, ils sont beaucoup plus axés sur ce qui se passe sur le terrain.

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RT France :Les attentats perpétrés en France ont été commis par des Français, des gens qui sont nés en France. Existe-t-il un moyen pour les pays d’empêcher la radicalisation des jeunes ?

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou : C'est tout le problème du terrorisme contemporain. Il a cet aspect diversifié. Il ne se décrit que peu au singulier. Donc vous avez un groupe comme l'Etat islamique, qui est une question iraquienne, qui est une question syrienne, qui est constitué de combattants étrangers. Et ces combattants étrangers la plupart ne sont même pas des gens qui sont partis et revenus, ce sont des gens qui viennent littéralement d'Etats européens, d'Etats d'Amérique du Nord, un peu partout à travers le monde. La Chine a récemment dit qu'elle y avait des ressortissants, on a aussi vu des latinos d'Amérique du Sud.

La stigmatisation quotidienne dans les médias, par les dirigeants, par un discours qui stigmatise, ouvre une brèche à la radicalisation

Nous avons une mondialisation de cette forme de violence contemporaine. À partir de là, pour y faire face, cela veut dire traiter les questions dès le départ, éviter la radicalisation dans ces sociétés, éviter la stigmatisation de ces parts de la société, dans lesquels les individus qui sont rejetés, vont petit à petit être aliénés et avoir une oreille de plus en plus disponible pour la radicalisation.

Ceci implique avant tout un devoir pour l'Etat, un devoir pour les autorités. Ce n'est pas si aisé de simplement dire de combattre le terrorisme dans cette logique militarisée. Tout le monde est opposé au terrorisme, tout le monde veut la sécurité. Mais un Etat qui se positionne sur ce flanc se doit, en Europe en particulier, et aussi aux États-Unis, de se rendre compte que la stigmatisation quotidienne dans les médias, par les dirigeants, par un discours qui stigmatise, ouvre une brèche à cette possibilité, et je crois que les acteurs étatiques en portent la responsabilité.