RT France : Que pensez-vous du projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri ?
Dany Lang : Je pense que c’est une bêtise fondamentale qui se base sur une erreur d’analyse. C’est un grand retour en arrière, c’est une régression. Gérard Filoche qualifie le projet de contre-révolution et je suis totalement d’accord avec lui.
Cela me paraît un incroyable retour au XIXème siècle, même par rapport à la théorie dominante
En tant qu’économiste, je peux affirmer que le projet de loi se base sur une analyse économique complétement fausse, totalement erronée. C’est-à-dire, l’idée c’est qu’il y aurait une sorte de taux de chômage naturel déterminé uniquement par l’offre, et donc, des rigidités sur le marché du travail. Elle part du présupposé que les salariés et les employeurs sont sur un pied d’égalité et donc, qu’il s’agit de contrats entre égaux. Même du point de vue de l’analyse économique ça me paraît un incroyable retour au XIXème siècle, même par rapport à la théorie dominante.
J’ai l’impression de voir la liste que la fraction la plus réactionnaire du MEDEF adresserait au père Noël
RT France : Qu’est-ce qui vous dérange le plus dans ce projet ?
Dany Lang : Il fait assumer les risques économiques aux salariés plutôt qu’aux entrepreneurs. La justification traditionnelle du profit, découle de la prise de risque de l’entrepreneur. En tant que keynésien, je ne suis pas choqué par le fait que les entreprises fassent des bénéfices. Evidemment, dans des proportions raisonnables et avec une redistribution raisonnable. Mais là, le projet de loi fait porter tout le risque sur les salariés, donc, si tous les risques d’une entreprise reposent sur ses salariés, ce sont eux qui doivent toucher l’intégralité des profits. Si on fait une liste, j’ai l’impression de voir la liste que la fraction la plus réactionnaire du MEDEF adresserait au père Noël. Si Sarkozy nous avait fait «travailler plus pour gagner plus», là on nous fait «travailler plus pour gagner moins». Il y a un côté absolument irréel.
RT France : Est-ce la fin 35 heures ?
Dany Lang : ça c’est clair. Il y a eu des coups de canif importants sous Sarkozy, mais le dispositif restait là. C’est-à-dire, qu’on avait 35 fois 52 [semaines] moins 5 [semaines] et puis, on pouvait annualiser ça. Là, on va avoir la pluri-annualisation du temps de travail, les heures supplémentaires qui seront payées au gré de ce qui sera négocié dans chaque entreprise. Jusqu’à présent, c’était 25% de plus, là, ça pourra être 10% si les syndicats sont particulièrement faibles, et avec un chômage aussi élevé, ils le sont.
Si Sarkozy nous avait fait «travailler plus pour gagner plus», là on nous fait «travailler plus pour gagner moins»
On pourra travailler jusqu'à 60 heures, ce qui viole d’ailleurs le droit européen, qui impose un maximum de travail 48 heures de travail par semaine. Et c’est quelque chose qui a été obtenu de haute lutte par Lionel Jospin et Jacques Chirac contre Tony Blair.
La baisse de la majoration des heures supplémentaires. En cas de licenciement abusif, jusqu’à présent, c’étaient les prud’hommes qui fixaient le montant de votre indemnité. Là, elles seront plafonnées dans le projet de loi. On facilite les licenciements économiques, alors qu’on a un taux de chômage qui n’est pas particulièrement glorieux. En terme de droit applicable, les accords d’entreprise l’emportent sur le droit du travail, ce qui veut dire, une fois de plus, qu’on part de l’hypothèse que le patron et les salariés sont sur un pied d’égalité, qu’il n’y a pas de rapport de force entre eux et qu’il n’y a pas d’asymétrie à l’intérieur de l’entreprise. C’est vraiment n’importe quoi.
Imaginez qu’on donne, par exemple, aux municipalités le droit de définir le Code de la route dans leurs villes
RT France : Pourquoi ?
Dany Lang : S’il y a un droit du travail, c’est justement pour qu’il s’impose à tous. Imaginez qu’on donne, par exemple, aux municipalités le droit de définir le Code de la route dans leurs villes. C’est à peu près aussi délirant. Selon les rapports de forces dans l’entreprise, selon les secteurs, on va se retrouver avec des gens qui vont accepter des baisses de salaire assez importantes. On enlève du pouvoir aux juges et aux instances publiques de contrôle. Bref, c’est un film d’horreur à lui tout seul contre tous les acquis sociaux de ces cent dernières années.
RT France : Libération cite François Hollande qui disait il y a dix ans «Vous avez fait du Code du travail le bouc émissaire de votre incapacité à créer de l’emploi et fait de son démantèlement l’objet-même de votre politique». Qu’est-ce qui a changé entre-temps ?
Dany Lang : Je n’en sais rien. En votant François Hollande, d'aucuns étaient conscients qu’ils votaient pour un président plutôt de droite, mais de droite modérée comme, par exemple, Jacques Chirac. Et là, de voir à quel point il va loin dans les réformes néolibérales, alors que justement dans les pays anglo-saxons qui ont inspiré ces réformes, le balancier est en train de revenir dans l’autre sens, en particulier aux Etats-Unis avec la candidature assez inattendue du social-démocrate Sanders, qui revient aux fondamentaux de la social-démocratie contre Hillary Clinton.
Il faut sortir du champ de l’analyse économique pour comprendre pourquoi on prend des mesures aussi stupides
Je pense que le président a également subi l’influence des lobbies financiers, c’est très clair que quand on a comme ministre de l’économie quelqu’un qui n’a jamais vraiment travaillé dans une entreprise, qui n’a pas de compétences en économie, mais qui était lobbyiste chez Rothschild. Nous avons quelqu’un qui ne connaît rien en économie, qui ne sait pas ce qu’est une entreprise et qui n’a jamais eu un statut de salarié. C’est-à-dire, qu’il n’a jamais été dans un rapport de subordination. Il y a un peu de tout ça mais aussi de mauvais calculs politiques pour pouvoir affronter Marine Le Pen au second tour en espérant ainsi récolter des voix de la droite. Il faut sortir du champ de l’analyse économique pour comprendre pourquoi on prend des mesures aussi stupides.
RT France : Justement, dans quelle mesure ce projet de loi correspond avec le plan de François Hollande pour lutter contre le chômage?
Dany Lang : Je ne vois pas du tout comment on peut lutter contre le chômage avec ces mesures. Comment voulez-vous faire baisser le chômage en augmentant la durée du travail de tous les gens qui ont déjà un emploi ? Il y a vraiment un problème. On nous dit que les employeurs ont peur de recruter parce qu'ils redoutent de ne pas pouvoir licencier après. Ces mesure feront plaisir au MEDEF, à la frange la plus réactionnaire du patronat. Je ne suis pas convaincu que les petits entrepreneurs et que les PME vont forcément y gagner, parce qu’eux aussi sont dans un rapport de subordination par rapport aux entreprises du CAC 40.